Comment Tolkien a écrit "Le Seigneur des anneaux"

Un manuscrit de Tolkien
Un manuscrit de Tolkien
Comment Tolkien à écrit "Le Seigneur des anneaux"
Publicité

Comment Tolkien a écrit "Le Seigneur des anneaux"

Par

J.R.R. Tolkien, vénérable professeur médiéviste à Oxford, a mis 17 ans à écrire, la nuit sur son "temps volé" et pour ses enfants, l'une des œuvres les plus vendues et lues au monde aujourd'hui : "Le Seigneur des anneaux". Voici les secrets de sa fabrication, en images, analysés par Vincent Ferré.

"Le Seigneur des anneaux est pour Tolkien une sorte de monstre, de réécriture d’un mythe personnel dans lequel il a mis une grande partie de sa vie et de son cœur." Comment J.R.R Tolkien s'y est-il pris pour créer "Le Seigneur des anneaux", qui inaugure tout un genre, la "fantasy" ? Alors qu'une grande exposition est consacrée à l'univers de Tolkien à la Bibliothèque nationale de France, plongez-vous dans les secrets de fabrication de cette œuvre unique en quatre grandes leçons, images exceptionnelles à l'appui, et grâce à l'analyse éclairée du professeur de littérature comparée Vincent Ferré, spécialiste de Tolkien.

1- Ecrire pour ceux qu'on aime : ses enfants, ses amis

Quand le Seigneur des anneaux paraît en 1954, J.R.R Tolkien a 62 ans. Il a mis 17 ans à l’écrire, la nuit, sur ce qu’il appelle son “temps volé”. À l’origine, J.R.R Tolkien, honorable professeur de littérature médiévale à Oxford n’écrit des histoires que pour ceux qu’il aime : ses enfants, ses amis.

Publicité

Vincent Ferré, professeur de littérature comparée : "Tolkien invente des histoires pour ses enfants. Par exemple Roverandom pour consoler son fils qui a perdu un jouet. Il a une facilité extraordinaire à inventer des débuts d’histoires en mobilisant son savoir et ses connaissances en matière de littérature médiévale. Lorsque le Seigneur des anneaux commence à naître en 1937, son fils Christopher a 13 ans. C’est son auditeur privilégié. Christopher a relu les épreuves du Hobbit en cherchant les coquilles, en 1937, et c’est à lui que le Seigneur des anneaux va être envoyé par feuilleton, lorsqu’il commencera un apprentissage pour devenir pilote dans la Royal air force, à 19 ans.

Retrouvant au pub son groupe d’amis écrivains, dont C.S. Lewis, l’auteur du “Monde de Narnia”, et poussé par leurs encouragements, Tolkien leur lit régulièrement des chapitres du Seigneur des anneaux. "Il écrit également en ayant en tête les lecteurs du Hobbit qui ont grandi et qui ont été très nombreux à lui demander des précisions sur le monde des Hobbits. On voit de nombreuses lettres où il répond aux lecteurs, par exemple sur la coutume des cadeaux chez les Hobbits.

2- Commencer par dessiner une carte

Le Hobbit, édité presque par accident, a connu un immense succès auprès des enfants. Puisque ses fils ont grandi avec, Tolkien écrit la suite pour les adultes avec Le Seigneur des anneaux. Le romancier veut parallèlement poursuivre une même oeuvre commencée en 1916 à son retour des tranchées, malade et traumatisé par la guerre : Le Silmarillion, une histoire en poésie et en prose des elfes, des nains, de la création du monde, inspirée des légendes nordiques médiévales : "Tolkien a inventé tout cet univers, et l’histoire de l’anneau ne se situe qu’en 3 018 - 3 019 du IIIe âge."

Comme il ne sait pas très bien par où commencer, et quoi dire après le récit du Hobbit, Tolkien décide de commencer cette nouvelle histoire d’abord en dessinant une carte.

