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Claude Evin : "Si tous ceux qui ont parlé en janvier-février 2020 de 'grippette' étaient mis en examen…"

L'avocat et ancien ministre de la Santé, Claude Évin, pointe la difficulté de juger une crise sanitaire au pénal et en temps réel.

Anne-Laure Barret, Camille Neveux , Mis à jour le
Claude Evin.
Claude Evin. © AFP

Ex-ministre de la Santé (1988-1991), Claude Évin a été mis en examen en 1999 par la commission d'instruction de la CJR pour homicide involontaire dans l'affaire du sang contaminé, avant d'obtenir un non-lieu. Il réagit à la mise en examen de l'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn pour "mise en danger de la vie d’autrui ", qui lui inspire "une très grande solidarité". Être responsable politique, c’est assumer la prise de risque. On fait avancer les choses, il faut avoir le courage de porter le débat et de s’expliquer", note-t-il également.

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Que vous inspire la mise en examen d’Agnès Buzyn pour "mise en danger de la vie d’autrui "?
Une très grande solidarité. Le ministre de la Santé est beaucoup plus exposé que d’autres à ce type de risque. À part quelques dossiers portant sur des fraudes diverses commises par des ministres en exercice, ceux qui ont été jusqu’à la mise en examen l’ont été sur des sujets liés à la santé, comme ce fut mon cas dans l’affaire du sang contaminé. La procédure devant la CJR est une procédure pénale. Elle ne devrait pas porter sur des appréciations politiques. La question à examiner est précise : la ministre est-elle directement ou indirectement responsable, au regard de ses prises de position ou décisions ou de leur absence, du décès ou des préjudices subis par les personnes dont les plaintes ont été jugées recevables par la cour ? Selon l’article 223-1 du Code pénal sur lequel se fonde la mise en examen, il faudrait trois conditions cumulatives pour que ça soit le cas : la violation d’une obligation particulière de sécurité et de prudence – nous étions alors dans une situation inédite, cela sera à apprécier –, l’exposition directe d’autrui à un risque immédiat de mort et de blessures, et la violation manifeste de l’obligation de sécurité et de prudence.

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Agnès Buzyn est-elle un bouc émissaire dans cette crise, comme le clament certains élus de la majorité?
Elle était aux affaires jusqu’à mi-février 2020, cette procédure n’est pas anormale quand on est ministre de la Santé. Être responsable politique, c’est assumer la prise de risque. On fait avancer les choses, il faut avoir le courage de porter le débat et de s’expliquer.

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Une mise en examen est toujours très médiatisée. Puis en cas de non-lieu, cela donne quelques lignes dans la presse…

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Comment avez-vous vécu la procédure dont vous avez fait l’objet?
Une mise en examen est toujours très médiatisée. Puis en cas de non-lieu, cela donne quelques lignes dans la presse… J’ai quitté le gouvernement en mai 1991 et j’ai été mis en examen pour homicide involontaire en juin 1999, après la plainte d’une famille dont la fille polytransfusée après un accident avait été dépistée séropositive trois semaines avant son décès, en août 1991. Cela au motif que je n’avais pas rappelé les personnes transfusées. Devant la Cour, j’ai apporté des éléments montrant que, lorsque j’étais ministre, je ne pouvais pas assurer le rappel des personnes transfusées, car à l’époque il n’y avait pas de traçabilité. En revanche, j’avais alerté l’ensemble des professionnels de santé via des courriers. J’ai finalement fait l’objet d’un non-lieu.

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Quelles différences y a-t-il entre la gestion de crise du sang contaminé et celle liée au Covid-19?
La contamination par transfusion sanguine posait des questions proches de celles que nous connaissons aujourd’hui concernant le dépistage. Comme on ne pouvait connaître la population contaminée de cette manière, il y avait des polémiques sur ce sujet, certains préconisant le dépistage de toute la population, mais le débat n’avait pas le caractère médiatique qu’il a aujourd’hui.

Est-il opportun que la CJR instruise l’affaire alors que la crise continue?
Si tous ceux qui ont parlé en janvier-février 2020 de "grippette" étaient mis en examen… Il y a une exacerbation du débat face à une situation complexe. Ces plaintes, suivies de mises en examen, risquent de s’avérer délétères pour les victimes, car le processus n’est pas certain d’aboutir. Ça peut créer des frustrations. Il faudrait trouver des modes de régulation du débat public et de la douleur des victimes autres que via le contentieux. Il vaut mieux développer la médiation.

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Il est venu le temps d’apaiser cette douleur, autrement, et notamment par le dialogue. 

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La gestion de crise n’est-elle pas entravée par le risque pénal?
Dans cette crise, les débats ont été exacerbés, avec invectives et insultes. Des plateformes de dépôts de plainte ont fleuri pour inciter les victimes à se pourvoir en justice. Rechercher des responsabilités en démocratie est fondé, bien sûr. Mais alors que nous ne sommes pas encore sortis de l’épidémie, qu’il y a des décisions à prendre, que les ministres – y compris en poste – soient amenés à s’expliquer sur leur responsabilité directe vis-à-vis du décès de monsieur X me semble complètement décalé. Ce n’est pas le bon moment pour poser ce genre de question.

De nombreuses plaintes émanent de l’avocat Fabrice Di Vizio, dont certains propos contre la vaccination peuvent mettre en danger la vie d’autrui… N’est-ce pas paradoxal?
Un certain nombre de positions ont porté préjudice à des victimes et continuent à le faire. Ça pourrait légitimement faire l’objet d’une procédure.

Des avocats pourraient-ils utiliser la CJR à des fins politiques?
Il y a une instrumentalisation politique, y compris dans des plaintes déposées par des professionnels de santé. Mais au final, peu ont été retenues. Je ne voudrais pas que des victimes soient les otages d’une démarche politique. Celles-ci sont légitimes à demander des comptes, à dire si elles en sont persuadées : 'J’ai été victime et je pense que c’est la faute d’un ministre.' Mais une procédure pénale ne suffira pas à apaiser leur douleur, à plus forte raison si cette procédure n’aboutit pas. Il est venu le temps d’apaiser cette douleur, autrement, et notamment par le dialogue. 

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