Appel aux dons

Appel aux dons : sauvez les artistes afghans !

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Persécutés dans leur pays ou réfugiés sans moyens de subsistance, les artistes afghans ont besoin de vous ! « Depuis quelques jours, l’art a disparu d’Afghanistan, car avec les talibans il n’a plus le droit d’exister. » C’est le constat désespéré que dresse Omaid Sharifi, cofondateur d’ArtLords qui a répondu à nos questions le 31 août dernier. Suite à cet entretien et face à l’urgence de la situation, Beaux Arts et Le Quotidien de l’art se mobilisent aux côtés de cette ONG, afin de récolter le maximum de dons.
Illustration produite par ArtLords, ironisant sur le manque de culture des talibans.
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Illustration produite par ArtLords, ironisant sur le manque de culture des talibans.

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Courtesy Omaid Sharifi.

Participer à la collecte :

https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/sauvez-les-artistes-afghans

Peindre les maux de l’Afghanistan sur les murs de béton anti-explosions qui défiguraient Kaboul. Telle a été l’ambition du mouvement populaire d’artistes ArtLords (« les Seigneurs de l’art »), lancé en 2014 à l’initiative d’Omaid Sharifi et Kabir Mokamel, et qui a vu la création de quelque 2 000 fresques aux messages politiques avant tout pacifistes. Avant la reprise de la ville par les talibans le 15 août dernier, l’organisation gérait sept bureaux dans tout le pays et un autre en Virginie, aux États-Unis. Aujourd’hui réfugié, Omaid Sharifi, 34 ans, qui a connu six changements de régime, ne perd pourtant pas espoir et organise un réseau de solidarité internationale. Plusieurs des fresques d’ArtLords ont pourtant d’ores et déjà été détruites par les talibans. Le 4 septembre, il écrivait ainsi sur Twitter : « Vous pourrez peut-être effacer les peintures murales des rues de l’Afghanistan, vous pourrez peut-être faire taire les voix dans certaines parties du pays pendant un certain temps, mais nous crierons si fort que nous serons entendus. Vous ne pourrez pas effacer cela de la mémoire et de la conscience du monde. » Il a répondu à nos questions le 31 août dernier, depuis Abu Dhabi.

Portrait d’Omaid Sharifi, cofondateur des ArtLords de Kaboul
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Portrait d’Omaid Sharifi, cofondateur des ArtLords de Kaboul

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© Photo Sajjad Hussain / AFP.

Dans quel contexte ArtLords a-t-il été créé ?

Omaid Sharifi : Je suis né et j’ai grandi à Kaboul, ville que j’aime et où j’ai tous mes souvenirs. Je devais avoir 3 ou 4 ans quand les Soviétiques ont quitté l’Afghanistan en laissant le pouvoir aux moudjahidines qui les avaient combattus. L’enfant que j’étais a été le témoin des souffrances et de la pauvreté que nous a infligées cette guerre. En 1996, les talibans sont arrivés, ouvrant un nouveau chapitre de notre histoire. Et puis il y a eu le 11 septembre 2001 et l’intervention militaire américaine. Tous ces événements, la violence et la misère que mon pays a connues, je les ai vécus dans ma chair. Au cours de cette période, j’ai rencontré peu de bienveillance, peu de gens prêts à aider les autres. Alors, très tôt, j’ai décidé que j’essaierais de venir en aide à mes concitoyens et de soulager leur souffrance, par tous les moyens possibles. J’ai rejoint des mouvements activistes et protestataires et des organismes caritatifs. Mais après le 11 Septembre, Kaboul est devenu une prison. On y a érigé des murs anti-souffle en béton de 8 mètres de hauteur, d’une grande laideur, qui étaient censés tout protéger : les sites gouvernementaux, les ambassades, les organisations internationales, les trottoirs, les rues…

« L’idée des ArtLords a jailli : nous allions illustrer ces murs et nous encouragerions les gens à venir les peindre avec nous. »

