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Iran

"Nous sommes assoiffés !" : face à la crise de l’eau en Iran, la police tire à balles réelles

Depuis le 16 juillet, de nombreuses villes de la province iranienne du Khouzestan, dans le sud-ouest du pays, sont le théâtre de multiples grèves, sit-in et manifestations qui ont déjà fait au moins deux morts. La raison du ras-le-bol : le manque d’eau pour la consommation quotidienne, mais aussi pour l’agriculture et l’élevage. Selon notre Observateur, un expert de l’eau en Iran, ces pénuries risquent de s’intensifier dans les années à venir.

Les habitants de Ramhormoz bloquent une route principale pendant des manifestations (en haut) ; à Ahvaz, des rassemblements devant le gouvernorat pour demander la démission du gouverneur (en bas). Photos prises le 19 juillet.
Les habitants de Ramhormoz bloquent une route principale pendant des manifestations (en haut) ; à Ahvaz, des rassemblements devant le gouvernorat pour demander la démission du gouverneur (en bas). Photos prises le 19 juillet. © Observateurs
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MISE A JOUR : actualisation du nombre de morts lors des manifestations au Khouzestan au 21 juillet 2021

Des vidéos des manifestations pour l'accès à l'eau dans la province du Khouzestan, où vit une importante population d'Arabes iraniens, montrent des protestataires scander en arabe : "Nous sommes assoiffés !", "Nous voulons la chute du régime !"

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Dans cette vidéo prise à Shadegan, des manifestants scandent en arabe "Les gens veulent que le régime tombe". Vidéo publiée le 17 juillet.

D'autres vidéos témoignent de la répression de ce mouvement social : contre les manifestants, la police iranienne et les forces antiémeute utilisent des gaz lacrymogènes, des obus à balles et tirent même à balles réelles.

Amnesty International a confirmé à la rédaction des Observateurs de France 24 qu’au moins deux manifestants étaient morts le 17 juillet. Ghasem Khaziri, 17 ans, qui vivait à Ahvaz, et Mostafa Naemav, 30 ans, un habitant de Shadegan. D'autres activistes ont signalé à notre rédaction 3 décès supplémentaires dans plusieurs villes du Khouzestan au 21 juillet. Au total, 5 jeunes hommes ont perdu la vie lors des manifestations contre la crise de l'eau en Iran.  Le nombre de blessés et de personnes arrêtées était encore inconnu au 21 juillet.

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Dans cette vidéo, un agent de police tire à bout portant sur un manifestant au Khouzestan. Vidéo publiée le 19 juillet.

Depuis le mois de mai et le début des fortes chaleurs, les rassemblements contre les pénuries d’eau se multiplient en Iran. Dans plusieurs régions, dont le Khouzestan, des sit-in, grèves et manifestations sont ainsi organisés par des citoyens n’ayant plus de source dans leur ville ou village, ou par des agriculteurs qui manquent d’eau pour irriguer leurs exploitations. Mais c'est seulement mi-juillet que ces manifestations ont pris de l'ampleur.

À lire sur les Observateurs : Sans eau, sous 40 °C et en pleine pandémie, des villageois se révoltent dans le sud-ouest de l'Iran

 

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Des milliers de personnes manifestent à Sousangerd dans la province du Khouzestan contre le manque d'eau dans cette région. Vidéo publiée le 18 juillet.

Selon le Département iranien de l'eau et des égouts, au moins 110 villes iraniennes ont subi des coupures d'eau régulières au cours de l’été 2021. L'Iran est le quatrième pays au monde au classement du stress hydrique, signifiant que les ressources en eau sont insuffisantes par rapport à la consommation.

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Manifestation des agriculteurs du district de Kahrheh au Khouzestan, en raison du manque d'eau, le 10 juin.

"Plus de 200 villes iraniennes souffrent de stress hydrique"

Ahmad est un expert de l’eau en Iran. Il a souhaité rester anonyme pour sa sécurité.

Nous avons littéralement des villes sans eau courante au Khouzestan. Les gens dépendent des livraisons de réservoirs d'eau. Ils doivent passer des heures et des heures dans des files d'attente pour obtenir quelques bidons. Dans ces villes et villages, les vies sont interrompues par le manque d’eau.

Plus de 200 villes d'Iran souffrent de stress hydrique. La plupart des villes du Khouzestan, dont une trentaine de villages, figurent dans cette liste : cela signifie qu'elles n'ont pas une production d'eau suffisante par rapport à ce qui est consommé.

Le niveau d'eau de la rivière Karkeh au Khouzestan [l'une des rivières les plus importantes d'Iran, NDLR] a considérablement diminué en raison des dommages environnementaux déjà causés, et qui n'ont jamais pu être réparés.

