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Elsa Triolet, l'écrivaine derrière la muse

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12 septembre 2021

Il y a 125 ans, le 12 septembre 1896, naissait Elsa Triolet. Essentiellement connue pour avoir été la compagne et la muse de Louis Aragon, Elsa Triolet est pourtant une écrivaine prolifique ayant à son actif près d’une trentaine d’ouvrages. Figure de la Résistance, elle est aussi la première femme qui obtient le prix Goncourt.

“Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

Peut-être avez-vous déjà étudié, dans votre scolarité, ces vers de Louis Aragon, époux d’Elsa Triolet. Mais il est peu probable que le grand poète de la Résistance vous ait été ainsi présenté, par son statut marital, comme l’“époux d’Elsa Triolet”. C’est pourtant ce biographème que retient la postérité lorsqu’il s’agit d’évoquer la Résistante, femme de lettres et première lauréate du Prix Goncourt Elsa Triolet. Cette invisibilisation de l’œuvre et du parcours de l’autrice est certes due à la notoriété de son époux -  “elle a été sacralisée en tant que muse, mais c’est sa malédiction”, explique Érik Orsena - mais également à son statut de femme écrivaine-journaliste. 

LES YEUX D'ELSA / ARAGON - VANDAIR et FERRAT. GRENADE

 / M. SVETLOV, E. TRIOLET et J. KOSMA), tiré du roman d'Elsa Triolet "Le rendez-vous des étrangers" ; André CLAVEAU, orchestre dirigé par WAL-BERG, 1956

 

 La naissance d’une écrivaine française

Née à Moscou le 12 septembre 1896, Elsa Triolet arrive en France en 1917 pour suivre son premier amour André Triolet qu’elle quitte quatre ans plus tard. Diplômée d’architecture, passionnée de langues vivantes et de piano, rien ne prédestinait le jeune femme à devenir écrivaine. C’est la publication, à son insu, des lettres échangées avec son ami Victor Chklovski qui révèle le talent de la jeune autrice et lui permet de faire la rencontre déterminante de Maxime Gorki, pionnier du réalisme socialiste. 
Après plusieurs ouvrages parus en Russie (À Tahiti, 1925, Fraise-des-Bois, 1926, Camouflage, 1928), la rencontre de l’autrice avec Louis Aragon au café parisien La Coupole, l’encourage à poursuivre sur la voie de l’écriture. Après avoir traduit en russe plusieurs auteurs français - notamment Céline et Aragon - Elsa Triolet fourbit ses armes dans le quotidien Le Soir, alors dirigé par Aragon et Jean-Richard Bloch, avant de publier son premier roman en langue française : Bonsoir Thérèse (1938, Éditions de minuit) qui marque le véritable baptême littéraire de l’écrivaine, désormais accessible au public français. 

 


Ce Soir, 3 décembre 1938

 


Regards, 27 juillet 1939 

 

 

 

 


Couverture du livre de Pierre Hulin, Elsa et Aragon : souvenirs croisés, 1997. 

 

Une étrangère qui Résiste

« Le mal du pays, ça me connaît. » (Elsa Triolet, dans L’Humanité)

Dans Bonsoir Thérèse, Elsa Triolet évoque les difficultés attenantes à son statut d’étrangère en France. Les thématiques de l’exil ou encore de la solitude parcourent l’œuvre de l’écrivaine qui ne parvient jamais véritablement à oublier sa patrie d’origine. Toutefois, ce “mal du pays” ne l’empêche pas de s’engager dans la Résistance aux côtés de son époux. 
La Drôme en armes : journal d'information française, 15 août 1944, Louis Aragon et Elsa Triolet, Journal illégal publié en 1944 et 1945 par Elsa Triolet entièrement rédigé de sa main. 

