Ces esclaves que l'État islamique détient en Turquie
Des combattants de l'État islamique en Syrie et en Irak se sont repliés avec leurs captifs en Turquie.
Aux portes de la ville, un imposant panneau à l'effigie d'un Atatürk contemplatif. Plus loin, des femmes portant le niqab, gantées, arpentent les rues. Nous sommes à Kirsehir, à deux heures de route de la capitale turque. C'est ici, durant l'hiver 2017, qu'ont été retrouvés Amir et Amira Hussein, deux enfants yézidis kidnappés dans le Nord-Ouest irakien lors du rapt par l'organisation État islamique (EI) de 6.000 femmes et enfants issus de cette minorité religieuse en août 2014.
Selon le média indépendant Gazete Duvar, les ravisseurs des deux enfants ont tenté de les enregistrer comme leur progéniture auprès des autorités turques. Mais, comprenant qu'il s'agissait d'enfants kidnappés, celles-ci ont placé Amir et Amira dans l'orphelinat de Kirsehir avant d'en informer le consulat d'Irak. Leur sœur aînée, Hadiya Hussein, a ensuite mené une bataille juridique de trois ans pour obtenir leur garde et les rapatrier en Irak. Les enfants ne pouvant être placés que sous la tutelle de leurs parents – portés disparus –, ils ont été directement remis par Ankara au gouvernement régional du Kurdistan (GRK) en automne 2020.
Le plus souvent, des passeurs négocient la libération des captifs
Un heureux dénouement à un épisode qui révèle toutefois la présence d'otages yézidis, et de leurs ravisseurs, en Turquie. Ainsi, en février dernier, la police turque a ôté une fillette yézidie des mains d'un ressortissant irakien ayant combattu pour Daech avant de s'installer dans la banlieue nord d'Ankara. L'homme avait tenté de s'en débarrasser sur un site Internet de vente aux enchères d'esclaves.
Si les médias progouvernement turcs mettent en avant le rôle des autorités dans le sauvetage de la fillette yézidie en février dernier et qu'au moins trois autres otages ont été libérés de la sorte, une source impliquée dans des opérations de secours clandestines affirme avoir participé à la libération de plusieurs centaines de Yézidis de manière informelle dans le pays. Le plus souvent, des passeurs négocient la libération des captifs en échange d'une rançon versée aux ravisseurs. Dans certains cas, une fois l'emplacement des otages déterminé, des raids sont menés pour les récupérer de force et les remettre à leurs familles respectives en Irak.
Abdallah Shrem, 46 ans, est l'un de ces passeurs "sauveurs" de Yézidis. Cet ancien apiculteur irakien assure avoir contribué au sauvetage de 399 otages yézidis, dont l'écrasante majorité se trouvait en Syrie et six en Turquie. Aujourd'hui, Abdallah estime qu'entre 400 et 450 Yézidis seraient encore détenus par d'anciens combattants de l'EI ayant élu domicile en Turquie. "Après que Daech s'est affaibli, un grand nombre de ses combattants sont partis vivre en Turquie avec leurs familles pour être en sécurité", avance-t‑il. Parmi les otages qu'Abdallah a secourus en Turquie, la plupart étaient à Istanbul. D'autres à Ankara ou à Kirsehir. Tous étaient entre les mains de Turkmènes d'Irak.
"L'année 2016 marque un tournant car, en s'en prenant à l'État turc, Daech a franchi une ligne rouge
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Il en a aussi délivré des mains de combattants de l'Armée nationale syrienne (ANS), formation disparate composée des forces de l'ex-Armée syrienne libre (ASL) et de milices djihadistes, aujourd'hui contrôlée par la Turquie. "Certains membres de Daech ont rejoint les rangs de l'ANS tout en gardant leurs otages yézidis, assure Abdallah. Et lorsque les captifs sont entre les mains de l'ANS, il est plus difficile de négocier leur libération car elle est soutenue par la Turquie." Ces ex-combattants de l'EI recrutés par l'ANS se trouveraient aussi bien dans le nord de la Syrie qu'en Turquie. "J'ai libéré un enfant [des mains] d'un Irakien qui avait combattu pour Daech avant de rejoindre les rangs de l'ANS, révèle le passeur.