Une clôture a été dressée entre quartiers riches et quartiers pauvres, si bien que dès que je sortais de chez moi, je me sentais suffoquer, comme si je circulais entre les hauts murs d’une maison d’arrêt. On ne voyait plus les beaux immeubles ni même les monuments. On ne voyait plus que la laideur de ces murs de béton. Avec mes amis, nous nous sommes alors demandé ce que nous pouvions faire et, en 2014, l’idée des ArtLords a jailli : nous allions illustrer ces murs et nous encouragerions les gens à venir les peindre avec nous. Il nous tenait à cœur de lutter avant tout contre la corruption, car à ce moment-là, l’Afghanistan caracolait en tête des pays du monde les plus touchés par ce fléau. Je savais que la majorité des Afghans n’étaient pas corrompus. Mais le gouvernement était en faillite. Il me volait donc mon argent et celui de tous les Afghans, surtout ceux vivant dans la pauvreté. Notre première fresque, sous-titrée I See You (« Je te vois »), représentait des yeux.

Aujourd’hui, quel rôle peut jouer l’art en Afghanistan ?

Il représente un espoir et apporte de la couleur et de la beauté dans ce pays qui a tant souffert. Il permet aux Afghans d’imaginer un futur heureux pour eux-mêmes, pour leur pays et pour leurs enfants. L’art est capable de changer les attitudes et les comportements. Nous savons aussi que les séances d’art-thérapie peuvent soulager et guérir. C’est donc un outil puissant et positif. De plus, l’art ne coûte pas cher et il est accessible à tous. Il est donc indispensable de le diffuser aujourd’hui en Afghanistan, comme ce fut le cas en Europe au moment de la Renaissance. Il pourrait faire renaître notre pays.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette fresque réalisée par ArtLords sur un mur de Kaboul ? Les talibans ont déjà détruit la plupart des œuvres de ce groupe d’artistes.
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Que reste-t-il aujourd’hui de cette fresque réalisée par ArtLords sur un mur de Kaboul ? Les talibans ont déjà détruit la plupart des œuvres de ce groupe d’artistes.

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Courtesy Omaid Sharifi.

Historiquement, quel rapport votre pays entretient-il avec l’art ?

C’est une question ardue mais je peux vous raconter ce dont j’ai été le témoin durant les trente dernières années. L’Afghanistan a connu une période de calme et de paix sous le règne du dernier roi, Zaher Shah, de 1933 à 1973. Les dernières années furent les plus mouvementées car les partis politiques ont été autorisés à s’exprimer. Sont alors nés des mouvements d’étudiants mais aussi des mouvements artistiques. À l’époque, si un film indien ou hollywoodien était projeté, il l’était d’abord à Kaboul avant d’être vu au Pakistan, à Islamabad ou à Peshawar, et dans tout autre pays d’Asie centrale. Pouvez-vous imaginer des femmes et des jeunes filles qui allaient au cinéma, se promenaient dans des galeries d’art, au musée, comme cela se faisait en France ou dans n’importe quel autre pays ? Les choses ont changé lorsque les moudjahidines ont opposé une résistance active à cette normalité, soutenus par les Américains et leur argent et aussi par l’establishment pakistanais. Cela a été le début du déclin de l’art en Afghanistan. On n’en parlait plus, on n’y pensait plus. La seule priorité, c’était le communisme ou le djihad. En 1989, quand les Soviétiques sont partis, le gouvernement afghan, soutenu par les Russes jusqu’en 1992, a tenté de gouverner le pays.

« Notre pays est jeune, 65 % de la population a moins de 25 ans. Donc, entre 18 et 19 millions de jeunes Afghans n’ont jamais mis les pieds dans une galerie d’art ou un musée. »

Lorsque ce gouvernement est tombé, tous les studios d’artistes, toutes les œuvres d’art ainsi que notre musée (qui était l’un des plus beaux de la région) ont été pillés par les moudjahidines. Pendant la guerre civile, je ne me souviens pas avoir vu une seule œuvre peinte, où que ce soit dans le pays. Puis quand les talibans ont pris le pouvoir en 1996, ils ont fini de tout saccager et de tout brûler, jusqu’aux DVD, cassettes, etc. Ce fut ensuite le 11 Septembre et les Américains et les forces de l’Otan ont envahi l’Afghanistan. Notre pays est jeune, 65 % de la population a moins de 25 ans. Donc, entre 18 et 19 millions de jeunes Afghans n’ont jamais mis les pieds dans une galerie d’art ou un musée. Ils sont nés et ont grandi pendant la guerre. Ils ne connaissent que les talibans, ignorent tout de notre culture, de l’art de la miniature peinte, de l’école d’art iranienne, de notre calligraphie, de notre histoire. Tout ! Après 2001, les arts et les artistes ont eu l’occasion et les moyens de renaître peu à peu. J’ai constaté la présence d’au moins 200 ateliers d’artistes dans le quartier de Dasht-e-Barchi, à l’ouest de Kaboul. Des expositions avaient lieu chaque semaine, notre galerie était ouverte au public, tout comme les théâtres et les salles de cinéma. Des écoles d’art ont également été créées. La scène artistique était foisonnante. Et voilà que tout s’est de nouveau éteint. L’art n’existe plus en Afghanistan.

