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Julian Assange entre quatre murs - Rencontre avec le lanceur d'alerte

Vendredi 28 mars, à l’ambassade d’Equateur de Londres. Derrière lui, un fond vert devant lequel il se filme pour communiquer sur Skype ou les réseaux sociaux.
Vendredi 28 mars, à l’ambassade d’Equateur de Londres. Derrière lui, un fond vert devant lequel il se filme pour communiquer sur Skype ou les réseaux sociaux. © Thierry Esch
Par François Labrouillère , Mis à jour le

Menacé par les Etats-Unis, le créateur de WikiLeaks est confiné depuis deux ans dans une pièce à l’ambassade d’Equateur à Londres. Il y a reçu Eva Joly qui se mobilise pour débloquer la situation.

Les 15 mètres carrés où il vit reclus depuis juin 2012 sont envahis par les ordinateurs et le matériel électronique. Au 3 Hans Crescent, à Londres, dans le minuscule bureau mis à sa disposition par l’ambassade d’Equateur, la cheminée d’angle est obstruée par une table où trônent un Mac et trois écrans pour le montage vidéo. A proximité sont posés une caméra haute définition Sony et un appareil photo professionnel Canon 5D. De l’autre côté de la pièce, tendu contre le mur, un fond vert est destiné aux effets spéciaux. Il est encadré par une batterie de projecteurs donnant au local des allures de studio. Partout des livres, des dossiers et des boîtes de rangement. Assisté d’un jeune collaborateur de sa société Sunshine Press Productions, c’est dans ce décor « branché » que Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, reçoit ses visiteurs, comme à trois reprises l’ex-juge Eva Joly.

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Souriant, courte barbe à la mode, tee-shirt et jean noir, l’activiste ­d’Internet ne semble pas trop éprouvé par ces six cent cinquante jours où il est resté cloîtré, sans pouvoir sortir à la lumière du soleil. Mais sa silhouette s’est amincie, ses traits se sont creusés, son teint et ses cheveux paraissent encore plus pâles qu’auparavant. L’air grave, il s’exprime d’une voix lente, fixant du regard son interlocuteur. Ses proches s’inquiètent de la dégradation de son état de santé.

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Les contribuables britanniques ne digèrent pas cette surveillance qui leur coûte 5 millions d’euros 

Dans cette prison virtuelle, sous la protection de l’Equateur, ce petit pays d’Amérique latine qui lui offre l’asile politique, Assange affirme ne pas trouver le temps de s’ennuyer. « Imaginez que vous soyez, comme moi, la cible des superpuissances de la planète et chargé de faire tourner une organisation internationale telle que WikiLeaks… Ça ne vous laisse pas beaucoup de temps libre, ­ironise-t-il. Je n’ai pas d’autre issue que le travail. Pour résister aux attaques dont je suis l’objet, il faut être très concentré, faire preuve de discipline personnelle. Dans mon petit espace, je suis très organisé. »

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Troisième visite d’Eva Joly à l’ambassade d’Equateur. Elle a connu Assange en 2010, en Islande, avant la publication des documents confidentiels.
Troisième visite d’Eva Joly à l’ambassade d’Equateur. Elle a connu Assange en 2010, en Islande, avant la publication des documents confidentiels. © Thierry Esch

Grâce à son équipement informatique, l’ancien programmeur peut rester en contact avec ses nombreux fidèles via Skype, les réseaux sociaux ou sa webtélé WikiLeaks Channel. « Je demeure avant tout un journaliste et un éditeur luttant pour la liberté d’expression », proclame-t-il. Malgré sa réclusion, malgré le blocage de ses comptes par les firmes Visa, MasterCard, PayPal ou Bank of America, sa grande fierté est d’avoir réussi à maintenir WikiLeaks à flot. « Depuis que nous avons diffusé les dépêches confidentielles de la diplomatie américaine, en 2010, WikiLeaks est la cible du Pentagone et de la Maison-Blanche, ­explique-t-il. Partout dans le monde, les journaux ou les éditeurs qui ont publié ces révélations ont été attaqués. Certains ont fait faillite. Mais les actions de la CIA, du FBI ou du Département d’Etat américain n’ont pas suffi à nous abattre. WikiLeaks survit. L’organisation est même en bonne santé financière. »

Aux Etats-Unis, il risque 35 années de réclusion

Avec une obsession qui confine à la paranoïa, l’autre sujet de préoccupation d’Assange est sa sécurité. Quand il nous accueille dans son bureau-cellule, il nous demande de ne pas prendre de photo du mobilier ou de ses ordinateurs, afin de ne pas livrer d’indices pouvant être utilisés par ses ennemis. Puis il nous conduit à la fenêtre donnant sur des dépendances du grand magasin Harrods. « Voyez, là, dans le grand escalier circulaire vitré… Un policier est en faction jour et nuit pour me surveiller. » Sur la table de travail ­d’Assange, à côté du clavier de son ordinateur, est ouvert un de ses livres de chevet, « 1984 », le roman de George Orwell qui décrivait de façon prémonitoire, dès 1949, les dangers d’une société totalitaire où les citoyens sont sous surveillance. Sur l’étagère voisine figure en bonne place « The Whitehall Mandarin », un roman d’espionnage anglais d’Edward Wilson dévoilant les méthodes secrètes des services américains pour préserver la domination des Etats-Unis sur le monde...