Aujourd'hui, il vit à Ankara et travaille pour une boîte de sécurité turque." Azad Baris, un activiste de la diaspora yézidie en Allemagne, mène également des actions pour secourir des Yézidis captifs en Turquie. "Récemment, raconte-t‑il, un enseignant d'une ville au bord de la mer Noire m'a contacté en me disant qu'il y avait une fille yézidie dans une de ses classes. Et puis tout à coup, la fille a disparu." Comme Abdullah Shrem et d'autres membres de la communauté yézidie, Azad Baris affirme avoir sollicité l'aide des autorités turques à plusieurs reprises. En vain, disent-ils.
Il est de notoriété publique que, au moins jusqu'en 2015, les gardes-frontières turcs ont permis aux recrues du groupe terroriste de rejoindre le front syrien en toute impunité. Mais si de nombreux membres de l'EI ont gagné la Turquie, suite notamment aux débâcles militaires de l'organisation en 2017 et à la chute du "califat" en mars 2019, l'ambiguïté ne serait plus de mise depuis que Daech s'en est pris directement à des cibles de l'État turc. Comme en mai 2016, lorsqu'un membre turc de l'EI a perpétré un attentat à la voiture piégée devant un commissariat de police dans la ville de Gaziantep.
"L'année 2016 marque un tournant car, en s'en prenant à l'État turc, Daech a franchi une ligne rouge, soutient Berkay Mandiraci, chercheur à l'International Crisis Group (ICG) et coauteur d'un rapport sur les revenants turcs de l'État islamique. C'est à ce moment-là qu'Ankara a commencé à considérer l'EI comme un véritable défi." Pour Onur Güler, avocat qui a défendu plus de 70 présumés djihadistes dont quatre ressortissants français, les attentats perpétrés par Daech à l'aéroport d'Istanbul en juillet 2016 et dans la boîte de nuit Reina le 1er janvier 2017 ont accentué ce tournant dans l'attitude d'Ankara envers l'EI.
"Les autorités turques m'ont aidée, mais que vont devenir les coupables? Je veux les voir au tribunal
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"Aujourd'hui, la politique de contre-terrorisme menée contre Daech est très ferme, assure-t‑il. Ça concerne aussi bien les cellules turques que les étrangères." Selon l'agence de presse Anadolu, au cours de l'année 2020, les autorités turques ont ainsi appréhendé 2 343 membres suspectés d'appartenir à l'EI. Un chiffre qui s'élève à plus de 1.200 suspects depuis début 2021, dont 307 au cours du mois de juin.
Reste que, pour l'avocat, force est de constater que les membres de Daech bénéficient d'un traitement plus clément de la part des autorités turques que d'autres groupes considérés comme terroristes tels le PKK ou la nébuleuse güléniste. Au tribunal en tout cas. "En pratique, [l'appareil judiciaire] perçoit Daech de manière plus 'islamique' donc avec davantage d'indulgence, argue-t‑il. La justice a tendance à considérer que les recrues de l'EI sont animées par des motifs spirituels. Alors du moment qu'aucun tort n'a été fait à la Turquie, l'État aura plus de compassion pour eux."
Une indulgence qui, selon l'avocat, vaudrait pour "la majorité" des ressortissants étrangers de Daech provenant de Syrie. "Parmi les accusés français que j'ai défendus, par exemple, l'un d'entre eux aimait beaucoup le président Erdogan. Les Irakiens, quant à eux, voient la Turquie tel un paradis. Ça joue lors des jugements."
Ainsi plusieurs de nos interlocuteurs yézidis estiment-ils "largement insuffisant" l'engagement d'Ankara pour libérer les otages présents sur son sol. Sollicité, le ministère de l'Intérieur turc n'a pas répondu aux demandes d'entretien du JDD. À ce jour, hormis le suspect lié à l'opération de sauvetage de février, aucun ravisseur n'a fait l'objet de poursuites judiciaires. Au grand dam de Hadiya Hussein, la sœur des deux enfants retrouvés à Kirsehir : "Les autorités turques m'ont aidée, mais que vont devenir les coupables? Je veux les voir au tribunal."
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