Solitude, surcharge de travail, dépression : ce que révèle la grande étude de la CGT sur le télétravail

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Solitude, surcharge de travail, dépression : ce que révèle la grande étude de la CGT sur le télétravail

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Pour 8 personnes interrogées sur 10, le partage du temps vie personnelle - vie professionnelle donne du sens au télétravail
Pour 8 personnes interrogées sur 10, le partage du temps vie personnelle - vie professionnelle donne du sens au télétravail
© Getty - Kentaroo Tryman

C’est devenu une habitude pour des millions de Français, une norme dans certaines entreprises. Depuis le premier confinement à cause de l’épidémie de Covid-19, le télétravail s'enracine. Pour la seconde année consécutive, la CGT a mené l’enquête.

Ce sondage est inédit par son ampleur. Plus de 15 000 salariés ont été sondés, de tous les profils, des employés, des cadres, des managers, pour connaître leur ressenti, comment ils vivent le travail à domicile. Le syndicat affirme que le télétravail en mode dégradé du premier confinement reste la norme et réclame un meilleur encadrement. Avant l'épidémie, en 2019, seulement 4% des salariés pratiquaient régulièrement le télétravail, au moins une fois par semaine. France Inter a pu consulter les conclusions de cette grande enquête. 

Au départ imposé, le télétravail finalement plébiscité 

Il y a une forme de plébiscite du télétravail chez les salariés interrogés. 98% d'entre eux souhaitent continuer à télétravailler après la crise sanitaire, de temps en temps seulement, un à deux jours par semaine. Les motivations ? Le gain de temps le matin, fini les longs trajets quotidiens pour rejoindre son lieu de travail. Pour huit personnes interrogées sur 10, c'est aussi le meilleur équilibre vie professionnelle - vie personnelle qui donne du sens au télétravail. 

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Le télétravail est "une révolution heureuse qui m'a permis de m'éloigner de mes collègues toxiques et d'habiter au vert", témoigne une participante de l'enquête. Des chiffres qui font dire à Sophie Binet, la co-secrétaire générale de la CGT des cadres et professions intermédiaires (UGICT-CGT) : "Ces aspirations montrent, en creux, la dégradation des conditions de travail en présentiel dans beaucoup d'endroits, le développement des open-space et des flex office (sans bureau de travail attitré), des salariés qui ne peuvent plus travailler sans être interrompus sur leur lieu de travail et qui, chez eux, trouvent un lieu plus apaisé, avec moins de pression."  

Il permet d'avoir plus d'autonomie... 

71% des participants à l'enquête affirment avoir plus de souplesse sur leurs horaires. Pourtant, ils constatent une augmentation du temps de travail, de son intensité aussi. Paradoxalement, les "répondants" comme les nomme la CGT, se disent en majorité moins fatigués : moins de temps de trajet et un temps de travail non contraint. 

Un salarié témoigne, il ressent "moins de stress en télétravail", car il peut organiser son temps de travail "comme je l'entends sans être surveillé". Des salariés s'estiment plus efficaces : "Enfin les employeurs se rendent compte que le télétravail ne rime pas avec farniente"

… Mais le lien avec les collègues est rompu

Deux salariés sur trois confient ressentir de l'isolement en télétravail, et une coupure avec leurs collègues avec notamment la disparition des temps informels. L'esprit d'équipe s'est dégradé, tout comme la qualité des réunions. "Je suis épuisée, je me sens très isolée, et impuissante face à la souffrance de certains de mes collègues", se désole une salariée. "Les visio-conférences sont trop nombreuses, trop longues et les échanges difficiles", complète un autre participant à l'enquête. Les témoignages ont afflué sur les inconvénients du télétravail. Comme celui de Marie, cadre du secteur privé. Ses bureaux sont fermés depuis mars 2020, le télétravail devenu obligatoire. Elle confie : "Après quelques semaines de productivité accrue, l’absence de contacts informels avec mes collègues a peu à peu réduit ma motivation et donc mon efficacité."  

Tout comme le lien avec ses supérieurs et managers 

Les relations se sont effritées au fil du temps racontent plusieurs salariés et managers. La CGT affirme grâce à son enquête que seulement 8 % des manageurs interrogés s’estiment tout à fait certains de pouvoir détecter une situation de mal-être ou de difficulté dans leur équipe. Stéphanie, manager d’une équipe de 25 personnes agents de terrain et sédentaires pour la production opérationnelle d’informations reconnaît éprouver "des difficultés à maintenir l'esprit d'équipe. Je ne me sens pas assez formée aux outils numériques collaboratifs".  