"Il faut savoir que l’imaginaire visuel est fondamental chez Tolkien. Dès sa jeunesse, il a été sensibilisé au dessin, à la calligraphie, à la peinture, par sa mère, Mabel, qui meurt quand il a 12 ans. Et petit à petit, un imaginaire mental s’impose dans ses aquarelles et ses dessins : un paysage de “fantasy” comme il dit. Cet univers va petit à petit donner naissance à la Terre du milieu, le décor du Hobbit et du Seigneur des anneaux. Cette Terre du milieu, c’est un peu comme si on la parcourait avec les personnages. Comme si Tolkien nous racontait en historien des aventures qui se déroulent dans un décor qu’il crée au fur et à mesure. Il explique qu’il a vu surgir des bois de L'Ithilien, un personnage, Faramir, qui s’est imposé dans le récit alors qu’il n’était pas prévu. Tolkien va même jusqu’à faire des croquis ou à dessiner le décor de telle scène sur le manuscrit même où il est en train d’écrire un chapitre. Le plus souvent, il réécrit plusieurs fois, et on voit que ses manuscrits sont écrits au crayon à papier, à l’encre noire, à l’encre rouge, au crayon de couleur bleu, au crayon de couleur rouge. Il porte plusieurs strates, comme un palimpseste médiéval. Il cherche la bonne expression, le bon ton, le bon rythme."

L'Invité(e) des Matins
41 min

3- Inventer des langues pour crédibiliser le merveilleux

Langues elfiques, langue des Ent, noir parlé du Mordor… des dizaines de langues sont parlées dans son monde inventé : "Il faut savoir que la création des langues est à l’origine du Seigneur des anneaux et d’une grande partie de la création littéraire de Tolkien. Depuis son enfance, Tolkien invente des langues. D’abord pour communiquer, sans être compris des adultes. Puis pour lui-même. Parce qu’il aime inventer des langues, comme d’autres aiment composer des morceaux de musique. Très vite, quand il écrit le Seigneur des anneaux, les langues imaginaires servent à rendre singulier chaque peuple. Avec une graphie, un vocabulaire, une grammaire, une prononciation, qui évoluent au fil du temps et en fonction des régions où sont parlées les langues. Il souhaite que les lecteurs entrent dans l’histoire. Et puisque ces lecteurs sont avant tout des adultes, il souhaite que les lecteurs suspendent leur incrédulité. Donc Tolkien a voulu nous aider à entrer dans une histoire, dans lequel le merveilleux est présent mais discret. Afin de nous aider à mieux percevoir notre monde réel, par le prisme de cet univers merveilleux qu’il a inventé.

Tolkien explique que le Seigneur des anneaux lui a demandé une énergie considérable. Et qu’il y a mis toute sa vie. Il explique qu’au moment de la publication c’est son cœur qu’il expose au public. Et qu’il a peur de livrer son cœur aux lecteurs. Et après la parution, Tolkien va beaucoup échanger avec des lecteurs pour leur expliquer que le cœur du récit, ce n’est pas tant l’anneau et la réflexion sur le pouvoir, que peut-être cette réflexion sur la mort et la mortalité, portée dans le récit de manière implicite par le fait que les héros sont des humains, “mortels”, “destinés au trépas” dit le poème de l’anneau. Et vient aux hommes le temps d’agir, et de prendre en main le destin de la Terre du milieu, qui est notre Europe, il y a des milliers d’années."

4- Ne pas craindre une longue épopée avant de rencontrer le succès

Mais le succès, le Seigneur des anneaux ne le connaît que 10 ans après sa parution, de l’autre côté de l’Atlantique, dans une version poche pirate diffusée aux États-Unis : "Et là sur les campus américains, le Seigneur des anneaux devient un livre de référence. Parce qu’il raconte, au-delà de l’aventure de l’anneau, l’histoire de peuples qui défendent leur liberté, et qui luttent contre l’oppression et la guerre.

Donc Le Seigneur des anneaux va devenir le livre d’une génération, au prix d’une lecture très à gauche, qui est une lecture tout à fait possible et conforme au texte. Mais qui pourra surprendre l’auteur, qui lui-même est anglais, vit à Oxford, dans un milieu très différent de sa réception. Ce qui est frappant, c’est que Tolkien, depuis sa publication dans les années 1950, n’a cessé d’être redécouvert, dans toute son œuvre. Et on voit que chaque génération y trouve une manière de réfléchir à des enjeux qui sont nouveaux."

La Compagnie des auteurs
58 min