Malhuret : « Non, nous ne sommes pas dans une dictature ! »

INTERVIEW. Alors que des milliers d’individus manifestent contre le pass sanitaire, le sénateur de l’Allier Claude Malhuret défend la vaccination obligatoire.

Propos recueillis par Adrien Voyer

Temps de lecture : 6 min

Face à ceux qui crient à la dictature, le sénateur de l’Allier Claude Malhuret prend son mal en patience. D’abord médecin épidémiologiste à l’OMS dans les années 1970, l’homme prend ensuite la tête de Médecins sans frontières de 1978 à 1986. Celui qui est aussi à l’origine du site Internet Doctissimo se bat contre ces « dingues qui s’insurgent pour tout et rien », se positionnant en faveur de la vaccination obligatoire.

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Le Point : Vous avez toujours été plutôt en accord avec la politique vaccinale. Aujourd’hui, que pensez-vous du pass sanitaire ? Est-ce le meilleur moyen de retrouver une vie normale ?

Claude Malhuret : Je ne sais pas si les gens comprennent ce qui est en train de se passer, mais c’est très grave. L’épidémie flambe à une vitesse dingue. La question que tout le monde doit se poser en ce moment est : est-ce que la vaccination va rendre l’épidémie contrôlable, c’est-à-dire avec peu d’hospitalisations, ou alors on aura perdu la course, avec des hôpitaux saturés ? Macron a très bien compris qu’on est en train de perdre, il a eu raison de prendre ces mesures. Et encore, je suis moi-même favorable à la vaccination obligatoire, beaucoup plus simple et, je crois, mieux acceptée par la population car mieux comprise. L’option choisie par le président – le pass sanitaire – est quand même gorgée d’hypocrisie, c’est un peu une obligation qui ne dit pas son nom, c’est quand même beaucoup moins clair que l’obligation vaccinale. Mais tant mieux si elle permet d’enrayer l’épidémie. Il y a tout de même quelque chose auquel je n’arrive pas à me faire. En 2018, Macron et Buzyn ont rallongé la liste des vaccins obligatoires, passant de 3 à 11 pour les enfants de moins de 2 ans. Les journaux ont très peu évoqué le sujet et personne ne s’en est plaint ! Je trouve incroyable qu’on fasse aujourd’hui du vaccin une affaire d’État…

Mais je m’aligne, je prends acte. À défaut d’avoir obtenu la vaccination obligatoire, je soutiens une mesure plus ou moins équivalente. L’option du pass sanitaire commence à porter ses fruits ; 3 millions de rendez-vous pris en trois jours, c’est un bon chiffre. Et, si le pass sanitaire est discuté, n’oublions pas que Macron n’est pas président pour gérer l’intendance. Son rôle est de déclencher une action et, jusqu’à présent, l’effet voulu a été obtenu.

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Qu’objectez-vous à ceux qui ont des arguments philosophiques profonds s’opposant au pass sanitaire, comme François-Xavier Bellamy ?

J’ai lu François-Xavier Bellamy dans Le Figaro et je l’ai trouvé un peu flou… Vous savez, on peut faire sur le thème des libertés des tirades fantastiques… La vérité, c’est que ce sont des tirades en l’air. La liberté absolue n’existe pas, elle ne se conçoit pas sans la responsabilité d’autrui. Je reste convaincu qu’il vaut mieux contraindre un temps plutôt que de se précipiter et de chercher à recouvrer notre liberté totale trop vite. Je ne vois pas personnellement de « remise en cause profonde » de notre modèle de société. Bellamy philosophe peut-être un peu trop, mais il n’a pas non plus totalement tort : c’est sans doute disproportionné d’en arriver à licencier des gens par rapport au risque réel. La liberté est en train de devenir l’expression de tous les désirs. Ça ne vous choque pas, vous ?

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Le président n’aurait-il pas dû examiner la question du pass sanitaire plus tôt que cela ?

La vérité, c’est qu’on s’en est rendu compte brutalement. Le variant Delta n’a pas mis longtemps à émerger, il s’est déployé en moins d’une semaine sur le territoire national. Vers le 20 juin, l’Inserm a présenté trois scénarios plausibles, parmi lesquels figurait celui qu’on est en train de vivre. Les scientifiques le pressentaient mais n’étaient pas sûrs de leur coup, donc ils n’ont pas fait pression sur l’exécutif. Vous savez, les scientifiques n’aiment pas beaucoup se tromper, donc ils ne s’avancent pas. Ce n’est qu’à la fin du mois de juin qu’Emmanuel Macron s’est aperçu que l’épidémie repartait à la hausse. Pour lui aussi, ça a sans doute été brutal, alors que la France était en train de revivre…

La loi passera d’abord en conseil des ministres, puis à l’Assemblée et enfin au Sénat. Elle aura le temps d’être révisée et, si elle prévoit le licenciement des individus non vaccinés pour de nombreuses catégories professionnelles, j’espère qu’on n’en arrivera pas là. La mesure serait catastrophique et disproportionnée. Je crois pouvoir être sûr de dire que le gouvernement s’alignera sur la décision du Conseil d’État.

