Le contraste est saisissant. L’immense centre de distribution qu’Amazon s’apprête à ouvrir à Tijuana, ville mexicaine frontalière avec les Etats-Unis, jouxte de misérables baraques en bois et en taule. Publiées au début du mois de septembre, les photographies sont rapidement devenues virales. Les critiques fusent sur le Web contre l’exploitation de la main-d’œuvre mexicaine à bas coût pour alimenter le marché américain.
« Scandaleux », « dystopique », « c’est ça, le capitalisme »… Les qualitatifs des internautes sont sévères contre cet entrepôt ultramoderne rutilant de 32 000 mètres carrés, qui a coûté 21 millions de dollars (17,8 millions d’euros) au leader mondial de la vente en ligne. Sur les clichés du photographe mexicain Omar Martinez, le logo d’Amazon toise le bidonville. « Une image brutale qui reflète de manière crue l’avancée des inégalités dans le monde », a réagi le sociologue Carlos Gomez Gil, le 9 septembre, sur son compte Twitter, faisant du onzième centre de distribution d’Amazon au Mexique le nouveau symbole des ravages de la mondialisation. Dans les régions frontalières mexicaines, le salaire minimal plafonne à 213 pesos (11 dollars, soit 9 euros) par jour, contre 15 dollars de l’heure du côté américain.
Dans une série de tweets, Charmaine Chua, économiste à l’université de Californie, ne mâche pas ses mots : « Le nouveau centre de distribution n’est pas là pour servir le marché local. Il emploiera de la main-d’œuvre mexicaine surexploitée pour répartir des marchandises qui seront réexpédiées de l’autre côté de la frontière. » La firme vient d’ouvrir le plus grand entrepôt des Etats-Unis (306 000 mètres carrés) à Otay Mesa, quartier industriel de San Diego, ville frontalière jumelle de Tijuana, profitant du nouvel accord de libre-échange (AEUMC) signé fin 2018 par Washington, Mexico et Otawa.
Conditions de travail « pénibles »
Mme Chua assure qu’Amazon profite d’une « clause de l’AEUMC lui permettant d’importer du Mexique aux Etats-Unis, sans taxe ni inspection, des marchandises » d’une valeur pouvant aller jusqu’à « 800 dollars ». L’économiste évoque aussi les conditions de travail « pénibles » des employés mexicains de l’entreprise, qui « effectuent des semaines de plus de soixante heures ».
Des allégations niées en bloc par la porte-parole de la firme, Marisa Vano, qui répète que celle-ci respecte le droit du travail mexicain. « Nos salaires et avantages sociaux renforcent les communautés locales, et ces investissements aident ces régions à se développer. » Mme Vano insiste sur le fait que le mastodonte de l’e-commerce « a créé 15 000 emplois au Mexique », auxquels s’ajouteront 250 postes supplémentaires à Tijuana.
L’image de la compagnie est d’ores et déjà écornée des deux côtés de la frontière. Une enquête publiée en avril par l’agence Reuters a révélé que des employés d’un centre de distribution près de Mexico (centre) avaient été soumis à des heures supplémentaires obligatoires au-delà de la durée légale. Pis, certains auraient été poussés à la démission sans indemnités de départ, après avoir contracté le Covid-19. Quelques jours plus tôt, aux Etats-Unis, Amazon reconnaissait que certains de ses employés américains avaient été contraints d’uriner dans des bouteilles afin de tenir les cadences imposées.
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