Patrick Dewaere, le destin tragique de l’écorché vif du cinéma français

Le 16 juillet 1982, Patrick Dewaere mettait fin à ses jours, plongeant la France entière dans un état de choc. Retour sur l'histoire tragique et tumultueuse de l'un des monstres sacrés du 7e art hexagonal. 
Patrick Dewaere destin tragique
Jean-Louis URLI/Gamma-Rapho via Getty Images

Il s’est donné la mort, il y a 39 ans, laissant ses proches, le monde du cinéma, et le public français dans le chagrin et la stupeur. Patrick Dewaere, l’un des plus grands acteurs de sa génération, s’est suicidé le 16 juillet 1982 à Paris, en se tirant une balle dans la tête. Une disparition brutale qui, des décennies après, suscite toujours son lot d’interrogations.

La troupe des petits Maurin

Né le 26 janvier à Saint-Brieuc, Patrick Bourdeaux (de son vrai nom) est issu d'une famille d’artistes : sa mère, Mado Maurin, est une comédienne, et il grandit de facto dans une fratrie de saltimbanques baptisée « les petits Maurin ». Dès l’âge de trois ans, il monte sur les planches du Théâtre de Chaillot, dans la pièce Primerose où joue sa mère. Suivront le film Monsieur Fabre (1951), ou encore les pièces Procès de famille (1955) et Misère et Noblesse (1956), qui obligent l’enfant à assumer une grosse charge de travail. Il décroche des rôles mineurs pour Henri-Georges Clouzot (Les Espions en 1957), ou encore Gene Kelly (La Route joyeuse en 1957), mais se sent moins doué que ses frères.

C’est à cette période que naissent ses premiers traumatismes, des relations conflictuelles avec sa mère qui lui cache l’identité de son véritable père : il n’apprendra que plus tard qu’il s’agit du chef d’orchestre Michel Têtard, avec lequel elle a eu une brève aventure, et non de Pierre-Marie Bourdeaux, celui qui l’avait reconnu. Il aurait aussi été abusé sexuellement, comme le confirmait Gérard Depardieu, son compère des Valseuses, dans son livre Vivant ! paru en 2004 : « Je crois que, dans son enfance, il avait été victime d'actes de pédophilie. Il m'en avait parlé mais je ne sais pas si j'ai le droit de raconter ça. Ce que je sais, c'est que sa fragilité venait de là. Cette enfance qui ne passait pas, c'était son abîme, son gouffre intérieur ». Par ailleurs, il aurait été dépossédé par sa mère de la plupart des cachets qu’il avait gagnés à l’aube de sa carrière.

Patrick Dewaere à Deauville en 1977.Laurent MAOUS/Gamma-Rapho via Getty Images
Le phénomène « Les Valseuses »

Est-ce une conséquence de sa crise identitaire ? Reste qu’en 1969, il abandonne le patronyme Maurin pour celui de Dewaere (inspiré de Devaëre, le patronyme de son arrière-grand-mère maternelle). En 1967, il est révélé au public dans le feuilleton télévisé Jean de la Tour Miracle, joli succès populaire dont il tient l’un des premiers rôles. Marié à la comédienne-réalisatrice Sotha, il s’émancipe ensuite au sein de la troupe du Café de la gare, où il rencontre son ami Coluche, ainsi que Miou-Miou, grand amour de sa vie et mère de sa fille Angèle Herry. Le véritable succès ne surgit qu’en 1974 avec Les Valseuses de Bertrand Blier, qui fait un carton au box-office à sa sortie et le propulse au rang de star.

Après une relation électrique et passionnelle, Miou-Miou quitte Patrick Dewaere en 1975 pour Julien Clerc, ce qui affecte durablement le comédien. « En [la] perdant, l'homme perd son point d'ancrage, son repère, sa base. Bref, il perd celle que Bertrand Blier, Yves Boisset, Henri Guybet et tous les autres considèrent comme “la femme de sa vie”», écrit le critique Christophe Carrière dans la biographie Patrick Dewaere, l'écorché (éditions Michel Lafon). Une analyse partagée par Lola Dewaere, sa deuxième fille : « Ça a été le début de la descente aux enfers. À partir de là, mon père est devenu violent, impulsif, invivable. »

Violence et addiction à la drogue

Côté carrière, le comédien enchaîne les performances d’exception avec Coup de tête de Jean-Jacques Annaud et Série Noire d’Alain Corneau en 1979, puis Un mauvais fils de Claude Sautet en 1980. Mais Patrick Dewaere développe une addiction à la drogue, et se montre de plus en plus instable sur les plateaux, comme lorsqu’il manque de se battre avec Yves Boisset sur le tournage de Le Juge Fayard dit « le Shériff ». L’éclat de trop survient lorsqu’il passe à tabac le reporter Patrice de Nussac du Journal du Dimanche, lui reprochant d’avoir révélé son mariage futur avec Elisabeth Malvina Chalier dite Elsa. Ce qui vaut à l’acteur, réputé pour ses accès de violence et ses rôles d’écorchés vif, d’être boycotté par la presse. Souffrant d’un manque de reconnaissance, s’enfermant progressivement dans son addiction, le monstre sacré n’en est pas pour autant oublié par le monde du cinéma : il est repéré dans Série Noire par Orson Welles, qui lui propose un projet de film, puis est choisi par Claude Lelouch pour jouer Marcel Cerdan dans Edith et Marcel, s’astreignant à une préparation stricte. 


Pourtant, entre les dettes, les problèmes d’impôts et la séparation avec Elsa qui l’a quitté pour Coluche, les soucis s’accumulent. Alors qu’il répète, le 16 juillet 1982, avec Claude Lelouch et Évelyne Bouix, le comédien reçoit un coup de fil de son ancienne compagne, qui lui assure qu’il « ne reverra plus jamais sa fille » Lola. L’acteur de 35 ans rentre de façon impromptue dans sa maison du 14e arrondissement de Paris, et se suicide en se tirant une balle dans la tête avec la carabine que lui avait offerte Coluche. Un geste ultime de détresse et qui finira d’entériner la légende de celui qui confiait, déjà en 1979, à un journaliste : « Je ne serai jamais vieux ».