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Sandrine Rousseau préfère les sorcières aux ingénieurs : l'arnaque de l'écoféminisme
Pour la candidate écolo, les hommes, porteurs de rationalité, construisent des EPR et les femmes, faites d'intuition et de sacré, jettent des sorts.
JOEL SAGET / AFP

Sandrine Rousseau préfère les sorcières aux ingénieurs : l'arnaque de l'écoféminisme

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Sandrine Rousseau préfère "les femmes qui jettent des sorts aux hommes qui construisent des EPR". Mais de quoi parle-t-elle exactement ? Des "sorcières", un courant issu du New Age, qui mélange différentes pratiques et spiritualités ésotériques, et se revendique du féminisme. Il en dessert pourtant la cause : loin d'émanciper les femmes, il les cantonne à une identité stéréotypée pour leur vendre des remèdes inefficaces.

Comment repérer une fraude au militantisme ? Peut-être lorsque, pensant défendre sa cause, le fraudeur en perpétue les pires clichés ? Interrogée par Charlie Hebdo sur la mouvance « écoféministe », la candidate à la primaire écologiste Sandrine Rousseau a eu l'audace de cette déclaration : « Le monde crève de trop de rationalité (...), je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR. » À tous ceux qui pensent que Sandrine Rousseau fait référence à Harry Potter, détrompez-vous. La candidate qui ambitionne de prendre l'Élysée fait en réalité la promotion d'une spiritualité New Age qui a développé tout un marché ésotérique en proposant une approche dite magique du bien-être.

À la fois naturopathes, taromanciennes, voyantes, chamanes, pseudo-thérapeutes et occultistes, les sorcières se réunissent en groupes privés sur les réseaux sociaux et s'empressent de poster leur dernier rituel sur leur page Instagram. Les plus douées d'entre elles - ou les plus malignes - parviennent même à en faire un véritable business, à l'image d'un compte Facebook qui propose des « soins énergétiques » pour 50 euros et des formations pour 99 euros. Rien n'est gratuit, pas même la magie.

Cette situation a attiré l'attention de Mathieu Repiquet du collectif No Fake Med, qui surveille les pseudo-médecines. « Je ne crois pas qu'on soit dans une situation de dérive sectaire ou en présence de gourelles. Pour beaucoup d'entre elles, il s'agit d'une véritable croyance, un mélange entre chamanisme et pratiques occultes. On y retrouve tout le folklore : tarot, lectures d'oracle, astrologie… On peut dire que c'est un syncrétisme qui fait souvent référence à l’intuition comme étant la source la plus fiable de connaissance du monde, aux dépens d'un raisonnement analytique, plus fiable », explique le zététicien (partisan des explications rationnelles).

Aux origines de cette croyance se trouve l'idée selon laquelle les premières sociétés auraient été matriarcales, que les femmes ont longtemps eu le pouvoir de soigner, un pouvoir confisqué par les hommes notamment lors des chasses aux sorcières. Des théories séduisantes aux atours féministes qui n'ont pourtant aucune base scientifique ou historique. Qu'importe la réalité historique : cette autonomisation sorcière permet néanmoins de créer un marqueur identitaire fort, fédérateur et… lucratif.

Devenir druidesse

« Pour moi c’est un peu la longue traîne de la réunion tupperware ou de la soirée pyjama. On est entre copines, on fait des bêtises, à la limite ça pourrait être inoffensif. Mais là, on colore ça d’un vernis féministe et émancipateur alors que c'est tout l'inverse. Ce courant New Age dit aux femmes : "Vous êtes trop idiotes pour faire des mathématiques ou de la biologie, alors tu vas dessiner des pentagrammes, c'est à ton niveau." On peut difficilement faire plus rétrograde », estime l'essayiste et philosophe Peggy Sastre. Une vision confortée par la théorie du « féminin sacré » au centre du culte de beaucoup de sorcières, selon lequel la femme serait porteuse de pouvoirs propres à son statut de femme. Une vision « profondément essentialisante et antiféministe des femmes », fustige Peggy Sastre, ce qui n'a pas l'air de déranger Sandrine Rousseau. Pour la candidate écolo, les hommes, porteurs de rationalité, construisent des EPR et les femmes, faites d'intuition et de sacré, jettent des sorts.

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Une position partagée par Mathieu Repiquet, pour qui, ce « mouvement ne veut pas établir l’égalité des droits mais considère la femme comme une création divine totalement différente, qui n’a pas du tout la même essence que l’humain homme ». Un humain-homme pointé du doigt comme oppresseur des femmes mais aussi comme destructeur de l'environnement et de la Terre mère. « Ces sorcières-là sont très proches des mouvements pseudo-écologistes, c’est un regroupement entre médecines douces et alternatives, des mouvements animistes ou totémiques sur l’écologie » poursuit Mathieu Repiquet. Certaines sorcières se revendiquent donc de cet « écoféminisme » : un courant de pensée selon lequel les femmes et l'environnement seraient tous deux victimes du patriarcat, c'est-à-dire de la volonté de domination des hommes, misogynes et capitalistes.