Quelle a été la réaction des milieux artistiques et culturels après la reprise de Kaboul par les talibans ?

Certains des artistes que je connais tentent, en ce moment même, de quitter l’Afghanistan. Certains sont déjà en France, d’autres en Albanie, dont quelques-uns de nos ArtLords. D’autres encore attendent une éventuelle évacuation et se cachent avec leur famille car ils craignent pour leur vie. Il y a trois ou quatre semaines, à Kandahar, nous avons vu des talibans emmener un comédien, menottes aux poignets. Il y a quelques jours, ils ont tué un musicien au nord de Kaboul. Les artistes sont terrorisés. Le 16 août, dans ma propre galerie, nous avons caché nos sculptures et détruit les plus grandes d’entre elles car nous avions peur de ne pas pouvoir les dissimuler. Des membres de ma famille ont aussi détruit des sculptures, des tableaux et même des diplômes, parce qu’ils savent ce que font les talibans quand ils débarquent chez quelqu’un et fouillent sa maison. D’innombrables artistes craignent pour leur vie et pour leur art. Plus personne ne crée, tout le monde se cache.

Qu’avez-vous ressenti en détruisant ces sculptures ?

Je suis moi-même artiste. Ces œuvres d’art, y compris celles que je n’ai pas créées, faisaient partie de moi. Il est très difficile d’avoir à détruire une partie de son corps et de son âme. C’est une blessure qui ne guérira jamais. Je me suis dit que j’avais pris la liberté de permettre à ces œuvres d’exister et que je prenais donc la liberté de les démolir. Des artistes ont détruit leurs œuvres car ils ne voulaient pas que des soldats le fassent. C’était un acte de rébellion. Les soldats ne connaissent rien à l’art et à la culture. Ils pensent en noir et blanc.

La nouveauté, avec les talibans d’aujourd’hui, c’est qu’ils contrôlent leur communication. Ils tentent de rassurer la population et la communauté internationale. Vont-ils réellement interdire toutes les formes d’art ?

Il n’existe pas de « talibans nouveaux », il n’y a que des talibans. Ce sont les mêmes qu’en 1996, encore plus puissamment armés. Les talibans d’aujourd’hui haïssent les Afghans et le nouvel Afghanistan parce que, depuis vingt ans, ils ont été relégués dans les montagnes et les contrées reculées du Pakistan.

« Les soldats ne connaissent rien à l’art et à la culture. Ils pensent en noir et blanc. »

Ils ne savent rien de l’évolution du pays. Le jour où ils sont entrés dans Kaboul, j’étais en train de peindre dans la rue et j’ai bien vu leur étonnement. Eux n’avaient pas évolué depuis vingt ans. Ils ont été choqués par tout ce qu’ils ont vu, au point qu’ils étaient incapables de regarder les citoyens dans les yeux. Ils ont débarqué dans des rues apaisées, parmi des gens bienveillants et empathiques. Je vous le dis, ils ont été choqués ! Personne n’est sûr de ce qu’ils vont faire à présent, parce que leur communication est loin d’être claire. Tant qu’ils n’auront pas prouvé leur bonne foi par des actions bien précises, je n’aurai aucune confiance en eux. Je demande à voir quel sera le sort des femmes et comment agira le prochain gouvernement. Nous sommes tous là, à attendre avec anxiété ce qui va se passer dans les jours qui viennent.

