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Viols à la microsecte "de l'Olympe" : Claude Alonso, les caprices d'un dieu
Le procès de Claude Alonso doit débuter ce 21 septembre à la cour d’assises de Gironde.
Aquitaine Photos/MAXPPP

Viols à la microsecte "de l'Olympe" : Claude Alonso, les caprices d'un dieu

L'affaire du dimanche

Par Lysiane Larbani

Publié le

À la tête d’une microsecte sur le Bassin d’Arcachon, près de Bordeaux, Claude Alonso, 80 ans, est accusé de viols et abus de faiblesse sur personnes en état de sujétion psychologique. Sous fond de mythologie grecque, celui qui se faisait appeler « Zeus » s’entourait de femmes et exigeait des rapports sexuels pour « sauver l’humanité ». Son procès doit débuter ce 21 septembre à la cour d’assises de Gironde.

À Olympie, quatre siècles avant notre ère, Phidias achève dans un temple la construction de l’immense statue de Zeus, troisième merveille du monde antique. Représenté assis sur un trône, il tient dans sa main droite la déesse de la Victoire, Niké, et dans sa main gauche un sceptre surmonté d'un aigle. Le Dieu des dieux, maître de tous, craint et aimé.

Bien des siècles plus tard, en Gironde, un homme rêve d’être Zeus. Claude Alonso, la soixantaine passée, mène une existence banale. Deux divorces, trois enfants, une carrière dans l’immobilier. En 2003, il pose ses valises au Chai du vin, domaine situé à Gujan-Mestras, sur le Bassin d’Arcachon. Une grande demeure, à laquelle est accolée une dépendance de petits logements individuels, l’ensemble entouré de deux grands potagers, d’un poulailler, de terrasses et de points d’eaux.

Avec plusieurs femmes, il vit en marge de la société, en quasi-autosuffisance alimentaire. Pour remplir la trésorerie, son association Samsara propose des cours de danse et de chant dispensés par sa fille, Stéphanie*, qui, à cette époque jeune majeure, réside aussi au Chai du vin. Samsara, dont le nom désigne le cycle des renaissances dans le bouddhisme, a pour objet, selon ses statuts, « l’entraide des êtres pour l’amélioration des conditions de vie par des pensées et des actions positives ».

Ovni et naturopathie

L'attrait de Claude Alonso pour les divinités grecques et les conspirations en tout genre remonte à bien avant. À la fin des années 1980, ce fils d’ostréiculteurs girondins se prend de passion pour l’ésotérisme et le bouddhisme. Il suit des conférences, lit, consulte des voyants… Puis s’improvise magnétiseur-guérisseur. Il prêche alors ses théories fumeuses sur l’hypnose, la naturopathie ou encore l’ufologie, l'étude des extraterrestres. C’est à cette période, lors d’une « séance de régression » – l’exploration des vies antérieures sous hypnose – qu’il apprend avoir été « un dieu de la création du monde et que son âme [est] très ancienne », selon les déclarations d'un membre de l’entourage aux enquêteurs.

Jusque-là, rien de répréhensible. Un personnage charismatique et excentrique qui croit en la réincarnation, prône les médecines alternatives et le retour à la nature… Mais derrière son discours farfelu, Claude Alonso tyrannise ses pensionnaires et fait de cette communauté une secte sur laquelle il règne en gourou.

Cette « famille » de substitution vit au rythme des désirs et exigences de celui qui a pour ambition de reconstituer l’Olympe. Ses disciples, qui l’appellent Zeus ou Héraclès, se prosternent devant lui. Les femmes qui logent au domaine sont renommées avec des noms de déesses de la mythologie grecque : Demeter, Hestia, Proserpine, Artémis…

Orgies et effondrement de l’humanité

Le soir, après le dîner, ses adeptes se réunissent dans une grande mezzanine qui surplombe le salon. Assis sur un trône, revêtu d’une couverture rouge, Claude Alonso domine ses déesses, assises à ses pieds sur des coussins, dans un décorum divinatoire et narcissique où des portraits de lui sont accrochés au mur. Il s’entoure d’un sceptre, d’une épée, d’une boule de cristal et des « Tables de la loi », des écrits qu’il a lui même rédigés sur les instructions du « Haut Conseil », les voix avec lesquelles il dit communiquer.

