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Dictionnaire des idées reçues sur la langue des signes française (LSF)

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23 septembre 2021

Longtemps interdite dans l’enseignement, la langue des signes française (LSF) est considérée comme une langue à part entière depuis la loi du 11 février 2005. Elle bénéficie depuis d’une attention croissante dans la culture et la recherche françaises, de l’université au spectacle vivant en passant par la BD et le cinéma.

Signes extraits de l'Alphabet dactylologique de Jérôme Clamaron (1873)
Si les mentalités changent, quelques idées reçues demeurent. Toutes irritantes qu’elles soient, elles représentent l’occasion de revenir sur l’histoire des représentations de la langue des signes… grâce aux collections de Gallica. Allons-y dans l’ordre alphabétique.
 
ARTIFICIELLE. Il ne viendrait à l’idée de personne de demander qui a inventé le français, l’allemand ou l’italien : ce sont des langues naturelles, qui se sont constituées au fil du temps et dont on peut retracer l’histoire. Il en va de même pour les langues des signes. Grâce à Gallica, vous pouvez avoir un aperçu de quelques expressions de la langue des signes française telle qu’elle était signée dans Paris au XVIIIe siècle. Consultez les Observations d’un sourd et muet publiées en 1779 par un auteur sourd, Pierre Desloges dans le but de défendre sa langue contre les préjugés de son époque. À titre d’exemple, il décrit quelques signes à la fin de son ouvrage (p. 42-53) et donne aussi un aperçu de sa grammaire (p. 53-57). On apprend entre autres que dans la langue des signes vernaculaire parisienne du XVIIIe siècle, il y a deux signes différents pour désigner la noblesse (p. 45). Vous le saviez ?  
 
 

 

LANGAGE ou LANGUE ? Les langues des signes sont des langues à part entière. Elles possèdent leurs propres grammaires, distinctes de celles des langues audio-orales. En France, l’expression « langue des signes » forgée par le sociologue Bernard Mottez a permis de se débarrasser des termes comme « langage des gestes », « mimique », ou encore « pantomime », qui entretenaient la confusion avec les formes d’expression théâtrales. Sur l’histoire de la langue des signes française, on peut consulter sur Gallica des extraits d’un ouvrage pionnier publié en 1983 par le linguiste Christian Cuxac. S’il s’intitule Le langage des sourds, c’est parce qu’il est consacré à l’aptitude langagière des sourds en général et non pas seulement à la langue des signes française.  
 
 
 
 
L’ÉPÉE, Charles-Michel (de). Né en 1712, mort en 1789. Malgré ce que prétendent les amoureux des idées reçues, il est l’inventeur des « signes méthodiques » (une méthode gestuelle d’apprentissage du français) et non pas de la langue des signes.  Il a cependant le mérite d’avoir reconnu son existence dès le XVIIIe siècle. Dans son Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques, qu’il publie en 1776, il écrit que « tout sourd et muet qu’on [lui] adresse, a déjà un langage qui lui est familier […] ». L’abbé y insiste : le sourd a acquis cette langue de façon naturelle, au gré de la communication avec ses semblables, « sans le secours de l’art » : « Ce candidat, sans s’en douter aucunement, compose tous les jours des verbes, des noms substantifs et adjectifs, des pronoms, des personnes, des nombres, des temps, des modes, des cas et des genres, des adverbes, des prépositions, des conjonctions, et (plus souvent que nous), des interjections, comme le font à tout moment ceux qui ne savent leur langue que par routine » (t. I, p. 37-38). 
 
 
MIME. Poncif. Non des moins attendrissants. Regardez ce merveilleux extrait des Essais (1582), dans lequel Michel de Montaigne affirme que : « nos muets disputent, argumentent et content des histoires par signes ». Il dresse à l’appui de son propos une interminable liste de tous les actes de langage qu’on peut accomplir par le geste. Le résultat vaut le détour par Gallica. Difficile de ne pas admirer le talent d’observateur de Montaigne. Rappelons toutefois que la LSF n’est pas du mime. Bien des signes de la LSF n’ont rien de mimétique et le signeur, à la différence d’un mime, n’utilise que la partie supérieure de son corps.  
 
 
« Nous requerons, nous promettons, appellons, congedions, menaçons, prions,supplionss, nions, refusons, interrogeons, admirons, nombrons, confessions, repentons, craignons, vergoignons, doubtons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, tesmoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, deffions, despitons, flattons, applaudissons, benissons, humilions, moquons, reconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, rejouissons, complaignons, attristons, desconfortons, desesperons, etonnons, ecrions, taisons... » 
 
UNIVERSELLE. Idée reçue qui va bon train, malgré l’existence d’une journée internationale deS langueS deS signeS. Elle s’enracine dans le fantasme ancien d’un idiome gestuel naturel et connaît son âge d’or au siècle des Lumières : Du Bos, Warburton, Maupertuis, Rousseau, Diderot, Dumarsais supposeront que les premiers hommes s’exprimaient par gestes (langage plus énergique et qui parle plus directement) avant que la parole ne prenne le dessus. Le raisonnement est simple : puisque la nature humaine est universelle, ce que l’on pense être son langage originel doit l’être aussi. L’Institution des sourds et muets, par la voie des signes méthodiques de l’abbé de L’Épée (1776) comprend ainsi un chapitre intitulé « La langue des signes méthodiques peut devenir une langue universelle » (p. 135-158). Retenons de ce cliché qu’il est érudit et qu’il naît une fois de plus d’une confusion entre la langue des signes, le mime et les langages gestuels inventés par les instituteurs. 
 
Maintenant que les idées des gallicanautes sont claires, on pourrait les entretenir de plus en plus souvent de la langue des signes française sur ce blog. Ouvrez l’œil, et même les deux.  

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