De plus en plus d'adeptes

Le syncrétisme des sorcières s'exprime également dans des cercles de parole féminins, de plus en plus répandus, inspirés d’un best-seller américain sorti en 1997 et vendu à plus de 3 millions d’exemplaires : « La Tente rouge », d’Anita Diamant (Charleston éditions, 2016). « On voit beaucoup de femmes faire une reconversion professionnelle en ce moment et se diriger vers une formation en hypnose, en naturopathie… Elles deviennent guérisseuses, druides, naturopathes. Elles organisent des stages chamaniques ou des retraites spirituelles… Comme toutes les pratiques de soin non conventionnelles, ça prolifère beaucoup sur un sentiment de méfiance, voire de défiance, envers la médecine moderne. D'après mes observations, je pense que beaucoup d'entre elles y croient sincèrement », explique Mathieu Repiquet.

Et pour preuve, selon un sondage Ifop pour Femme actuelle, « Les Français et les parasciences », 28 % des Français croient aujourd'hui à la sorcellerie ou aux envoûtements. Une progression de 7 points depuis 2001. Contrairement à l'idée populaire selon laquelle la croyance reculerait en Occident, cette étude d'opinion montre bien que les spiritualités marginales et les parasciences bénéficient d'un véritable engouement populaire. Parmi les personnes interrogées, 58 %, déclarent croire à au moins une des disciplines de parascience - à savoir : l’astrologie (41 %), les lignes de la main (29 %), la voyance (26 %), la numérologie (26 %) et la cartomancie (23 %). Et ce recours aux parasciences n'a pas été freiné par la crise sanitaire, bien au contraire, puisque 20 % des adeptes ont vu un spécialiste cette année à propos du Covid-19.

Des alliées de choix

Une progression accélérée par des déclarations publiques ou des cautions morales plutôt surprenantes. Marlène Schiappa, la ministre déléguée à la Citoyenneté, qui a récemment affirmé son intention ferme de lutter contre les dérives sectaires en réformant la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires, déclarait en 2019 : « J'ai des amis qui tirent les cartes ou m'envoient des SMS avant des moments importants : "Je t'ai dit une formule de protection." C'est comme la plume de Dumbo l'éléphant : ça donne confiance. » En 2020, c'est la Délégation Interministérielle des Français d'Outre-Mer, un service du ministère de l'Outre-mer chargé de promouvoir et valoriser les territoires ultramarins, qui déroulait le tapis rouge à une « praticienne ayurvédique ».

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Des publications sponsorisées ont fleuri sur les réseaux sociaux, provenant du compte de la délégation et promouvant un live avec Gwenaëlle Batard, pour aider à « retrouver son bien-être intérieur ». Le tout, en pleine période de crise sanitaire. « Sa pratique consiste à lier développement personnel, yoga, ayurvéda, pensée positive, spiritualité et phytothérapie, analyse Mathieu Repiquet, qui a repéré l'opération sur les réseaux sociaux. Elle réalise des podcasts sur les thérapies de l’âme, la guérison par le son sacré vibratoire, l’astrologie, la guérison spirituelle, les "médecines" douces… Elle organise des ateliers "cercles de femmes" permettant de se connecter aux divinités et énergies cosmiques pour travailler sur soi et son féminin sacré. Elle nous invite aussi à révéler notre divinité intérieure, améliorer la circulation de notre énergie vitale et à se connecter "avec les forces magnétiques de la nature et du cosmos en rendant hommage à la Lune" ».

Adieu, féminisme

L'invasion des sorcières sur le terrain du bien-être et du féminisme n'est pourtant pas près de s'arrêter. D'autant que les rayons des librairies pullulent d'ouvrages qui mélangent, sans honte aucune, tous ces concepts. Les éditeurs cherchent, évidemment, à reproduire le succès de Mona Chollet et de son livre « Sorcière : la puissance invaincue des femmes », qui s'est écoulé à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Selon l'analyse statistique de Livres Hebdo parue cette année, la production consacrée aux femmes a augmenté de 15 % entre 2017 et 2020 pour la non-fiction et près de 72 % d'augmentation concernant l'ésotérisme. Un engouement qui navre Peggy Sastre. « Franchement, si on en est à dessiner des pentagrammes et à brûler de l'encens, c'est vraiment qu'on n'a plus besoin du féminisme. Il est temps de fermer la porte. »

Moins provocateur, Mathieu Repiquet rappelle que ces pratiques peuvent comporter des risques. « Certaines personnes, notamment jeunes ou fragilisées par des évènements de vie, adhèrent radicalement à cela et encourent des risques pour leur santé par absence de prise en charge adaptée ou rupture avec le monde extérieur, alerte-t-il. La cause féministe mérite quand même mieux que des délires ésotériques qui ne servent pas leur cause. Comme souvent avec toutes ces pratiques ésotériques et pseudo-médicales, l'esprit critique est un bon moyen de ne pas se faire rouler dans la farine… »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne