REPORTAGEA Stalingrad, l'inquiétude liée au crack reste toujours aussi vive

Crack à Paris : A Stalingrad, les habitants redoutent le retour « des toxicos dès que la police partira »

REPORTAGEMoins d'une semaine après l'évacuation de consommateurs de crack vers la porte de la Villette, certains sont déjà de retour dans le quartier Stalingrad. Au grand dam des riverains
Sur la place Stalingrad, un important dispositif policier limite la réinstallation des
Sur la place Stalingrad, un important dispositif policier limite la réinstallation des  - SIPA / SIPA
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Vendredi, les toxicomanes qui erraient aux abords du jardin d'Eole ont été évacués vers la porte de la Villette.
  • Une partie d'entre eux sont déjà de retour vers la place Stalingrad.
  • La création de lieux d'accueil et de consommation suscitent de vives inquiétudes dans les quartiers concernés.

C’est une scène de la vie ordinaire qui semble pourtant presque extraordinaire. Ce lundi après-midi, sur l’aire de jeux installée au beau milieu des Jardins d’Eole, à la lisière des 18e et 19e arrondissements, une quinzaine de gamins profitent des quelques rayons de soleil de la fin de la journée. Les uns multiplient les glissades sur le toboggan, les autres patientent pour la balançoire. Trois mois après la décision de la maire de Paris d’évacuer les 150 à 200 toxicomanes accros au crack qui passaient leurs journées et une partie de leurs nuits dans le parc, la préfecture de police a procédé vendredi à une nouvelle opération, visant cette fois à emmener ceux qui erraient aux abords du jardin vers la place Auguste-Baron, à deux pas de la porte de la Villette.

« Pour l’instant, c’est calme, je ne sais pas combien de temps ça durera alors on en profite », sourit Hakima, assise à une table de pique-nique avec ses deux enfants. Si à quelques kilomètres de là, les habitants du nord-est parisien mais également d’Aubervilliers et de Pantin se mobilisent pour dénoncer le choix des autorités, elle, savoure la quiétude retrouvée. « Je comprends qu’ils soient en colère, ce n’est pas un cadeau qu’on leur fait », souffle-t-elle. Comme beaucoup de riverains, l’accalmie n’est, à ses yeux, que temporaire. « Je ne suis pas sûre que les envoyer dans un autre quartier réglera durablement le problème, estime Carmen, qui vit à deux rues des Jardins d’Eole. Quand les agents de sécurité partiront, les toxicos reviendront. » Pour l’heure, le parc est sous haute protection, toutes les entrées ont été cadenassées à l’exception de la principale, gardée par six agents en tenue.

« On apporte une réponse répressive à une question sanitaire et sociale »

La sociologue Marie Jauffret-Roustide, chercheuse à l’Inserm et auteure d’une étude menée avec l’Office français des drogues et toxicomanies entre 2018 et 2020 sur le crack à Paris, est également dubitative devant le choix des autorités. « Tout le monde était d’accord pour dire que la situation à Eole devenait intenable mais cela fait vingt ans qu’au lieu de résoudre le problème, on le déplace, qu’on apporte une réponse répressive à une question sanitaire et sociale. » Et d’énumérer l’évacuation de la colline du crack en 2019, du tunnel Rosa-Parks quelques mois plus tard, de la place Stalingrad vers Eole au printemps… « En optant systématiquement pour des solutions temporaires – comme c’est à nouveau le cas – on amplifie le problème, poursuit-elle. Ces déplacements de population épuisent les usagers, mettent à mal le travail des associations et désespèrent les riverains lassés par l’effet de répétition. »

Si les toxicomanes ont disparu des Jardins d’Eole, ils sont encore bien présents dans le quartier. Le soir venu, et malgré une présence policière hors-norme depuis vendredi, ils sont plusieurs dizaines à avoir déjà repris leurs habitudes aux abords de la place Stalingrad. « On sent un changement parce qu’il y en a quand même moins qu’avant mais ils restent présents dans le quartier, confie Amandine en poussant la trottinette de son fils sur le quai de Flandres. Regardez par vous même… » Et de désigner cet homme allongé sur le bord du quai, à deux pas du cinéma, ou ce groupe de cinq toxicomanes qui fument autour d’un banc. Elle, ne rêve que d’une chose, déménager, après avoir été agressée à plusieurs reprises, tant verbalement que physiquement. « Mais l’agent immobilier nous dit que notre appartement a perdu beaucoup de valeur à cause de la situation et je ne vois pas trop comment ça peut s’améliorer. »

Les salles de shoot suscitent l’inquiétude des riverains

Arlette aussi peine à voir « le bout du tunnel ». Voilà près de quarante ans qu’elle vit dans le quartier et des évacuations, elle a vu d’autres. Si bien qu’elle en est persuadée, « ce problème disparaîtra bien après » elle. Cette fois, pourtant, la situation est différente : après un bras de fer avec la mairie de Paris tout l’été, le gouvernement a donné son accord à la mi-septembre pour la création de lieux d’accueil. L’installation des « crackers » porte de la Villette n’est que temporaire, jusqu’à l’ouverture de ces lieux. « C’est une grande avancée dans le débat, à condition que cela soit suivi de faits », estime Marie Jauffret-Roustide, qui plaide depuis plusieurs années pour une approche pluridisciplinaire de la prise en charge du crack. « Lorsque les usagers ne consomment pas dans la rue, ils ont tendance à mieux réguler leur consommation. Ces salles sont donc dans l’intérêt des usagers et des riverains. »

Un point de vue loin de faire l’unanimité dans le quartier. Sur les quatre lieux proposés par la mairie de Paris, l’un d’eux, dans le 20e arrondissement a déjà été abandonné, jugé inadapté. Et les autres suscitent une vive contestation. « Pourquoi on a ce problème et pas le parc Monceau ? On nous dit qu’il faut mettre des salles de shoot à côté des consommateurs, mais on est capable de les envoyer à plusieurs kilomètres quand ça arrange les autorités », peste Saïd, la trentaine. Comme lui, rares sont les personnes interrogées cet après-midi à se dire favorable à l’accueil d’une telle salle. Une manifestation est même prévue dans le quartier samedi pour dénoncer la création de ce type de lieux. La solution temporaire pourrait donc encore s’éterniser.

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