En 1925, Victor Vasarely (1906–1997) commence des études de médecine à l’université de Budapest. Il n’y restera pas plus de deux ans avant de bifurquer en 1927 à l’Académie Poldini-Volkmann, puis à l’Académie Muhëly d’Alexandre Bortnyik, le « Bauhaus de Budapest ». Mais ce premier choix traduit un intérêt de l’artiste pour les sciences, qui sera fondamental dans la dimension optique et visuelle de l’art cinétique dont il établira les fondements. Une approche qui guidera aussi la création de son alphabet plastique, sortes de pixels avant l’heure. Il a d’ailleurs travaillé en 1968 avec IBM pour imaginer des tableaux qui pourraient être générés par l’intelligence artificielle à partir de ces unités plastiques, à l’infini. Le projet n’a pas abouti car trop coûteux.
Jusqu’en 1948, Vasarely est encore un peintre figuratif. S’il simplifie au maximum le motif pour ne garder que des lignes, le rapport au réel est toujours présent. En 1948, arrive un choc, comme il le raconte dans ses notes : « C’est à l’abbaye cistercienne de Sénanque, à quelques kilomètres de Gordes, un endroit merveilleux de pureté, que j’ai été frappé par cette chose pourtant si simple, la découpe d’une petite fenêtre dans un mur épais : ce rectangle paraissait noir quand on le voyait de l’extérieur, devenait éblouissant de lumière une fois qu’on était à l’intérieur du bâtiment. » Il retrouvera cette même émotion à Gordes, dans sa maison dans un village de bories. Le retour en arrière n’est plus possible, le basculement vers l’abstraction est entériné.
Lorsqu’il arrive en France en 1930, il n’a pas d’argent. Il met son crayon au service de la publicité et installe déjà les bases de son identité visuelle avec pour principes une sobriété graphique, une complémentarité des noirs et des blancs, la déformation de la ligne pour créer un volume, des images fortes. C’est d’ailleurs en 1938 qu’il crée Zèbres-A, sorte d’acte de naissance de l’art optique. Il travaille pour des maisons pharmaceutiques, Havas, L’Oréal, la SNCF, Air France… et Renault. En 1972, avec l’aide de son fils Yvaral, il révolutionne la marque en proposant ce losange optique aux contours démultipliés, seul, sans la présence du nom. Ce sera la Renault 5 qui arborera pour la première fois ce nouvel emblème : jaune pour les automobiles, rouge pour les camions, vert pour les engins agricoles.
Il était communiste. Il l’a revendiqué, porté par des valeurs sociales qu’il faisait aussi endosser à l’art. Face au succès qu’il a rencontré et à l’étiquette « d’artiste d’État » qui lui a été abusivement plaquée, cette dimension n’a pas toujours été comprise. Lorsqu’il décide de créer sa fondation et d’ouvrir en 1970 son musée didactique à Gordes, c’est pour rendre l’art contemporain accessible à tous. Le second volet de ce projet un brin mégalo sera inauguré en 1976, la cité polychrome du bonheur à Aix-en-Provence, avec une dimension monumentale et architecturale. Pour atteindre son but, il est obligé de jouer du compromis. « Si je ne peins pas des tableaux, avec quoi voulez-vous que je construise ma fondation ? Si je ne les vends pas mes tableaux à une élite privilégiée que je dénonce dans mes notes brutes, je ne peux pas les vendre aux pauvres, j’aimerais bien donner aux pauvres, c’est mon but ! » Un petit côté Robin des Bois….
Vasarely est le peintre de la modernité, oui, mais c’est aussi un peintre qui crée un art cybernétique et numérique. Et dans la France de Joe Dassin et de Claude François, l’œuvre de Vasarely va être choisie en 1969 par le photographe Vernon Dewhurst pour illustrer l’album Space Oddity de David Bowie. La pochette, avec simplement le visage du chanteur sur l’œuvre CTA 25 Neg, devenait ainsi iconique. D’autres embrayeront le pas, Xenakis ou la Deutsche Grammophon côté musique, mais aussi dans l’édition avec Gallimard qui illustre sa collection « Tel », des recueils en sciences humaines. Une véritable déferlante « Vasarely » que rien ne semble arrêter !
50 ans de futur. Gordes magistral !
Du 3 juillet 2021 au 31 octobre 2021
Château de Gordes • 84220 Gordes
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