Là, il prêche sa parole divine jusqu’à tard dans la nuit et dicte aux femmes leurs « travaux », bien souvent de nature sexuelle. Elles doivent, leur explique-t-il, « avoir une petite mort pour une renaissance afin de laisser la place au corps divin » pour arriver à « l’orgasme parfait », dénommé « l’arcane AZF », sous peine de sanction. Pas seulement pour elles, mais pour l’humanité tout entière. Des bacchanales de toutes sortes, qui durent jusque très tard dans la nuit, dont Claude Alonso dit qu’elles permettent la sauvegarde du monde.

Dans l’arrêt de la chambre de l’instruction en date de 2019, que Marianne a pu consulter, les enquêteurs indiquent que « l’emprise psychologique qu’il avait réussi à imposer conduisait ses pensionnaires à craindre les mesures qu’il brandissait. Ainsi, Claude Alonso expliquait sans relâche que les événements, comme la mort d’une femme qui avait quitté la secte de l’Olympe, l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll en 2010 et la catastrophe nucléaire de Fukushima, étaient dus à leur désobéissance, faisant sombrer ces pensionnaires dans la culpabilité et la peur. »

Pour accompagner ces orgies, ces femmes boivent dans des grandes jarres en argile disposées de chaque côté du trône, une boisson, mélange de vin rouge sucré et de Lexomil – un anxiolytique. Mais aussi, une préparation que Claude Alonso conçoit lui-même, mélange de menstruations et de son propre sperme…

Signalement

C’est un courrier, en 2013, de Nadia*, dite Korê Proserpine, ancienne membre de la secte de l’Olympe, à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) qui permet le signalement de Claude Alonso au procureur de la République. Diligentée par le parquet de Bordeaux, l’enquête aboutit, deux ans plus tard, à la perquisition du Chai du vin et la mise en examen de Zeus.

Entendue par les enquêteurs, Nadia explique avoir eu de nombreux rapports sexuels forcés avec Claude Alonso. À son arrivée à la secte de l’Olympe, en 2009, cette femme toxicomane et isolée, à la personnalité fragile, tombe dans ses griffes par le biais de la fille de Claude Alosno, Stéphanie, dite Artémis, qui servait d’appât sur les sites de rencontres ou en soirée échangiste.

En 2012, Nadia tombe enceinte de Claude Alonso – la contraception, jugée « polluante », est proscrite au chai du vin – qui la force à avorter. « Il disait à ma cliente qu’elle portait l’enfant céleste, relate son avocat, Me Joël Frugier, du barreau de Limoges. Il l’a forcée à avorter, car, selon lui, l’enfant était tellement céleste qu’il n’avait pas besoin d’enveloppe corporelle, et donc, d’être mis au monde. »

Cette interruption de grossesse lui permet un déclic. Nadia entraîne Stéphanie dans sa fuite. Elles sont les seules à se porter partie civile dans ce procès. Claude Alonso est aussi poursuivi pour viols incestueux sur sa fille, âgée aujourd’hui d’une quarantaine d’années. « C’est une enfant qui a coupé les liens avec son père à 11 ans, et qui reprend contact petit à petit avec lui à l’âge de 18 ans, explique Me Maleine Picotin-Gueye, son avocate au barreau de Bordeaux. Elle lui racontait tout, il a pu bien décrypter sa fille, pour en faire sa chose. »

Emprise psychologique

Mis en examen en 2015, « Zeus » est placé en détention provisoire en 2016. En raison de son état de santé, la juge d’instruction chargée du dossier ordonne en 2017 son placement sous contrôle judiciaire. En 2019, l’affaire est renvoyée devant la cour d’assises de la Gironde pour « viols » et « abus de faiblesses sur personnes en état de sujétion psychologique ». Claude Alonso bénéficie toujours de la présomption d’innocence.

