C’est peut-être le point d’orgue d’un très long un bras de fer. Ce jeudi, le tribunal de grande instance de Paris doit examiner une requête en référé-liberté (1) déposée par deux associations de protection de l’enfance. Leur but ? Mettre l’État face à ses promesses et ses inconséquences en ce qui concerne l’accès des mineurs à la pornographie en ligne, phénomène devenu massif ces dernières années et érigé désormais au rang de question de santé publique.

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« Les enfants sont massivement confrontés à la pornographie avec les dégâts considérables à la clé, explique Martine Brousse, présidente de la Voix de l’enfant. Certains tombent dessus par hasard, parfois très jeunes, ce qui peut être traumatisant. D’autres recherchent ce type de contenus et grandissent avec une vision complètement faussée d’une sexualité violente et dégradante. »La décision du tribunal de Paris et l’adoption d’un décret attendu depuis un an pourraient bientôt mettre les adultes face leur devoir de protection des plus jeunes, après l’échec du contrôle parental par défaut, pourtant promis par Emmanuel Macron.

« Volonté du législateur »

Concrètement, la Voix de l’enfant et E-enfance assignent les fournisseurs d’accès à Internet (Orange, Free, SFR, Bouygues) afin qu’ils bloquent la diffusion, sur le territoire français, de plusieurs sites pornographiques parmi les plus regardés. « Par constat d’huissier, nous avons établi la preuve qu’ils ne respectent pas la loi. Il suffit de se déclarer majeur pour se connecter, ce qui est insuffisant et les expose à des poursuites pénales », avance Me Laurent Bayon, avocat de la Voix de l’enfant. L’article 227-24 du Code pénal punit en effet quiconque diffuse des contenus pornographiques accessibles par les enfants. Or, estiment les associations, c’est ce que font ces sites, qui, certes, pour certains, demandent l’âge des utilisateurs, mais sans le vérifier par un système d’identification fiable et sécurisé, par carte bleue ou de type FranceConnect, déjà utilisé par les administrations.

Quelle que soit son issue, cette procédure pourrait déjà avoir eu un autre effet, indirect : faire avancer la loi du 30 juillet 2020 qui prévoit le blocagede la diffusion des sites accessibles aux plus jeunes, mais reste jusqu’ici inappliquée faute de décret. « Or elle représente la volonté du législateur », s’apprête à plaider Me Laurent Bayon.

Joint par La Croix, le cabinet d’Adrien Taquet, secrétaire d’État à l’enfance et aux familles, ne compte pas se laisser accuser d’attentisme. « Le décret doit être publié dans les jours qui viennent puisque nous avons obtenu le feu vert de la Commission européenne », affirme son entourage. Dès lors, toute association ou citoyen pourra saisir le président du CSA qui mettra en demeure les sites de se mettre en conformité sous deux semaines, faute de quoi un juge imposera aux fournisseurs d’accès de bloquer leur diffusion.

Changement de perspective

Une telle offensive aurait été impensable il y a encore quelques années, tant les pouvoirs publics ont eu du mal à trouver une parade au problème. « Déjà sous Nicolas Sarkozy, une mission sénatoriale confiée à Chantal Jouanno, avait tiré la sonnette d’alarme, mais il ne s’était rien passé ensuite », rappelle Martine Brousse. Ces travaux, repris sous François Hollande, n’avaient pas plus abouti. « À l’époque, l’attention se concentrait sur les sites. Chacun tentait de trouver des moyens de les fermer, ce qui n’est difficile puisqu’ils sont localisés à l’étranger, hors de portée du droit français », rappelle Sabrina Himmer, juriste de La Voix de l’enfant.

Le changement de perspective est venu d’un amendement de la sénatrice LR Marie Mercier, lors de l’examen de la loi du 30 juillet 2020 contre les violences conjugales. Il ne cherche pas à s’attaquer aux sites eux-mêmes mais à contraindre les fournisseurs d’accès à bloquer la diffusion des sites qui ne s’assurent pas de l’âge de ceux qui les regardent par un moyen fiable et sécurisé. Une démarche bien plus réaliste, puisque visant des opérateurs français, ayant pignon sur rue. « Ce jour-là, le Parlement a fait son travail. Cet amendement a été voté à l’unanimité des groupes politiques après un avis favorable du ministre, se souvient Marie Mercier. Il y avait une faille dans notre droit et nous l’avions comblée. »

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L’abandon du contrôle parental par défaut

Le contrôle parental désigne l’ensemble des moyens mis à la disposition des parents pour limiter l’accès de leurs enfants à certains sites, dont ceux à caractère pornographique.

Le 30 novembre 2019, Emmanuel Macron avait laissé six mois aux opérateurs pour installer un tel système par défaut : l’ensemble des paramètres devaient être réglés de façon à bloquer l’accès aux sites pornographiques, charge aux utilisateurs de les modifier.

Ce système ne verra pas le jour. Les opérateurs se sont contentés de créer un site d’aide au paramétrage, consultable sur jeprotegemonenfant.gouv.fr

(1) Procédure justifiée par l’urgence permettant au juge des référés d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. La décision est rendue dans un délai de quarante-huit heures.