Chronique 

« Un ivrogne, un brutal, un lubrique » : Paul Verlaine, poète à la fois pathétique et émouvant

François Forestier

François Forestier

LA BOÎTE À BOUQUINS DE FORESTIER. Romans non traduits, nanars introuvables, bizarreries oubliées… Cette semaine, un conseil de lecture de Bernard Blier.

C’était en 1998. Bernard Blier, vaguement malade, était soigné dans une clinique de Neuilly. Une interview ? Mais bien sûr, pour rompre l’ennui. Allongé, amusé, il regardait le journaliste avec une sympathie non dénuée d’ironie. Il collectionnait, disait-il, les cons. En allant dans les bistrots, les gares, les parcs, il repérait le plus intéressants, les faisait parler, mettait en valeur leurs opinions, les collationnait ensuite dans sa mémoire, comme dans un herbier spécial.

Né par hasard à Buenos Aires - son pote François Périer le surnommait : « L’Argentin » - héritier d’une lignée de personnages incongrus (son père achetait des chevaux pour l’armée française dans la pampa ; son grand-père avait inventé la date de péremption sur les yaourts), il était tombé dans le cinéma avec délices, et s’était mis à observer ses semblables, les cons. « Il y en a, disait-il, qui sont des vrais dessus de cheminée ». Il excluait cependant de cette liste ceux qui l’avaient aidé à traverser la guerre, dont François Porché, auteur de « Verlaine ». Le livre - formidable, disait-il - l’avait accompagné après son évasion d’Allemagne. Vingt-trois ans ont passé depuis cette interview : j’ai trouvé le bouquin sur les quais, écorné, jauni, dans l’édition de 1933.

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« Un ivrogne, un colérique, un brutal, un débauché, un lubrique »

« Jamais bébé ne fut plus passionnément désiré de ses parents que le petit Paul », écrit Porché, en signalant toutefois que « de trois grossesses malheureuses, Mme Verlaine gardait les fruits décevants, alignés dans des bocaux d’esprit de vin, sur l’étagère d’une armoire ». C’est donc sous le regard de trois fœtus marinés que le futur poète passa son enfance. Laquelle s’acheva à l’Institution Landry, rue Chaptal, où l’adolescent se mit à écrire des lettres « truffées d’expressions ordurières, d’injures, de coq-à-l’âne, de mots latins, de contorsions et de grimaces ». Débuts littéraires discrets, hygiène douteuse, soirées arrosées par « l’aigre bière flamande et le genièvre à un sou le verre », bitures au Café du Gaz rue de Rivoli, laideur mal assumée, et, enfin, une publication en 1866 : « Les Poèmes Saturniens », livre passé inaperçu.

« Le seul compliment motivé qui parvint à Verlaine lui avait été adressé de Besançon par un professeur d’anglais récemment nommé au lycée de cette ville : Stéphane Mallarmé ».

Et puis… voici Verlaine aperçu à l’enterrement de Baudelaire, puis aux soirées de Nina de Callas, en compagnie de Vallès, de Berlioz, de Flourens. Devenu « un ivrogne, un colérique, un brutal, un débauché, un lubrique », de retour chez sa mère, il brise les bocaux de verre des trois petits frères mort-nés. « Au diable les bocals ! Donnez-moi des argents ! ». Mme Verlaine en pleurant, ramasse les fœtus sur le plancher et les recueille dans un pan de sa robe… Puis, quand un jeune homme écrit à Verlaine, celui-ci répond : « Venez, chère grande âme, on vous attend, on vous admire ». Le jeune homme, c’est Rimbaud.

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« L’air d’un sorcier de village »

Verlaine s’encrapule. Il « se wagonne et se paquebotte intensément ». Douleur, amour, prison, moine trappiste (pendant une semaine), vagabondage, hôpitaux, garnis, brasseries, amitié particulière avec un élève, Lucien Létinois, indigence, ivresse dionysiaque : « Verlaine est devenu un personnage mythologique, avec sa jambe traînante, ses gros souliers, son macfarlane, son cache-nez, son bâton de cornouiller ferré. L’air d’un “sorcier de village”, écrit Anatole France ». François Porché brosse un portrait pathétique, émouvant, du poète. Et quel poète ! Ces fameux « sanglots longs des violons » traînent dans toutes les mémoires, avec une mélancolie poignante. Dans d’autres livres, Porché, nez au vent, musarde en compagnie du souvenir de Baudelaire, écrit un livre sur l’âme slave, décrit « L’Amour qui n’ose dire son nom » et, dans la vraie vie, devient le mari de Pauline Benda, mieux connue sous le nom de Madame Simone, l’ex-compagne d’Alain-Fournier. François Porché est mort en 1944, Madame Simone est partie à 108 ans en 1985, et Verlaine en 1896. Fantômes, fantômes…

Bernard Blier, lui, m’a demandé d’ouvrir la fenêtre de sa chambre, sans crainte du coup de froid sous sa couverture - « Pensez, chui bordé comme une choucroute ! ». Il est sorti de la clinique et, trois mois plus tard, a tiré sa révérence, l’Argentin.

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Verlaine, par François Porché, Flammarion, 1933 (nombreuses rééditions).

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