Nord de la Syrie : le manque d'accès à l'eau menace la santé de la population

Plus de 1,7 million de personnes déplacées habitent dans un camp, dans le nord-ouest de la Syrie. La plupart ont fui le conflit et vivent dans des conditions précaires. Syrie. 2021.
Plus de 1,7 million de personnes déplacées habitent dans un camp, dans le nord-ouest de la Syrie. La plupart ont fui le conflit et vivent dans des conditions précaires. Syrie. 2021. © Abdurzaq Alshami

Depuis plusieurs mois, la population du nord de la Syrie fait face à d’inquiétants problèmes d’accès à l’eau potable. Les infrastructures hydrauliques ont été endommagées par la guerre, qui dure depuis plus de 10 ans. Et 3 millions de personnes, dont beaucoup ont été déplacées à cause du conflit, en paient les conséquences.

« Même quand l’eau est disponible pour la population du nord de la Syrie, souvent, elle n’est pas potable, explique Ibrahim Mughlaj, promoteur de la santé pour MSF dans le nord-ouest de la Syrie. Nous sommes régulièrement confrontés à l’impact de ce manque d’eau potable. Dans les camps de personnes déplacées, des maladies se propagent à cause de cette situation : la diarrhée, l’hépatite, l’impétigo, ou encore la gale. »

Les acteurs humanitaires tentent de répondre aux nombreux besoins des populations du nord de la Syrie, mais l’accès limité aux infrastructures dédiées à l'approvisionnement en eau et à son assainissement atteint un point de rupture, en grande partie dû à la diminution des fonds disponibles pour financer ce type d’activités. Les opérations liées à l’assainissement, l’hygiène et l’accès à l’eau ne représentent actuellement que 4 % du budget de la réponse humanitaire en Syrie. Par rapport à l’année dernière, une diminution de près de 70 % des sommes dépensées est observée.

L’impact de la diminution des fonds

Cette diminution des fonds disponibles a forcé de nombreuses organisations à mettre fin à leurs activités d’acheminement de l’eau dans plusieurs camps. Des zones telles que Deir Hassan, par exemple, ont été sévèrement touchées par cette réduction. « Entre les mois de mai et juin 2021, qui représente la période durant laquelle certaines de ces activités ont été interrompues, le nombre de maladies hydriques a augmenté de 47 % », souligne Teresa Graceffa, la coordinatrice médicale de MSF pour la Syrie.

Un membre des équipes MSF dans un camp du nord de la Syrie, lors d'une intervention d'assainissement. Syrie. 2021.
 © Abdurzaq Alshami
Un membre des équipes MSF dans un camp du nord de la Syrie, lors d'une intervention d'assainissement. Syrie. 2021. © Abdurzaq Alshami

En juillet 2021, les équipes MSF ont également remarqué une augmentation du nombre de cas de diarrhées dans plus de 30 camps dans le gouvernorat d’Idlib. Elles ont aussi détecté des cas de gale et d’autres maladies transmises par l’eau, lors de leurs consultations dans ces camps de déplacés.

Depuis le début de l’année, 28 % de l’ensemble des consultations menées dans l’un des hôpitaux soutenus par MSF dans le gouvernorat d’Idlib sont des cas de diarrhée aqueuse aiguë. Les équipes ont donc lancé une réponse d’urgence temporaire et ont installé un point de réhydratation orale au sein de cet hôpital, pour traiter les patients souffrant de déshydratation légère à modérée. Elles ont également informé et sensibilisé la population sur la meilleure façon d’éviter la propagation de maladies telles que la diarrhée.

« C’est un défi récurrent auquel nos équipes doivent faire face. Cela est lié à un problème structurel qui ne fait qu’empirer, puisque les fonds pour ce genre d’activités ne cessent de diminuer », explique le docteur Mohammed El-Mutwakil, coordinateur de terrain pour MSF. 

« De plus, le nord-ouest de la Syrie fait actuellement face à une augmentation massive des cas de Covid-19, et l’accès limité à l’eau entrave également la capacité des populations à respecter les mesures d’hygiène essentielles pour la prévention et le traitement du virus », ajoute Ibrahim Mughlaj.

