«C’est une forme de terrorisme intellectuel. Je n’ai pas la place pour mes opinions.» Mathis, en master droit public à Paris-I, supporte mal la censure qu’imposent certains étudiants militants porteurs de la culture «woke». Comme lui, de nombreux jeunes considèrent que l’université n’est plus le lieu privilégié du débat. Depuis que les défenseurs de cette idéologie imposent un discours indigéniste, racialiste et décolonial, les polémiques se sont multipliées. En 2019, la pièce de théâtre Les Suppliantes d’Eschyle a été annulée à Sorbonne Université. Des activistes et étudiants reprochaient alors au metteur en scène d’avoir grimé ses comédiens en noirs, le signe selon eux d’une «propagande coloniale». À Sciences Po, des points bonus ont été accordés aux élèves qui utilisaient l’écriture inclusive. Certains étudiants résistent tant bien que mal. Plus récemment, de jeunes rouennais se sont mobilisés pour empêcher le déboulonnage de la statue de Napoléon. Mais l’atmosphère dans l’enseignement supérieur reste pesante.

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«Dès que l’on n’est pas d’accord, on se fait accuser d’homophobie ou de racisme», témoigne Mathis, engagé à l’UNI, syndicat étudiant de droite. Selon lui, le discours woke, majoritairement porté par les associations et syndicats étudiants «très marqués à gauche», a saturé l’espace universitaire. «Ils imposent leur vision.» Et ceux qui ne la partagent pas sont écartés, malmenés par des jeunes qui suivent une «logique de meute».

Lorsqu’on avance que le voile est un symbole d’oppression de la femme par l’homme, on est taxés de racistes ou d’islamophobes, qui est un mot qui tue 

Mathys Dupuis, étudiant en histoire à la Sorbonne

Mathys Dupuis, étudiant en histoire à Sorbonne Université et président de l’association «Dernier Espoir» , en sait quelque chose. «Quand on est militant laïque et sans cesse menacé, on a beaucoup de choses à dire sur la culture woke…», souffle-t-il. Parce qu’il est ouvertement pour la critique des religions, le jeune homme essuie régulièrement les remarques acerbes de ses camarades. «Rien que ce matin dans les couloirs, j’ai entendu le mot ‘‘islamophobe’’ en passant à côté de deux étudiantes», rapporte-il. «Certaines associations d’extrême-gauche qui portent les combats woke, comme l’Unef, empirent la situation. Lorsqu’on avance que le voile est un symbole d’oppression de la femme par l’homme, chose contre laquelle ils présument se battre, on est taxés de racistes ou d’islamophobes, qui est un mot qui tue.»

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Sur les réseaux sociaux ou dans les couloirs de la fac, ceux qui ne s’inscrivent pas dans cette idéologie subissent «la méchanceté des autres, leur méfiance». «Et surtout», regrette Mathys Dupuis, «ces associations attirent des étudiants non politisés, pas très au fait des concepts politiques et sociaux ou des notions comme la laïcité qui est pourtant une valeur républicaine.»

«Il y a un “camp” qui a le droit de dire tout ce qu’il pense des “blancs”, des “bourgeois”»

Solidaires étudiant-e-s, l’Unef... «Ces groupes sont gangrenés par la mouvance woke et l’administration laisse parfois faire», déplore Jade Journée, 19 ans et vice-présidente Les Républicains de Sciences Po. «En ce moment, les étudiants sont en train de proposer des initiatives qu’ils souhaiteraient voir naître cette année», raconte-elle. L’une d’entre elles se nomme «Sciences Pécho». L’objectif est de «se réunir autour de l’art de la séduction grâce à des conférences, des formations ou encore, des discussions autour de l’amour en littérature». Tout cela, «dans le respect d’autrui et la bienveillance», explique-t-elle. L’initiative est finalement considérée comme étant «sexiste» par l’administration qui avait pourtant accepté le projet au début, assure Jade. «C’est la conséquence naturelle des syndicats qui pèsent sur l’administration. La woke culture empêche chacun de s’exprimer.»

Morgane*, 21 ans et étudiante en master à Sciences Po, constate elle aussi que le mouvement woke prend de plus en plus de place dans les discussions entre élèves et notamment sur les réseaux sociaux. «Il y a un “camp” qui a le droit de dire tout ce qu’il pense des “blancs”, des “bourgeois”. Cela n’a pas de sens. Ça ouvre des débats violents sans fin, c’est pénible», explique-t-elle. Avant d’ajouter: «À l’inverse, quand on parle de racialisme, de féminisme, il faut rester sur des propos très convenus. On m’a déjà dit que j’étais soumise au patriarcat sans que je ne m’en rende compte, parce que je ne partage pas ces idées féministes.»

Une logique «tu es contre nous ou avec nous»

Ainsi, les plus timides préfèrent garder leurs opinions pour eux. C’est le cas d’Esther* qui a étudié en licence à l’université de Lille en sciences politiques. «Sur le groupe Facebook de la promo, dès lors qu’une personne s’exprimait contre un blocus, on lui demandait de se taire», témoigne-t-elle. «C’est une ambiance qui ne donne pas envie de s’exprimer. C’est une logique de “tu es contre nous ou avec nous”», avance la jeune femme de 21 ans.

Si aujourd’hui Morgane ose petit à petit hausser le ton, ce n’était pas le cas il y a quelques années quand elle est arrivée à Sciences Po: «Il y a un phénomène de diabolisation des anti-wokes. Mais moi, je suis désolée, cela me choque de recevoir des mails de l’administration de Sciences Po en écriture inclusive. Il m’arrive aussi souvent de contourner les sujets féministes, avec lesquels je ne suis pas toujours d’accord, car je sais que mes interlocutrices vont me rabaisser».

Avant d’arriver à Paris, la jeune femme a commencé ses études sur le campus Europe-Amérique du Nord, à Reims: «De nombreux Américains discutaient de sujets autour de la théorie du genre et des actions d’associations féministes. C’est normal quand on sait que le mouvement woke est né outre-atlantique. Mais il y avait de l’argumentation, et une posture compte tenu de l’histoire des États-Unis. À Paris, je considère que ce sont des bobos de gauche qui prennent part au wokisme. Je regrette que cela s’étende à la France entière», se désole-t-elle.

«Quand vous dites que vous êtes de droite à la fac, vous êtes marginalisés»

La lutte contre le wokisme dans l’enseignement supérieur français, et en particulier dans les universités, est un combat depuis longtemps pour certains syndicats notamment ceux de droite. «L’UNI dénonce le mouvement woke depuis des années. Il y a une progression de ces idées chez les professeurs qui se sentent toujours plus libres de professer un militantisme sans se cacher. On le voit aussi chez les étudiants qui commencent à être imprégnés de ces idées. Quand vous dites que vous êtes de droite à la fac, vous êtes marginalisés», regrette Jacques Smith, délégué national de l’UNI.

Contactée par le Figaro Étudiant, l’Unef a décliné notre demande d’interview. Elle justifie son refus en indiquant s’intéresser «en priorité aux sujets de précarité et au nombre de places à l’université».

* Le prénom a été modifié


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