Sophie Binet, de la CGT, constate que les cadres "ne peuvent plus voir les signaux faibles et jouer leur rôle de prévention". Parfois, les premières alertes sont restées invisibles du fait du télétravail et il est déjà trop tard : 

C'est seulement une fois que le salarié sera en burn-out ou pas loin que le manager va s'en rendre compte. On a des managers qui nous disent très majoritairement que l'état d'esprit de leurs équipes s'est dégradé et qu'ils nous disent aussi qu'ils ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie. 

Télétravailler oui, mais pas toujours bien équipé … 

Avec son enquête, la CGT affirme que la prise en charge des équipements pour télétravailler reste cantonnée aux ordinateurs portables. 10% des salariés interrogés disposent d'équipement de travail ergonomique, comme des fauteuils ou un repose pieds. En revanche, 90% d'entre eux affirment qu'au moins une partie de l'équipement informatique est financé par l'employeur. Concernant les frais liés au télétravail, 7 fois sur 10, les participants à l'enquête précisent qu'ils n'ont reçu aucun remboursement. 

… Ce qui engendre des soucis de santé 

Mal installés, des écrans trop petits, trop de sédentarité : 40 % des sondés se plaignent de troubles musculosquelettiques (TMS) ou de migraines oculaires. L'enquête révèle également que 19 % présentent un symptôme dépressif d'après l'échelle définie par l'Organisation mondiale de la santé. Bien que les temps de trajets aient diminué, 34% des femmes interrogées par la CGT assurent être plus fatiguées en télétravail qu'en présentiel, avec des maux de têtes, maux de dos également. 

Plus d'heures effectuées en télétravail qu'au bureau 

Le constat est limpide pour Sophie Binet : "L'employeur doit garantir un droit à la déconnexion, mais aussi que les heures supplémentaires soient rémunérées et les temps de repos respectés. Ce n'est absolument pas respecté." Un chiffre significatif ressort de l'enquête. En 2021, le temps et la charge de travail ont augmenté pour 47% des salariés interrogés, contre 24% en 2020. "Quand on est en télétravail, il y a une forme de soupçon de travail", estime Sophie Binet. "On se dit que si on ne répond pas instantanément à une sollicitation, on va penser qu'on est en train de faire la lessive, de faire la sieste ou de s'occuper de ses enfants."

Pour les femmes, par exemple, on se sent obligée de répondre instantanément à toute sollicitation. On fait moins de pauses et moins souvent.

Aurélien ne se dit pas "vent debout contre le télétravail", mais il faut que ce soit "du cas par cas et avec un cadre minimal". Pour France Inter, il revient sur ces mois compliqués, amplifiés par un précédent burn-out : "C'est l'enfer. La frontière entre l'espace personnel et l'espace privé était aboli. Quand on habite dans une petite surface, on travaille là où l'on vit. On a constamment sous les yeux sa pile de dossier, des éléments qui nous ramènent au boulot, et qui ne nous permettent pas de nous déconnecter. Je comprends de plus en plus ce besoin de déconnexion." 

Une enquête pour faire bouger les lignes 

Derrière cette grande consultation sur le télétravail, la CGT cherche à interpeller le gouvernement. Si le télétravail reste apprécié par une majeure partie des travailleurs, il y a des zones d'ombres évoquées plus haut : le sentiment de solitude, un lien rompu avec ses collègues et ses supérieurs, la manque de matériel, les horaires à rallonge. "Avec cette enquête, on veut dire au gouvernement et au patronat qu'on ne peut pas continuer comme ça" alerte la syndicaliste Sophie Binet. "Si on laisse les choses comme ça, cela veut dire qu'on accepte que le télétravail dégradé s'installer dans la durée et qu'il devienne une nouvelle norme. C'est une bombe à retardement. Il faut se mettre autour d'une table, encadrer le télétravail, en commençant par imposer la signature d'un accord dans chaque entreprise pour mettre en place le télétravail de façon à ce qu'il y ait un cadre négocié." Pour ainsi permettre aux salariés qui le souhaitent de télétravailler sans contrainte. 

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