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Archéologie

En Arabie saoudite, des sculptures de dromadaires sont les «plus vieux reliefs d’animaux en taille réelle au monde»

Le site archéologique «du Chameau», découvert en 2016 en Arabie Saoudite, propose une douzaine de sculptures de camélidés et d’ânes. Initialement datées de l’époque antique, ces œuvres finement exécutées datent en réalité du Néolithique et ont été réalisées avec des outils en pierre.
par Camille Gévaudan
publié le 19 septembre 2021 à 23h00

A chaque région du monde son climat et sa faune. A Chauvet, des ours des cavernes et des mammouths sont peints sur les parois de la célèbre grotte. Mais dans la province de Jawf, au nord-ouest de l’Arabie saoudite, ce sont des dromadaires et des ânes que les artistes préhistoriques ont immortalisés sur la pierre… en les sculptant en taille réelle.

Ce site archéologique connu sous le nom de site du «Chameau» (Camel Site en anglais) est étudié depuis quelques années seulement par une équipe franco-saoudienne qui a d’abord estimé que les sculptures remontaient à l’Antiquité. Mais une nouvelle datation est venue bouleverser la vision de ce site unique. Les œuvres d’art nous viennent en réalité de la préhistoire, «au plus tard au cours du VIe millénaire av. J.-C.», précise le CNRS. Les dromadaires n’ont pas été sculptés avec des outils en métal, mais en pierre. Avec cette nouvelle estimation, le site du Chameau «abrite vraisemblablement les plus vieux reliefs d’animaux en taille réelle au monde subsistant à ce jour».

Artistes doués et expérimentés

Situés dans une propriété privée, les trois promontoires en pierre qui accueillent les hauts et bas-reliefs en forme d’animaux ont été repérés par hasard par des riverains. «Cette découverte, dans un secteur quasiment inexploré, est vraiment exceptionnelle», estime le chercheur Guillaume Charloux, du laboratoire Orient et Méditerranée, qui s’est installé sur place avec son équipe pour mener deux saisons d’étude en 2016 et 2017.

Certains rochers sont bien endommagés. L’un s’est effondré au sol et on ne voit plus que la moitié inférieure du dromadaire, ses pattes. Mais les portions de camélidés encore visibles ont frappé les archéologues par la grande finesse de leur dessin. Les dromadaires sont parfaitement proportionnés, figés dans des mouvements naturels et dynamiques. L’un des panneaux représente par exemple un dromadaire couché, de profil, levant la tête vers un équidé (un âne ?) debout à côté de lui. Il est évident que les artistes étaient doués et expérimentés. «Que ce site isolé et apparemment inhabitable ait attiré des sculpteurs de pierre très chevronnés est un témoignage frappant de son importance pour les populations environnantes», analysaient Guillaume Charloux et son équipe dans leur première étude, publiée en 2018 dans la revue scientifique Antiquity. Le chercheur français estime que «ces représentations ont nécessité plusieurs sculpteurs, et plusieurs jours de travail chacune».

Similitudes avec Pétra

Le CNRS notait à l’époque que le style des dromadaires se démarque «de la tradition de représentation régionale, plus schématique et en deux dimensions». Les archéologues ont en revanche trouvé des similitudes esthétiques avec une caravane de dromadaires sculptés dans la ville antique de Pétra, en Jordanie, cité incontournable du peuple nabatéen. Les chercheurs ont alors embrassé l’hypothèse que les artistes du site du Chameau aient pu s’inspirer de la culture nabatéenne, toute proche géographiquement. Cela ferait remonter les sculptures à l’Antiquité, entre le Ier siècle avant et le Ier siècle après J.-C.

Mais cette hypothèse ne reposait pas sur grand-chose. «Hormis les outils en silex retrouvés à proximité, nous n’avons aucun élément de datation diagnostique et nous ne sommes pas certains que ces objets aient servis à réaliser les sculptures», témoignait Guillaume Charloux. Il n’y avait aucune trace d’écriture accompagnant l’œuvre d’art. Et les roches sculptées étaient patinées, écroulées, peut-être très anciennes. On sait en outre que les dromadaires sauvages – pas encore domestiqués – étaient présents dans la région depuis le Ve millénaire avant notre ère. Or, les camélidés représentés sur la roche ne portent aucune charge sur le dos. Les modèles vivants dont ils étaient inspirés pouvaient tout à fait être sauvages.

Outils en pierre

Guillaume Charloux a continué à mener l’enquête sur l’âge réel du site du Chameau, en collaboration avec l’Institut Max-Planck en Allemagne et l’université du Roi-Saoud en Arabie Saoudite, et publie aujourd’hui, dans une nouvelle étude, les preuves que ces impressionnantes sculptures datent du Néolithique. Tout d’abord, les archéologues sont désormais sûrs que ce site a été occupé entre -5 600 et -5 200 grâce aux pointes de flèches néolithiques retrouvées sur place et à une datation au carbone. L’analyse par fluorescence X confirme cette période.

L’étude en détail des sculptures révèle en outre quelques traces d’outils, suggérant que les dromadaires ont été creusés avec des outils en pierre. «Les reliefs ont été retravaillés quand l’érosion a commencé à lisser des détails», notent les archéologues. Et, à partir de l’an -1 000 environ, «l’érosion était suffisamment avancée pour que les premiers panneaux commencent à tomber, dans un processus qui se poursuit aujourd’hui».

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