Dans le nord-est de la Syrie, la population est très affectée par les maladies transmises par l’eau. L’insécurité alimentaire s'accroît, comme le risque de malnutrition, dû à la qualité médiocre de l’eau ainsi qu’à sa disponibilité limitée. Un centre de santé primaire soutenu par MSF à Raqqa a ainsi rapporté que le nombre de cas de diarrhées en mai 2021 était en augmentation de 50 % par rapport à l’année précédente.

Des femmes habitant un camp pour personnes déplacées transportent de l'eau fournie par MSF. Syrie. 2021.
 © Abdurzaq Alshami
Des femmes habitant un camp pour personnes déplacées transportent de l'eau fournie par MSF. Syrie. 2021. © Abdurzaq Alshami

À Hassakeh, plus d’un million de personnes souffrent d’un accès limité à l’eau depuis près de deux ans. Cela est dû aux perturbations répétées et soutenues de l’acheminement en eau depuis la station d’Alouk, qui est sous le contrôle des autorités turques. La population du nord-est de la Syrie est également touchée par la réduction importante du volume d’eau provenant de l’Euphrate, qui représente une source d’approvisionnement en eau majeure dans la région.

Combler les lacunes

Le nombre insuffisant d’infrastructures dédiées à l'approvisionnement en eau et à son assainissement oblige souvent la population à s’adapter, en adoptant parfois des pratiques qui peuvent s’avérer dangereuses. « Quand l’eau est disponible, on l’achète, mais si elle ne l’est pas, on est obligé d’attendre l’aide des organisations ou de collecter l’eau de pluie grâce à des récipients, explique Hussain Muhammad, qui habite un camp de déplacés du gouvernorat d’Idlib. Le problème, c’est que la pluie coule par les toits des tentes, qui ne sont pas propres. Et cette eau, qui n’est pas bonne, est utilisée pour boire ou se laver. Cela provoque des maladies, des irritations, de la gale et des boutons. De plus, elle contient du calcaire et du sable. Nous avons utilisé cette eau et mon fils d’un an a développé une maladie des reins. On m’a dit de lui acheter des bouteilles d’eau, mais je n’en avais pas les moyens. »

En réponse à cette crise hydrique et sanitaire sévère, les équipes de MSF ont mis en place une réponse complète en matière d’activités liées à l’assainissement, l’hygiène et l’accès à l’eau. Au printemps 2021, alors que le manque de fonds devenait de plus en plus évident, les équipes ont pris la décision d’augmenter de façon temporaire le volume de ces activités. « Nous avons doublé le nombre de camps dans lesquels nous intervenons au sein du gouvernorat d’Idlib », explique Ousama Joukhadar, responsable logistique de MSF pour la Syrie.

MSF propose actuellement des services d’assainissement et d’acheminement de l'eau et dans près de 90 camps dans le nord-ouest de la Syrie, dont bénéficient près de 30 000 personnes déplacées. Les activités menées par nos équipes incluent la distribution de kits d’hygiène, le traitement et la distribution d’eau potable, la collecte de déchets, la mise en place de canalisations et d’égouts, la construction et la réhabilitation de latrines, ainsi que des activités communautaires de promotion de la santé.

Dans le nord-est de la Syrie, MSF a également renforcé ses activités, avec la mise en place de circuits d’acheminement de l’eau potable dans la ville de Hassakeh et une réponse contre la malnutrition à Raqqa. « Mais toutes ces initiatives ne sont pas des solutions permanentes, explique Benjamin Mutiso, coordinateur de terrain pour MSF. Il y a encore de nombreuses personnes qui souffrent des conséquences du manque d’accès à l’eau potable et nous nous trouvons dans une situation où nous sommes incapables de répondre à tous les besoins. »

« Le manque de fonds ne fait qu’empirer avec le temps, la distribution de l’eau est parfois politisée, et MSF et les autres organisations ne peuvent pas combler toutes les lacunes, ajoute Benjamin Mutiso. La santé de la population est en danger et les gens ne peuvent pas survivre s’ils n’ont pas accès à des choses aussi basiques que de l’eau. Les bailleurs de fonds devraient accélérer leur financement et s’assurer que les activités d’assainissement et d’approvisionnement en eau puissent continuer, car celles-ci sont essentielles pour la survie de la population dans le nord de la Syrie. »

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