 

Considérant que l’on peut agir aussi par l’écriture, Elsa Triolet publie légalement plusieurs œuvres tout en participant activement à la Résistance dans la Drôme. Cet engagement est d’autant plus courageux qu’Elsa Triolet, née Kagan et d’origine juive, encourait elle-même de grands dangers : “comme le montre cet ordre du lieutenant SS Heinz Röthke, l’un des responsables du commandement de la Gestapo et du SD en France, conservé au Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), daté du 21 mars 1944, qui demande au commandeur de la Gestapo de Marseille (contrôlant la région d’Avignon d’arrêter ‘imédiatemment [...] la juive Elsa Kagan dite Triolet, maîtresse d’un nommé Aragon également juif’” (Delranc Gaudric Marianne, « 1945 : Elsa Triolet, première femme à obtenir le Prix Goncourt », La Pensée, 2020/3). Des épisodes autobiographiques de ces années de Résistance sont mentionnés dans Le Premier Accroc coûte deux cents francs, pour lequel Elsa Triolet obtient le Prix Goncourt. 

 

Le Goncourt de 1945, une consécration ?

L’Humanité, 3 juillet 1945

 

L’Aurore, 3 juillet 1945

 

Les Lettres françaises, 4 novembre 1944

 

Regards, 14 juillet 1945
En juillet 1945, c’est sous le pseudonyme de Laurent Daniel - en hommage à Laurent et Danielle Casanova - qu’Elsa Triolet obtient le prix Goncourt pour son recueil de nouvelles qui avaient fait l’objet de publications illégales sous l’Occupation. Si l’ensemble de la presse salue l’ouvrage et le talent d’Elsa Triolet, ce prix obtenu pour la première fois par une femme ne suffit par à consacrer l’autrice. Au contraire, comme l’explique Huguette Bouchardeau dans la biographie qu’elle lui consacre, Elsa Triolet se trouve accusée “d’avoir reçu le prix tant convoité non au mérite mais pour des raisons politiques” et pour racheter les compromissions de certains membres de l’Académie Goncourt pendant la guerre. 
La presse Résistante, qui se félicite que le prix revienne à l’une des leurs, présente le succès de l’autrice en lien avec son sexe et avec les récentes avancées pour les droits des femmes : 

Décidément, la mode en est au sexe dit beau. Après le vote des femmes, les filles en uniforme et beaucoup d’autres choses - dont l’élection de Mme Colette à l’Académie - les dix - qui n’étaient que sept - de ce fameux aréopage viennent de décerner leur prix 1944 à Mme Elsa Triolet pour son recueil de nouvelles, Le Premier Accroc coûte 200 francs. Choix heureux s’il en fut et qui vient couronner fort justement, après quatre ans d’oppression, l’ouvrage d’un écrivain de la Résistance”. 
 

 

 

Engagée pour la cause féminine, Elsa Triolet est surtout une écrivaine de talent que l’on ne saurait réduire à son sexe, ou à son statut de muse. Espérons qu’une réédition prochaine de ces œuvres permettra de faire connaître, non pas les yeux, mais la plume d’Elsa.   
“Je salue ‘la dignité de la femme’, de Jeanne d'Arc à Danielle Casanova, de celles qui se sont couchées sur les rails à Saint-Etienne dans l'autre guerre aux héroïnes quotidiennes qui rendent la vie paisible à leur famille, de celles qui sont tombées pendant l'occupation et la guerre à celles qui se battent pour la Paix aujourd'hui. Je salue la dignité de la femme qui est la même que la dignité de l'homme, de l'être humain qui veut la Paix, sans tenir pour cela à sa vie au delà et au-dessus de la dignité humaine.”

 

“Le don d'écrire de Mme Elsa Triolet est tout à fait remarquable. Elle invente avec une prodigalité qui ne cesse pas d’une page à l'autre. Mais jamais les incidents qui se multiplient dans le cours des aventures qu’elle raconte ne l'empêchent de sauver l'essentiel. Et par essentiel, j’entends évidemment cette contribution à l'histoire que le Prix Concourt a mise en vedette”. 
Roger Lannes, La France, 20 juillet 1945 
Ce Soir, 24 avril 1947
  • Nejma Omari

    Enseignante et doctorante à l'Université Montpellier 3, Nejma Omari travaille sur les rapports entre presse et littérature au XIXe et XXe siècle.

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