Impeccable dans son élégante robe bleu ciel, Myriam le dit d’emblée : hors de la « boîte », presque personne ne sait qu’elle officie pour les services de renseignement français. Encore moins qu’elle est analyste, spécialisée dans le monde arabe.
Au quotidien, elle organise la collecte d’informations sensibles sur le terrain, produit des notes, part en mission à l’étranger. « Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je dis que je suis au ministère des armées, et que mon travail n’est pas passionnant. En général, ça coupe la conversation. Même mes parents ignorent que je suis à la DGSE [direction générale du renseignement extérieur]. Je ne veux pas leur imposer le fardeau du secret », explique cette jeune diplômée d’un Institut d’études politiques (IEP).
Bien sûr, Myriam n’est pas son vrai prénom, mais c’est ainsi qu’elle se présente, cet après-midi de juin, boulevard Mortier, dans le 20e arrondissement de Paris. Chez les espions, on a l’habitude de travailler sous pseudo, même entre collègues.
Sandra, jeune développeuse informatique, affirme, elle aussi, à ses interlocuteurs travailler « au min’arm’ », métro Balard, dans le 15e arrondissement. Bien loin, donc, de la porte des Lilas, où elle se rend tous les matins. « Le plus relou, c’est d’avoir une légende qui tient la route sur les trajets. Donc, ça se travaille. Si je dis que je bosse à Balard, je dois connaître l’itinéraire, tel ou tel bar, le nom des rues… »
Faire entrer une journaliste au siège de la DGSE n’a rien de banal. Le feu vert témoigne de la volonté, pour la « boîte », d’entrouvrir sa porte à l’heure où elle doit recruter comme jamais au cours de son histoire, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité. D’ici à 2025, elle va créer 772 postes : des ingénieurs, des analystes, des linguistes, des surveillants… Avec les départs à la retraite, des centaines de personnes sont recrutées chaque année (450 en 2021). Une hausse des effectifs suivie d’un déménagement au Fort neuf de Vincennes, en 2028.
« De barbouze à fonctionnaire »
Mais comment communiquer alors qu’elle ne peut rien dire sur la réalité de ses métiers ? Tel est le défi de la DGSE, qui, depuis trois ans, diffuse ses annonces sur LinkedIn, gère une chaîne YouTube, tient des stands et organise des conférences dans des grandes écoles. Une révolution pour une direction marquée, selon l’historien du renseignement Bruno Fuligni, par une « très forte culture de la dissimulation, héritée de son ancêtre, le Secret du roi ».
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