La caractérisation de « secte » ne fait aucun doute pour la chambre d’instruction. « Les pensionnaires recueillies au domaine se trouvaient à leur arrivée dans un état de fragilité psychologique, le servaient et devaient devenir ses objets sexuels pour assouvir ses perversités et lui rapporter l’énergie pour vivre, note-t-elle. Les femmes arrivant au domaine découvraient d’abord un lieu accueillant, communautaire et proche de la nature, puis le rythme de vie les faisait glisser vers une séparation avec le monde extérieur. »

L’emprise de Zeus aurait été poussée à son paroxysme sur deux adeptes, réduites à l’état d’objet. L’une d’elles, Hestia – la déesse du foyer – retraitée de l’armée de l’Air qui endossait le rôle d’esclave ménager et sexuel, se soumet plusieurs fois par jour à des rapports avec lui. Il ordonne même qu’elle ne porte que des jupes, afin qu’il puisse se contenter rapidement. Ces femmes n’ont pas porté plainte.

« Vous avez aujourd’hui, y compris en France, des personnes dont le gourou est mort et qui restent sous emprise. La distance géographique et temporelle n’a pas nécessairement d’impact sur l’emprise », analyse Me Picotin-Gueye qui estime qu'« une dizaine de personnes demeurent sous le giron de Claude Alonso ».

Pas d'enrichissement

À quelques jours du procès, qui débute ce lundi 21 septembre, et qui doit durer une semaine, l’avocat de la défense, Georges Parastatis, du barreau de Paris, nie tous les chefs d’accusation, et plaidera l’acquittement. « Pour qu’il y ait secte, il faudrait un enrichissement financier déclare-t-il. Quel enrichissement ? Durant toutes ces années, Claude Alonso a collecté quelques milliers d’euros de loyer. » Selon lui, « l’idée de secte vient appuyer un dossier qui n’est pas assez solide ». Ilrappelle par ailleurs que Nadia avait été « sevrée de la drogue au Chai du vin ».

Concernant l'attrait de son client pour les divinités grecques, qui laisse penser à une dérive sectaire, il balaye : « On parle d’épée, d’ésotérisme, de dessins… Dans ce cas-là, vous mettez en examen toute la franc-maçonnerie ! »

Absent à son procès

Le vieillard, qui fête cette année ses 81 ans, rencontre à ce jour de multiples problèmes de santé et subit une perte d'autonomie, selon un certificat médical en date du 18 août, transmis au président de la cour d’assises Jérôme Hars et que Marianne a pu consulter. Le magistrat a ordonné, en ce sens, une expertise médicale. Cette dernière indique que l’accusé peut comparaître « sous réserve d’aménagements respiratoires et moteurs ». L'expert rajoute que cette comparution peut se faire « d’ici deux mois ».

En effet, Claude Alonso ne se rendra pas à son procès le 21 septembre, a prévenu son avocat, qui indique que son client est actuellement hospitalisé en raison d’une opération aux genoux et se trouve en convalescence. « Il est sous morphine. Comment voulez-vous qu’il comparaisse ? », demande ainsi Me Parastatis. La cour d'assises de la Gironde a toutefois décidé que le procès se tiendrait malgré tout. Son avocat entend faire une demande de renvoi. « La cour fait des suppositions comme quoi il aurait fait exprès de se faire opérer à ce moment-là. »

« On n’est pas à l’abri que la défense sabote le procès », craignait déjà Me Picotin-Gueye, quelques semaines plus tôt. « On attend une condamnation, la reconnaissance de leurs déclarations. Une partie de leur vie a été détruite. » « Ma cliente attend juste d’être reconnue comme victime », appuie Me Joël Frugier. Un éventuel report fait craindre que la vie finisse par se charger de Claude Alonso. Et que Zeus échappe à la justice des hommes.

*Les prénoms des parties civiles ont été changés.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne