"Cette cicatrice qui nous unit": l'amitié "évidente" de deux otages du Bataclan

Un moment d'humanité au milieu du carnage. Alors qu'ils étaient otages des jihadistes au Bataclan, David a pris la main d'un inconnu "en costard" et lui a soufflé "ça va aller". Née dans la terreur des attentats du 13-Novembre, leur amitié les a aidés à se reconstruire.

AFP Publié le 05/09/2021 à 19:30, mis à jour le 05/09/2021 à 19:30
Deux victimes du Bataclan, Stéphane Toutlouyan (d) et David Fritz Goeppinger posent pour l'AFP à Paris le 28 avril 2021 AFP/Archives / JOEL SAGET

"Je me souviens de tes mots. Pour moi, on était morts. Je ne voyais pas comment ça pouvait bien se terminer. T'étais vraiment optimiste..."

Près de six ans après, Stéphane Toutlouyan et David Fritz Goeppinger parlent sans tabou de ces deux heures passées les armes pointées sur eux. L'un termine les phrases de l'autre. Ils se chambrent, plaisantent, se tapent sur l'épaule, redeviennent sérieux, graves.

"J'oscillais entre +on va s'en sortir+ et +on va tous crever+. Et je me suis demandé qui était ce mec venu en costard à un concert de rock. J'ai pensé: +si je meurs, ça serait con de ne pas le toucher+", raconte David.

Jusqu'à ce vendredi soir de 2015, les deux hommes n'avaient pourtant pas grand-chose en commun.

Stéphane Toutlouyan le 28 avril 2021 à Paris AFP/Archives / JOEL SAGET.

David était un jeune homme aux cheveux longs de 23 ans, arrivé du Chili enfant en France, qui s'apprêtait à devenir barman. Stéphane un informaticien de presque 50 ans, père de famille au crâne rasé. Seul leur goût du rock les avait réunis au Bataclan pour le concert des Eagles of Death Metal.

La soirée avait bien commencé. Jusqu'à ce que David, fan de jeux vidéos, reconnaisse "le son caractéristique du fusil d'assaut AK-47". Comme beaucoup, Stéphane, assis au balcon, a pensé à des pétards. "Puis j'ai commencé à réaliser ce qui se passait sous mes pieds".

Huis-clos

Après la mort du premier jihadiste, tous les deux sont pris en otage avec dix autres personnes par les deux survivants du commando, bloqués dans un étroit couloir long de 10 m.

Trois otages sont placés derrière la porte, les autres devant les fenêtres. Leur rôle: surveiller la rue. "Si vous voyez quelque chose et que vous ne nous prévenez pas, on vous tire dessus et on vous jette par la fenêtre", leur lâchent les jihadistes.

David Fritz Goeppinger pose à Paris le 28 avril 2021 AFP/Archives / JOEL SAGET.

L'un des deux demande à David: "Qu'est-ce que tu penses de François Hollande ?" "Je n'en pense rien, je ne suis pas Français, je suis Chilien", lui répond-il. Stéphane sourit intérieurement et pense au père de son ex-compagne, un Chilien qui lui avait dit: "Où que tu sois, tu soulèves une pierre et tu trouves un Chilien".

Pendant deux heures, ils vivent avec la peur et la mort, les râles des blessés de la fosse, les appels à l'aide.

Enfin les négociations avec les policiers de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) démarrent. Puis c'est l'assaut. Aucun otage n'est gravement blessé: un jihadiste est abattu, l'autre se fait exploser. "L'assaut, c'est un miracle. Ils sont rentrés, ils ont fait leur job avec leur professionnalisme", salue David.

En sortant, les otages réalisent la gravité de l'attaque. Les policiers leur demandent de ne pas regarder la fosse mais ils ne peuvent pas s'empêcher de voir "les montagnes de corps". Quatre-vingt-dix personnes sont mortes au Bataclan.

"Une amitié évidente"

Les chemins des otages se séparent là, dans la nuit, devant la salle. "Mais rapidement, j'ai eu besoin de retrouver les autres, qui ont vécu la même chose que moi", raconte Stéphane. Il contacte David sur Facebook, deux semaines après ils vont boire un verre.

"On ne se connaissait pas, mais on s'est fait une accolade, en mode +on l'a échappé belle+. On a commencé à recoller les pièces du puzzle", explique Stéphane. "Je ne savais pas comment parler de tout ça avec mes proches. Là, c'était plus simple".

"Rapidement, on a eu l'impression de ne pas avoir à construire une relation, parce qu'elle était déjà là. Etre ami, c'était une évidence", poursuit David. "Si un jour ça ne va pas, que ce soit sur le 13-Novembre ou pas, j'appelle Stéphane".

Plusieurs des otages continuent de se voir au moins une fois par mois, comme une banale bande de potes.

"Ça a été un appui indispensable pour se reconstruire, qui a complété les séances de psy, plus impersonnelles. Entre nous, on n'a pas besoin de réexpliquer, on se comprend", dit Stéphane.

David reprend les mots d'une autre amie ancienne otage: "Le soir du 13-Novembre, on s'est tellement serrés les coudes qu'on a du mal à se lâcher". Et il résume: il y a "cette cicatrice qui nous unit".

David Fritz Goeppinger et Stéphane Toutlouyan ont décidé d'assister au procès des attentats. "Ça va boucler la boucle", veut croire ce dernier. Le premier espère juste que la photo du couloir où leur vie n'a tenu qu'à un fil sera montrée à l'audience.

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Var-Matin

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