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Luttes

Au Mexique, les défenseurs de l’environnement comptent leurs morts

Le leader yaqui Tomás Rojo Valencia, assassiné le 27 mai 2021, apparaissant dans Yo’eme Labyrinth.

Au Mexique, la vulnérabilité progresse pour les défenseurs de l’eau et du territoire des Yaqui, un peuple luttant depuis plus d’un siècle pour protéger ses terres et sa rivière. Trois militants yaqui ont récemment été abattus dans le pays.

Trois militants yaqui abattus au Mexique, en seulement un mois entre mai et juin dernier. Un triste bilan pour ce peuple mexicain établi dans l’État de Sonora, au nord du Mexique, qui lutte depuis plus d’un siècle pour protéger ses terres et sa rivière, et ne compte actuellement que quelque 40 000 personnes.

Celui-ci s’inscrit dans une montée des tensions : depuis juin 2020, les Yaqui dressent des barrages routiers et ferroviaires pour protester contre la privatisation de leur rivière (appelée rivière Yaqui ou río Yaqui), le passage de conduites de gaz, de canalisations d’eau et de lignes de chemin de fer sur leur territoire, précisant qu’ils n’ont ni été consultés ni se sont vus proposer une quelconque compensation.

Depuis le début du blocus il y a un an, des hommes d’affaires et des transporteurs dénoncent les pertes — estimées selon eux à plusieurs millions de dollars — qu’ils subissent du fait de cette mobilisation bloquant la circulation des matières premières et des marchandises (pièces détachées, céréales, etc.) vers la frontière américaine.

Trois militants yaqui tués

Connus pour leurs pouvoirs mystiques et visionnaires décrits par l’écrivain Carlos Castaneda, les Yaqui se sont toujours obstinément défendus, entre fin 1800 et début 1900, contre les campagnes brutales d’industriels soutenus par le dictateur mexicain Porfirio Díaz, visant à les éliminer pour s’approprier les richesses de leur territoire et l’eau de la rivière Yaqui. Ils demandent aujourd’hui que le gouvernement respecte ses promesses d’aides, de protection et d’indemnisation pour la vente sans leur accord de terres des huit villes yaqui [1], destinées à des projets d’infrastructures nocifs pour l’environnement.

C’est dans un tel contexte qu’a été constatée, le 27 mai dernier, la disparition du porte-parole des Yaqui et du Mouvement citoyen yaqui pour la défense de l’eau, Tomás Rojo Valencia. Fin juin, les procureurs de l’État frontalier de Sonora ont annoncé que des tests ADN et des empreintes digitales avaient confirmé qu’un cadavre en état de décomposition avancée, retrouvé mi-juin près de Vícam (une ville yaqui à Sonora), était bien le sien. En tant que porte-parole des Yaqui, Tomás Rojo Valencia avait pris part dès 2012 aux conflits liés aux droits à la terre et à l’eau : il avait ainsi pris la tête de la résistance pour l’eau à Sonora lorsque le gouvernement de l’État avait annoncé la construction de l’aqueduc de l’Indépendance pour transporter l’eau de la rivière Yaqui vers la capitale Hermosillo, approvisionnant plus de 300 000 personnes. Les Yaqui se plaignaient que leur propre approvisionnement ne soit plus assuré.


Tomás Rojo Valencia apparaissant dans Yo’eme Labyrinth.

Autre décès de leader Yaqui, en mai également, celui d’Agustín Valdez, chef de la garde traditionnelle yaqui et fils d’un gouverneur de leur communauté, qui a été assassiné alors qu’il faisait la fête un samedi soir. Surpris par des hommes armés, il a été abattu à bout portant. Il était aussi le leader du blocus de la route fédérale Mexico 15.

Enfin, le 8 juin dernier, Luis Urbano Domínguez Mendoza, un autre militant yaqui pour la protection de l’eau, a été abattu à Ciudad Obregón, toujours dans l’État de Sonora. Âgé de 35 ans, il était un farouche combattant politique et social, luttant pour la protection des ressources naturelles de la tribu Yaqui. Depuis 2012, il participait à la résistance à la spoliation de l’eau et des terres yaqui. En 2019, il avait participé au documentaire Yo’eme Labyrinth, dans lequel il raconte la spoliation des eaux de la rivière Yaqui et des terres ancestrales.


Luis Urbano Domínguez Mendoza.

Plus de 100 activistes et journalistes tués depuis 2018

Le plan de justice du gouvernement mexicain qui vise à préserver le développement économique et social des huit villes yaqui, garantit l’approvisionnement en eau potable, soutient la construction de logements et la réhabilitation d’établissements d’enseignement et de santé, sera pourtant difficile à mettre en œuvre. Il vise aussi la restitution de milliers d’hectares de terres fertiles dans la vallée de la rivière Yaqui, zone connue comme le « grenier du Mexique ». Des promesses qui ont suscité le mécontentement d’agriculteurs et d’éleveurs mexicains, qui craignent d’être de ce fait expropriés de leurs ranchs.

Les assassinats de militants au Mexique ne concernent toutefois pas que les Yaqui. Carlos Marqués Oyorzábal a été tué le 3 avril dernier par un groupe d’hommes armés sur une route de la Sierra de Guerrero, dans le sud du Mexique. Encore plus au sud, à Nayarit, l’activiste écologiste David Díaz Valdez a été tué par balle début juillet. Il était à la tête de l’opposition à la construction d’une centrale électrique dans sa communauté majoritairement indigène sur la côte Pacifique, et il avait récemment été emprisonné au prétexte d’avoir refusé de rendre une ambulance utilisée par sa communauté.

Malgré les promesses du président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, de protéger davantage les journalistes et activistes, 68 militants pour les droits humains et l’environnement et 43 journalistes ont été tués depuis le 1er décembre 2018, jour de son entrée en fonction. Reste à savoir si l’Accord d’Escazú, entré en vigueur le 22 avril dernier, pourra changer la donne. Ce traité d’Amérique latine et des Caraïbes, ratifié par douze pays dont le Mexique, reconnaît pour la première fois les droits des défenseurs des droits humains et environnementaux, et oblige les États à les protéger.

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