Concernant l'agriculture, je dois dire que si la situation continue comme ça, nous en serons bientôt au point où il sera impossible de récolter quoi que ce soit, car il n'y aura plus assez d'eau au Khouzestan. À cause de la pénurie, les rares sources sont devenues trop salées et ont rendu impossible certaines activités agricoles comme l’élevage ou l’entretien des vergers.

À titre d'exemple, de vastes cultures de palmiers dattiers ont disparu au Khouzestan, dans la région d'Arvandroud, et la situation est irréversible. Plus de 1,2 million d’arbres sont morts de sécheresse [ces arbres dattiers étaient une des principales sources de revenus pour les cultivateurs de la région, NDLR].

 

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"La mafia des constructeurs de barrages a tué la nature en Iran"

Avant d’être liée au changement climatique, la crise de l'eau que nous connaissons aujourd'hui en Iran est le résultat de décennies de mauvaise gestion des ressources. Nous connaissons une grave pénurie d'eau dans presque tout le pays et une absence d'eau dans les régions où nous avons moins de précipitations, comme le Khouzestan.

Nous avons consommé tellement d'eau, principalement des sources d'eau situées en profondeur, que la nature est trop endommagée pour être réparée ou se régénérer. D’ailleurs, des dolines se forment après les périodes de pénurie dans ces régions.

>> À lire sur les Observateurs : En Iran, un trou géant se creuse dans le sol à cause de la sécheresse

Cette consommation excessive d’eau est liée à nos industries aux infrastructures obsolètes [ce sont notamment des usines de production d’acier dans la région du Khouzestan, NDLR]. Pire que ça : nous avons installé ces industries consommatrices d'eau dans des régions semi-arides, comme à Ispahan, dans le centre de l'Iran. Nous avons donc non seulement consommé les rares sources d'eau de ces régions, mais en plus nous y avons acheminé l'eau d'autres régions, comme le Khouzestan, via des canaux, pour alimenter ces usines.

Pendant 30 ans, des barrages hydrauliques ont été construits dans tout le pays, non pas parce que nous en avions besoin, mais parce que bâtir des barrages est extrêmement rentable pour les constructeurs [dans le Khouzestan, beaucoup d’experts considèrent ainsi le barrage de Gotvand inutile car il a entraîné d’importantes baisses du débit de l’eau dans la région, NDLR]. Cette "mafia des constructeurs" entretient des liens si étroits avec l'État et les Gardiens de la révolution que personne ne peut les arrêter.

En érigeant des barrages, ces constructeurs ont perturbé le réseau hydrographique naturel de l'environnement et tué la nature. Dans de nombreuses régions d'Iran, nous avons déjà dépassé la ligne de non-retour. Et c'est le cas dans la plupart de nos plaines, partout dans le pays.

Pour couronner le tout, le changement climatique a aggravé la crise et nous n'étions pas prêts pour cela. Pour le régime de la République islamique, la question environnementale n'est pas un problème, ils ne la comprennent pas et ils s'en moquent. Ces erreurs coûtent cher à tous les Iraniens."

 

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Le 25 mai, des agriculteurs de Baghmalek, un village du Khouzestan, ont bloqué la route principale menant à Ahvaz, la capitale de la province, pour protester contre le manque d'eau.

"Nous avons cinq à dix ans pour inverser notre destin"

Selon les chiffres officiels des responsables iraniens, l'Iran consomme 88 % de ses sources d'eau renouvelables. Or, selon Ahmad, une consommation supérieure à 40 % des ressources provoque un stress hydrique. Au-dessus de 60 %, la crise de l’eau est inévitable :

Tout cela signifie que la qualité de vie diminue. Des conflits entre différents groupes sociaux surgissent, des migrations commencent, les crises sociales se multiplient, les dépenses de la vie quotidienne augmentent.

Si la situation perdure, dans un premier temps, nous verrons des migrations massives d'une région d'Iran à l'autre, puis nous assisterons à de l’émigration massive d'Iraniens vers d'autres pays, ou même vers d’autres continents, où l’accès à l’eau sera meilleur.

Je pense que nous avons cinq à dix ans pour inverser le destin, sans quoi nous atteindrons un point de non-retour et nous serons confrontés à une crise jamais vue dans notre pays.

Ahmad n’est pas le seul expert à s’inquiéter : de nombreuses études de spécialistes s’inquiètent du chemin pris par l’Iran en matière de gestion de ses ressources en eau, comme dans cet article de 2018 du New York Times.

Selon un article publié en avril 2021 dans le magazine Nature, une des plus grandes revues hebdomadaires internationales sur la science, la sécurité alimentaire s'est nettement détériorée en Iran en raison de la surconsommation d'eau.

D'après le même rapport, l'Iran a épuisé plus de 74 km³ de ses sources d'eau souterraines entre 2002 et 2015, soit l’équivalent de 1,6 fois le lac Ourmia, le plus grand lac du Moyen-Orient. Il est désormais impossible de les renouveler.

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