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Point de vue

Université, le monde radieux du nouveau totalitarisme

Quand nous étions enfants, en Russie soviétique, nous avions nos classiques, comme tous les enfants du monde. Parmi les oeuvres qui ont marqué mon enfance et qui continuent à interroger aujourd’hui mes enfants, il y avait un joli poème, intitulé « Un grand cafard » (1), écrit par un grand poète russe pour enfants, Kornej Chukovski. Ce poème met en scène un cafard qui arrive dans la jungle. Il terrorise tous les animaux qui y vivent : lions, tigres, crocodiles, ours, kangourous, qui ont peur de lui. Il exerce sur eux une fascination et un pouvoir inexplicables. Il les menace avec son ombre et ils lui obéissent. Ils ne savent pas pourquoi, mais ils obéissent tous, ayant peur que s’ils disent quoi que ce soit, le cafard n’emporte leurs enfants. Ils tentent une rébellion, mais elle échoue, le cafard leur montre sa moustache et cela suffit pour qu’ils se cachent dans les arbres et qu’ils acceptent son autorité.

Cela m’a toujours fascinée dans mon enfance – pourquoi de si grands animaux se soumettent-ils à une créature immonde, pourquoi ne l’écrasent-ils pas ? Le poème a pourtant un happy end : arrive un moineau qui avale le cafard sans trop se poser de questions philosophiques. Les animaux sortent de leur cachette et font la fête en félicitant le moineau.

La situation qu’on vit aujourd’hui dans le milieu universitaire est drôlement semblable à celle de ce poème. Du moins, c’est mon sentiment. Je suis sincèrement étonnée de voir la hâte avec laquelle une partie de mes collègues universitaires s’aligne devant les nouveaux tyrans du genre et de la race qui expliquent aux gens qui ils sont, comment ils doivent se sentir et se comporter, comment ils doivent parler et écrire. J’ai l’impression de me retrouver quarante ans en arrière, dans une sorte de jour de la marmotte communiste sans fin. Sauf que la marmotte ressemble fort à ce cafard du poème.

J’ai en effet eu la chance historique d’assister en tant que témoin à la fin du régime soviétique officiel qui s’effondrait lentement sous nos yeux dans les années quatre-vingt-dix du siècle passé. La disparition du système communiste, qui a anéanti la vie de millions de personnes, parmi lesquels mes proches, a réjoui une grande partie des ex-citoyens soviétiques. J’ai aujourd’hui la chance historique de revivre certaines manifestations de ce régime dans le pays dont je suis aujourd’hui citoyenne. Tous mes contemporains ne peuvent pas se vanter de voir se réaliser la prédiction de Marx proclamant que l’histoire se répète sous forme de farce, et farce bien sinistre.

“Peut-être les relents du communisme n’ont-ils jamais disparu des institutions universitaires françaises qui affichent invariablement une seule appartenance : être à gauche.”

Dans ce qui suit, je me concentrerai surtout sur la vie universitaire française, champ d’observation de la vie intellectuelle non négligeable. Depuis une décennie, l’espace universitaire est traversé par le retour des slogans éculés qui promettent un monde radieux, fondé sur un savoir « nouveau », peuplé par des savants « révolutionnaires » et « émancipateurs » qui mettent en avant leur progressisme, revendiquent leur engagement pour une égalité toujours plus égalitaire, une humanité plus « inclusive », une libération plus « radicale ». Quand je dis « retour », il se peut que je me trompe, peut-être les relents du communisme n’ont-ils jamais disparu des institutions universitaires françaises qui affichent invariablement une seule appartenance : être à gauche. Ce qui est assez paradoxal pour une démocratie pluraliste. Toute autre appartenance étant suspecte, elle peut valoir une condamnation morale du collectif vertueux.

Il y a une dizaine d’années, j’ai fait la découverte de cette exigence non écrite mais affichée haut et fort, tel le drapeau rouge sur les usines soviétiques. En parlant d’étudiantes qui se convertissent à l’islam et qui se voilent, j’ai cité Soumission de Michel Houellebecq à quelques collègues dans la salle des enseignants. L’une d’elles s’était indignée de mes lectures, me demandant comment je pouvais lire « ces types de droite ». C’est ainsi que j’ai appris qu’il y a des enseignants pour qui la seule littérature légitime doit avoir l’estampille de la gauche. Et une expérience vécue à l’école soviétique m’est revenue à l’esprit. En Union soviétique, j’ai dû suivre les cours de l’histoire du marxisme-léninisme au lycée. À l’époque, la langue de bois de notre enseignant et des manuels du Parti ne m’intéressait pas encore comme c’est le cas aujourd’hui – je préférais me concentrer sur la lecture de Thomas Mann dont l’ouvrage Mario et le Magicien ne faisait pas vraiment partie des livres salués par le canon soviétique. L’enseignant a saisi le livre et m’a dit que la lecture des auteurs impérialistes, représentants de la « pourriture » bourgeoise et impérialiste, pervertissait l’esprit de la jeunesse. La remarque était savoureuse, car c’est dans cette nouvelle justement que Mann parle des dangers du fascisme, mais quelle importance, puisque l’auteur est l’ennemi du bien ? Comme doit l’être Houellebecq, la « pourriture » de droite pour cette intelligentsia à la pensée toute prête. […] LIRE LA SUITE

 

La Revue des Deux Mondes julillet-août 2021

Publié dans la
Revue des Deux Mondes
juillet – août 2021

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Illustration : Siège d’université de Paris.

(1) Kornej Chukovski, Tarakanische, non traduit.

Yana Grinshpun

Yana Grinshpun

Yana Grinshpun est maître de conférences en sciences du langage à l’université Sorbonne Nouvelle.

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