Le couple mythique des Albers, icônes du modernisme
A Paris, une vaste et belle exposition montre l’oeuvre croisée d’Anni et Josef Albers.
- Publié le 13-09-2021 à 08h43
- Mis à jour le 13-09-2021 à 09h12
C’est une fort belle et émouvante exposition croisée que le musée d'Art moderne de Paris consacre au couple Anni et Josef Albers, figures magnifiques du modernisme.
Elle montre le lien intime et très complice qui les a unis toute leur vie et leur a permis de résister, d’inventer, de se renforcer mutuellement, tout en créant chacun leur propre art. Ils incarnent le modernisme et ses idéaux. Il forment sans doute le couple d’artistes le plus marquant du XXe siècle, davantage encore que les couples Delaunay ou Arp.
Josef Albers (1888-1976) fut peintre, théoricien de l’interaction des couleurs et de la perception, père de l’Op Art. Des variations de son "hommage au carré" sont dans tous les musées et on les retrouve bien sur à cette exposition.
Quand il rencontra Anni au Bauhaus en 1922, Josef s’y trouvait depuis deux ans, arrivé peu après la fondation de l’école. Catholique, originaire de Westphalie et sans le sou, il a été précédemment instituteur, enseignant toutes les matières à de jeunes enfants, puis professeur d’arts plastiques.
Anni Albers, née Annelise Else Frieda Fleishchmann (1899-1994) fut la plus innovante artiste du textile au XXe siècle. Elle était berlinoise, d’origine juive mais baptisée protestante et bien consciente que son seul nom l’avait fait figurer dans les registres du Bauhaus comme "non allemande". Elle était issue d’une famille fortunée et ses parents avaient envisagé pour elle l’existence d’une grande bourgeoise. Lorsqu’elle fit la connaissance de Josef, elle avait 22 ans, lui, 33. Il a des cheveux blonds, très fins et lisses. Les siens sont exceptionnellement épais et noirs. Ils n’ont à première vue rien en commun, mais, dès le début, ils partagent ce qui est essentiel pour eux : la certitude que l’art abstrait, une connaissance de la technique et des matériaux et une exigence d’honnêteté et de beauté, constituent le salut.
Quand Hitler ferma le Bauhaus, le couple (Anni rappelons-le était juive) émigra en 1933 aux Etats-Unis à l’invitation de l'architecte Philip Johnson, alors au MoMA. Ils devinrent professeurs du mythique Black Mountain College, là où vinrent étudier John Cage, Merce Cunningham et Rauschenberg. Un collège à l’enseignement d’avant-garde, où le couple joua un rôle essentiel.
ils étaient de formidables professeurs et avaient comme objectif: « To open eyes" .
L'exposition présente en alternance et chronologiquement les oeuvres de l'un et de l'autre. Elle insiste à juste titre, avec des films et documents, sur leur enseignement. Anni Albers disait: "Les oeuvres d'art nous apprennent ce qu'est le courage. Nous devons aller là où personne ne s'est aventuré avant nous". Et Josef Albers : "Apprenez à voir et à ressentir la vie, cultivez votre imagination, parce qu'il y a encore des merveilles dans le monde, parce que la vie est un mystère et qu'elle le restera".
Josef et Anni Albers furent très vite fascinés par le Mexique où ils se rendirent 14 fois pour de longs voyages. Ils en ramenèrent des milliers de photographies et plus de mille objets précolombiens (de magnifiques objets sont montrés à l’expo) dont de nombreux textiles (plus précieux chez les Incas que l’or).
Ils ont exprimé le lien très étroit entre l'art des grandes figures modernistes, les leçons du Bauhaus (formes simplifiées, fonctionnalité, "moyens minimum pour une efficacité maximale" ) et l'art des précolombiens : mêmes jeux de lignes et de couleurs, même sérialité. C'est très troublant et cela démontre l'influence de cet art si ancien sur l'Art moderne (comme les Albers l'écrivaient à Kandinsky et Klee). C'était le credo des Albers qui répétaient que "l' art est partout".
Anni à la Tate
Jamais ils ne réalisèrent d’œuvres communes (sauf la décoration des œufs de Pâques !), mais on voit à Paris, qu’ils avaient une même inspiration. Anni Albers expliquait qu’au cœur de leur esthétique se trouvait le souvenir des façades et de motifs géométriques des toits des bâtiments romans et gothiques de Florence où ils avaient passé leur lune de miel en 1925.
L’exposition rend bien hommage à ce couple exemplaire. Si longtemps Josef était le plus connu avec ses hommages au carré, qui sont autant d’exercices sur les couleurs et des tableaux de pure contemplation esthétique, ces dernières années, avec la grande expo à la Tate à Londres, c’est nettement Anni qui prime. Elle a réinventé reste une grande inspiratrice pour les artistes d'aujourd'hui travaillant le textile.
A leur mort, les époux léguèrent leur collection à une Fondation qui propose des résidences d’artistes et organise des riches expositions comme celle-ci.
Anni et Josef Albers, Musée d’Art moderne de Paris, jusqu’au 9 janvier.