Mohsin Taasha, Tavalod-e dobareh-ye sorkh [La Renaissance du rouge], Kaboul (détail)
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Mohsin Taasha, Tavalod-e dobareh-ye sorkh [La Renaissance du rouge], Kaboul (détail), 2017

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Gouache et feuilles d’argent sur papier wasli • 70 × 56 cm • Collection Mohsin Taasha • © Mohsin Taasha

Ce qui diffère d’il y a vingt ans, ce sont les réseaux sociaux. En Iran, le gouvernement ne peut rien contre Instagram et les autres réseaux. Pensez-vous que ceux-ci peuvent devenir un moyen de se libérer ? Ou bien cela vous paraît-il impossible ?

Effectivement, c’est une avancée. S’ils ne sont pas censurés, les réseaux sociaux peuvent devenir un bon outil de résistance. Le monde entier verra ce qui se passe en Afghanistan et les talibans en sont conscients. Les réseaux sociaux sont désormais les seuls à pouvoir obliger les talibans à la modération. Il n’y a rien d’autre. Plus d’ambassades ou de soldats internationaux. Mais l’économie est le défi majeur dans notre pays. En Iran, la situation économique locale est convenable. Malgré les sanctions infligées par la communauté internationale, les Iraniens ont pu survivre et ont encore du pain sur leur table. Ce n’est pas le cas en Afghanistan. Notre économie s’est effondrée au moment où notre président a pris la fuite en trahissant son peuple. Alors peut-on attendre des gens qu’ils résistent sur Instagram, avec le ventre vide, sans rien dans leur assiette ? Je ne pense pas que ce soit possible.

Avez-vous une idée du nombre d’artistes, de musiciens, d’écrivains ou de journalistes qui ont pu quitter l’Afghanistan ?

« Ils ont tout abandonné derrière eux. Ils n’ont plus d’identité, ils ont le coeur brisé et sont épuisés. »

Je ne connais pas le chiffre exact mais je dirais moins de 5 000. Le problème de cette évacuation est qu’elle a été mal organisée. Chacun a pu le constater à la télévision. Ceux qui se sont rués vers l’aéroport n’étaient pas forcément en danger. Je dirais qu’une bonne moitié d’entre eux n’avaient pas besoin d’être évacués. On entendra parler plus tard de toutes ces histoires. Je connais au moins quatre familles qui, parce que leur oncle était un taliban en charge de certaines des portes d’accès à l’aéroport, ont été évacuées et se trouvent aujourd’hui à Abu Dhabi. Moi, je n’ai pas pu franchir les portes de l’aéroport. Je m’y suis présenté trois jours de suite sans pouvoir y entrer.

Que se passe-t-il pour ceux qui ont pu s’enfuir ?

Je suis parti avec les vêtements que je portais et mon ordinateur. C’est tout. J’avais une très belle maison et une belle vie. J’avais des bureaux, une galerie d’art, une collection de plus de 200 tableaux. Ce que j’ai aujourd’hui m’a été donné par une association caritative à Abu Dhabi. Je n’ai plus rien. Et il en va de même pour tous les artistes, journalistes et intellectuels qui ont pu sortir d’Afghanistan. Ils ont tout abandonné derrière eux. Ils n’ont ni argent ni vêtements, ils n’ont rien. Ils n’ont plus d’identité, ils ont le cœur brisé et sont épuisés. Je pense réellement que c’est le moment pour nous de devenir la voix de ceux qui sont restés, mais aussi de soutenir tous ceux qui sont partis. Lorsqu’ils vont pouvoir se poser un peu, ils vont prendre conscience de tout qu’ils ont laissé derrière eux – vingt-cinq ou trente ans de leur vie d’avant –, de ce qu’ils ont perdu. Ce sera le moment de montrer de l’empathie et de la bienveillance à l’égard de tous ces exilés.

Retrouvez les moments forts de notre entretien en vidéo :

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Soutenez les artistes afghans !

Beaux Arts Magazine, le Quotidien de l’Art et ArtLords organisent une collecte en soutien aux artistes afghans réfugiés aux États-Unis ou en Europe mais aussi à ceux restés sur place. Les fonds récoltés seront reversés à l’ONG ArtLords qui les attribuera aux artistes, non pour les aider à produire des œuvres mais pour leur procurer des moyens de subsistance, dont la plupart sont aujourd’hui dépourvus.

Pour tout don de 25 €, une affiche reproduisant l’une des fresques d’ArtLords sera offerte (format A5). Pour tout don de 50 € ou plus, une affiche reproduisant l’une des fresques d’ArtLords sera offerte (format A3).

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