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Svetlana Tikhanovskaïa : "Le régime de Loukachenko a sous-estimé toute la nation"

Svetlana Tikhanovskaia
Svetlana Tikhanovskaïa à Paris, le 17 septembre 2021. © Dominique Dupont
Interview Kahina Sekkai , Mis à jour le

Cheffe de l'opposition biélorusse vivant en exil en Lituanie depuis qu'elle s'est présentée à l'élection présidentielle d'août 2020 qui s'est soldée par la réélection contestée d'Alexandre Loukachenko, Svetlana Tikhanovskaïa était de passage à Paris. L'épouse de l'opposant emprisonné Sergueï Tikhanovski, une des récipiendaires du prix Sakharov 2020, a répondu à nos questions.

Paris Match. Vous avez rencontré le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian ainsi que d’autres responsables politiques français. Comment se sont déroulés ces entretiens, sur fond d’envoi de migrants depuis la Biélorussie vers la Lituanie et la Pologne? 
Svetlana Tikhanovskaïa. Je peux dire que ces rencontres se sont très bien passées. Ce sont des personnes prêtes à soutenir le peuple biélorusse, être à nos côtés dans ce combat. La France comprend l’importance de la question, surtout que le régime biélorusse représente un danger non seulement pour le peuple biélorusse mais aussi pour l’Union européenne. La résolution de notre crise renforcera la sécurité de l’Europe.

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Emmanuel Macron était le premier président que vous avez rencontré en septembre 2020. Depuis, vous avez multiplié de tels entretiens, notamment avec le président des Etats-Unis Joe Biden. Ces échanges sont-ils cruciaux pour vous?
Chaque rencontre est importante. Cela montre que nous sommes reconnus partout dans le monde, que les pays démocratiques comprennent ce pour quoi nous nous battons, c’est un message clair au régime, et que malgré les mensonges du régime, ces pays sont avec nous. Ils sont prêts à avancer pour mettre fin au régime et aider les Biélorusses.

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"En Biélorussie, personne ne se sent en sécurité"

Treize mois après la réélection très contestée d’Alexandre Loukachenko et les plus grandes manifestations de l’histoire du pays, comment est la vie en Biélorussie?
La communauté internationale voit moins de manifestations maintenant car le prix pour y participer est trop élevé. Montrer ouvertement son soutien à l’opposition est trop dangereux. Les gens savent qu’une résistance trop visible peut leur faire risquer gros, un enlèvement ou un emprisonnement, comme le montrent les exemples de mon mari Sergueï, de Masha (Maria Kolesnikova), Maxime Znak, des milliers d’autres personnes. Mais la volonté de changement n’a pas disparu, notre peuple utilise cette période où il ne peut pas ouvertement résister pour développer d’autres méthodes : il y a des unions au sein des professions, des sortes de communauté chez les enseignants, dans les usines, etc, les gens communiquent secrètement et s’organisent pour mener des grèves nationales. Nous sommes aussi en contact avec des membres des forces de l’ordre toujours en activité qui nous envoient des enregistrements des crimes commis par le régime pendant et après les manifestations.
La vie est très difficile, personne ne se sent en sécurité : les gens peuvent être enlevés chez eux, dans la rue, au travail. Beaucoup se sentent contraints de déménager en raison de la pression. Nous essayons d’aider ceux qui doivent quitter le pays, mais aussi ceux qui y sont toujours, notamment les prisonniers politiques. Mais c’est difficile d’apporter de l’aide à ceux qui sont derrière les barreaux. Nous devons être créatifs, flexibles. 
Il y a une petite place pour agir au sein du pays, mais toutes les communications se font dans le cyber espace et les médias qui ont été détruits en Biélorussie continuent d’émettre depuis l’étranger. En ce moment, en Biélorussie, tout citoyen est un journaliste, qui filme ce qu’il voit et transmet ses images pour qu’elles soient diffusées. Nous utilisons des moyens de communication que le gouvernement ne peut pas contrôler : YouTube, Telegram, Instagram, TikTok… nous devons être créatifs. C’est difficile mais les Biélorusses ne peuvent pas cesser le combat : nous ne pouvons plus vivre sous cette dictature, nous en avons assez. La mentalité a changé, nous avons des milliers d’otages derrière les barreaux à libérer.
Nous voyons que les sanctions fonctionnent, pour isoler politiquement et économiquement ce régime, le rendent très toxique. C’est un moment clé, où seulement la constance peut être l’assurance du succès.