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Personnage romanesque s’il en est, Julian Assange a sans doute raison d’être méfiant. Depuis l’été 2010, juste après les premières révélations de WikiLeaks sur l’armée américaine en Afghanistan, il est en butte à un mandat d’arrêt de la justice suédoise qui veut l’interroger sur des accusations de « viol » et d’« agression sexuelle » lancées par deux jeunes femmes. Assange a toujours nié les faits, reconnaissant seulement des « relations consenties ». Il parle de « complot » de l’administration américaine, en réaction à la divulgation des 250 000 télégrammes diplomatiques fournis à WikiLeaks par le soldat Bradley Manning. Pour lui, cette manœuvre des autorités suédoises a un seul objectif : obtenir son arrestation aux Etats-Unis où, à l’instar de Manning, condamné l’été dernier, il risque trente-cinq années de réclusion.

Pour l’heure, même si ces allégations de viol ne sont pas étayées et si aucune charge n’a été retenue contre lui, Julian Assange est sous le coup d’une ordonnance de la justice britannique qui veut à tout prix l’extrader vers la Suède. Depuis qu’il s’est réfugié dans le modeste appartement qui sert d’ambassade à l’Equateur, il y a près de deux ans, un impressionnant dispositif policier a été mis en place pour l’empêcher de s’échapper. Assange relève qu’il a déjà coûté plus de 5 millions d’euros au contribuable britannique et que ce chiffre commence à faire polémique. « C’est toujours pareil, observe-t-il. Les citoyens sont davantage concernés par leur argent que par la défense des droits de l’homme. »

A Stockholm, Eva Joly interpelle les autorités

C’est pour essayer de débloquer la situation que, le 28 mars dernier, Eva Joly lui a rendu visite pour la troisième fois. Elle venait lui relater son intervention, la veille, à Stockholm, auprès des autorités suédoises. L’ex-juge anticorruption, aujourd’hui députée européenne, a connu Assange en Islande, en 2010, juste avant qu’il ne soit dans le collimateur de la justice suédoise. « Je menais alors l’enquête sur les causes de la crise financière islandaise, se souvient-elle, et j’avais été très impressionnée par le travail de WikiLeaks. Nous nous demandions comment les grands banquiers avaient pu mener le pays à la ruine sans que personne n’ait rien vu. Julian Assange est alors arrivé avec l’idée de faire de l’Islande un endroit où les journalistes ne pourraient pas être poursuivis, une sorte de paradis de l’information. Ce concept a eu un énorme retentissement et a débouché sur le projet Icelandic Modern Media Initiative, dont je fais partie et qui est toujours en cours. »

Début 2013, quand elle a appris qu’Assange était bloqué à l’ambassade équatorienne, Eva Joly est venue le voir. Elle y est retournée un an plus tard. Comme rien n’avait bougé, elle a décidé de se rendre à Stockholm pour interpeller directement les juges scandinaves. « Je leur ai suggéré des solutions pour qu’Assange puisse être questionné à distance dans l’affaire de viol dont il est accusé, explique-t-elle. Les magistrats suédois pourraient très bien se déplacer à Londres, de la même façon que je m’étais rendue en Israël pour interroger un suspect de l’affaire Elf qui avait fui la France. Ils peuvent aussi entendre Julian Assange en visioconférence, avec la participation de ses avocats, comme cela se pratique déjà en France. Enfin, il leur est possible de saisir la justice équatorienne pour qu’elle s’occupe elle-même de cette audition. » Pour l’instant, Eva Joly, qui n’a pas pu rencontrer les magistrats chargés du dossier, n’a recueilli que peu d’écho, si ce n’est médiatique, à ses propositions. Mais l’ex-juge ne se démobilise pas. Elle va poursuivre à l’échelon européen son action en faveur d’Assange, dénonçant une atteinte à la présomption d’innocence et la violation du droit de tout citoyen à être jugé dans un délai raisonnable.

Avant de se quitter, Eva Joly et Julian Assange se sont longuement serrés dans les bras. Visiblement ému, l’homme lige de WikiLeaks remercie les Français de faire partie de ceux qui l’ont le plus soutenu. « Il y a chez vous des gens solides, confie-t-il. J’aimerais résider un jour en France. » Après quatre années à jouer au chat et à la souris avec la justice, dont vingt-deux mois enterré vivant dans son réduit de l’ambassade équatorienne, la facture des révélations de WikiLeaks n’est-elle pas trop lourde à supporter ? « Je paie le prix fort, reconnaît Assange. Mais l’enjeu en vaut la peine. »

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