Non, nous ne sommes pas dans une dictature. Ces gens sont indécents, ce sont des complotistes, des dingues qui se prennent pour Camille Desmoulins !

La crise sanitaire a bouleversé la vie parlementaire, ne craignez-vous pas qu’en prolongeant ces mesures on prolonge la paralysie démocratique ?

C’est tout le problème de la VRépublique, qui a privilégié la force du président. Depuis qu’elle existe, le débat règne sur cette question fondamentale de la répartition des pouvoirs. Dans son livre Le Coup d’État permanent, Mitterrand critique l’exercice très personnel du pouvoir par le général de Gaulle, preuve que le débat est vieux. L’exécutif dispose de prérogatives extrêmement puissantes, et dans le même temps le Parlement est très effacé. C’est incontestable, le Parlement doit retrouver sa place, et il va la retrouver. Cette année, l’abstention a été record, ça en dit long sur ce que les Français pensent de la vie politique française. Cette situation de défiance s’amplifie avec la crise sanitaire et la puissance de l’État. Je suis parlementariste, mais je reconnais à la Ve République et son État – qui est solide dans les situations difficiles – de bonnes qualités.

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Emmanuel Macron est attaqué sur cette France de l’été 2021 qui, pour une poignée d’individus, ressemble à une « dictature ». Pointez-vous du doigt un problème ?

Shoah, apartheid…, ce sont des mots qu’il est indécent de mêler à cette affaire de pass sanitaire. Non, nous ne sommes pas dans une dictature. Ces gens sont indécents, ce sont des complotistes, des dingues qui se prennent pour Camille Desmoulins ! La révolution de 1789 est la matrice de ce qui se passe aujourd’hui… Les gens n’ont pas oublié et crient à la dictature à chaque fois qu’un problème se pose. C’est trop facile !

Votre ancienne famille politique (Les Républicains) se déchire. Avec quel œil regardez-vous cette bataille qui est en train de se jouer à droite ?

La politique s’est individualisée, les gens se défont des partis. J’ai quitté Les Républicains en 2017 et préside depuis le groupe Les Indépendants au Sénat, avec l’objectif de ne dépendre d’aucun parti. Je ne regarde avec aucun œil ce qui se passe chez LR, ça ne m’intéresse plus. Ils n’évoluent pas avec la société française, c’est regrettable. Quant à Xavier Bertrand, je ne sais pas s’il est en position de gagner, mais il est clair qu’aujourd’hui les gens veulent voir émerger des personnalités plus que des partis et, en cela, Xavier Bertrand est dans son temps…

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Commentaires (57)

  • Café Noir du Sud

    Les médecins raisonnent en médecins, comme les généraux raisonnent en militaires.
    Pour gagner leur guerre ils sont prêts à tout, c’est pour cela qu’on ne confie jamais à un général la direction d’un pays en temps de guerre.
    Les médecins ont été les plus enfermistes pendant la crise, à les écouter il aurait fallu mettre chaque personne en cellule individuelle, interdire les contacts intrafamiliaux.
    Pas étonnant qu’ils veuillent la vaccination obligatoire. De même qu’ils veulent faire interdire la cigarette, limiter la vitesse à 20 km/h, et toutes autres mesures bonnes d’un point de vue médical mais socialement inacceptables.

  • roncec

    Les anti-tout devraient, s'ils avaient le moindre gramme d'intelligence, comprendre que l'urgence dans la gestion de cette crise n'est pas de philosopher sur les libertés individuelles, mais de venir en aide massivement auprès des pays qui n'ont pas de vaccins, ou qui en ont si peu qu'ils n'ont qu'une couverture vaccinale ridicule par rapport à nos pays occidentaux. Ces pays constituent les réservoirs de variants de demain et dont de nos privations de libertés collectives... Cl. Malhuret le sait bien en tant qu'ancien de MSF et sa parole est fondamentale.

  • ADcitoyen

    La France s'est retrouvée isolée parmi les grandes démocraties en étant la seule à imposer un pass sanitaire pour l'accès à la plupart des lieux publics. Le Danemark qui était l'un des rares pays à l'avoir adopté l'a vite laissé tombé devant les réactions de sa population. Il a été abandonné en juin dernier après avoir été mis en place le 21 avril ce qui prouve que son acceptation a été très limitée...

    A Moscou le pass a également été abandonné très rapidement. Il n'aura été mis en place que 3 semaines relate le Figaro.

    Au contraire de la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l'Allemagne ont refusé la mise en place d'un tel pass de même que la vaccination obligatoire.

    Même la Chine vient de rappeler à l'ordre les gouvernements locaux montrant un plus grand soucis des droits de l'homme que le gouvernement français.