Svetlana Tikhanovskaïa à Paris, le 17 septembre 2021.
Svetlana Tikhanovskaïa à Paris, le 17 septembre 2021. © Dominique Dupont

La communauté internationale a multiplié les sanctions pour tenter d’asphyxier le régime. Alexandre Loukachenko ne s’appuie plus que sur la Russie de Vladimir Poutine, qu’il critiquait pourtant vertement avant sa réélection contestée. Pensez-vous que cette situation peut durer?
Il est certain que le Kremlin comprend que Loukachenko a perdu son image de dirigeant fort, la confiance du peuple biélorusse et qu’il ne représente plus les intérêts du peuple biélorusse. Il commence à coûter trop cher à la Russie et le Kremlin sait que tout contrat passé depuis l’élection de 2020 sera réévalué dans le futur et considéré comme non légitime. Nous savons que la Russie peut faire partie des négociations, comme d’autres pays : nous ne voulons pas couper les liens avec la Russie, les Biélorusses aiment les Russes, nous avons conscience de l’importance de la Russie pour notre économie, nous voulons rendre cette relation plus transparente, plus ouverte, que le peuple puisse comprendre ce qui se passe, qu’il n’y ait pas une seule personne à décider du sort de notre pays. Si la Russie veut être constructive et aider à surmonter cette crise, elle ne doit pas interférer, ne pas fournir d’argent à Loukachenko, que l’on puisse parvenir tous ensemble à une solution. 

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"En acceptant que je sois candidate à l’élection présidentielle, le régime voulait faire de moi un sujet de moquerie"

L’opposition semble ne pas avoir un choix à part la prison et l’exil. Mais les exemples de Roman Protassevitch -journaliste dont l’avion a été détourné, menant à son arrestation à Minsk -, Vitali Chychov -militant retrouvé mort en Ukraine- , Kristsina Tsimanouskaïa -athlète qui a échappé à un retour de force en Biélorussie lors des Jeux olympiques de Tokyo- montrent que, même à l’étranger, ils ne sont pas en sécurité. Vous sentez-vous en sécurité?
Quand on me pose la question de ma sécurité, je tiens toujours à remercier les autorités lituaniennes qui ont mis à ma disposition des équipes pour me protéger. Evidemment, je ne sais pas à quel point le régime a le bras long et ce qu’il peut me faire, mais je pense toujours à tous ceux qui n’ont pas la chance d’avoir une protection policière comme moi. Tous les activistes et journalistes réfugiés à l’étranger peuvent être visés par le régime et gardent toujours en tête les solutions à adopter s’ils sont suivis, s’ils ont l’impression d’être en danger, qui appeler, quel comportement adopter… 

Entre vous, Maria Kolesnikova et Veronika Tsepkalo, vous êtes trois femmes à la tête de l’opposition biélorusse . Comment l’expliquez-vous? Le régime vous a-t-il sous-estimées?
Il est certain qu’en acceptant que je sois candidate à l’élection présidentielle, le régime voulait faire de moi un sujet de moquerie. Ils ne pensaient pas que les électeurs voteraient pour une femme au foyer. Et beaucoup des étapes franchies à l’été dernier l’ont été fortuitement : avec Masha et Veronika, on ne se connaissait pas avant, nous nous sommes rencontrées une fois et en sept minutes, nous avons compris qu’il fallait que l’on unisse nos efforts. Le régime n’a peut-être pas compris que derrière chaque homme fort se trouve une femme forte. Peut-être a-t-il sous-estimé les femmes, la volonté de changement du peuple, la fatigue qu’il a causée, la force du peuple. Ils étaient persuadés que le mouvement cesserait après les trois premiers jours de manifestation après l’élection, que les gens auraient trop peur. Ils ont sous-estimé toute la nation.

"Je suis certaine que nous obtiendrons gain de cause"

Votre mari n’est pas politicien de profession. Auriez-vous pu imaginer, il y a cinq ans, que vous seriez considérée comme la cheffe de l’opposition biélorusse?
Bien sûr que non, ma vie a changé drastiquement. Il y a cinq ans, j’élevais mes enfants, je n’avais aucune intention politique. Il en est de même pour Masha, Veronika… la majorité des personnes impliquées aujourd’hui n’ont pas d’expérience politique. Nous sommes bien sûr entourés de conseillers, d’experts, d’économistes qui nous aident à prendre des décisions mais c’est peut-être cela qui a attiré les gens qui n’auraient peut-être pas voté pour des politiciens professionnels, qui ne comprennent pas toujours les besoins du peuple biélorusse. 
J’ai appris à parler en public, beaucoup d’informations sur la politique, mais je garde toujours en tête la raison pour laquelle j’agis, faire au mieux. Mais c’est un effort collectif, je ne suis pas seule.

Après 13 mois de combat et un exil, avez-vous toujours de l’espoir pour le futur?
Je n’espère pas, je suis certaine que nous obtiendrons gain de cause. On ne peut pas arrêter des gens qui veulent un avenir meilleur pour leurs enfants, qui veulent voir leurs proches libérés de prison. Nous avons peut-être sous-estimé la cruauté de ce régime mais je suis sûre que tôt ou tard, nous l’emporterons. 

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