La 2CV, une voiture politique

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La 2CV, une voiture politique

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Citroen 2 CV  au Salon de l'auto a Paris en 1951.
Citroen 2 CV au Salon de l'auto a Paris en 1951.
© AFP - LEEMAGE

La 2CV a 70 ans. Voiture pour tous, voiture de tous, la 2CV a été en vente de 1948 à 1990. Devenue une véritable image de marque de la France, l'automobile incarne aussi les enjeux politiques de l'époque. On vous explique pourquoi en quatre points.

Il y a tout juste 70 ans, le 7 octobre 1948, Citroën présentait la 2CV au Salon de l'automobile de Paris. Pendant plus de quarante ans, la 2CV a été l'image de marque de la France : la France enthousiaste et rêveuse du Front populaire, la France renaissante de l'après-guerre, la France colorée et rockeuse des années 1960, la France soixante-huitarde et baba-cool des années 1970, la France mouvementée des années 1980. En tant que telle, la 2CV est aussi le produit et le reflet des enjeux politiques qui ont agité le pays pendant ces quatre décennies. Voici quatre clés de lecture permettant de comprendre en quoi la petite "deudeuche" est aussi une voiture politique.

1. La naissance de la 2CV, une histoire politique

D'abord un bref retour sur l'histoire de cette voiture mythique : rappelons que deuxcents 2CV devaient initialement être présentées au Salon de l'auto de 1939, objectif qui n'a bien sûr pas pu être atteint avec l'explosion de la Seconde guerre mondiale cette même année. Pierre-Jules Boulanger, PDG de Citroën depuis 1937, décide alors de détruire les automobiles déjà construites, pour éviter qu'elles ne profitent aux Allemands. Ces derniers lui réclament sous l'Occupation les plans de sa voiture, en échange de ceux concernant celle qui deviendra la "Volkswagen". Boulanger refuse, et poursuit les études sur son modèle en cachette de l'occupant. La 2CV voit donc finalement le jour en 1948, au grand étonnement du public. Mais un public français, et libre.

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2. La 2CV, voiture populaire : un projet politique

Le projet de Pierre-Jules Boulanger était avant tout de créer une voiture populaire. Elle devait donc être à la fois une "TPV" ("toute petite voiture") à petit prix, comme le stipule le cahier des charges écrit par le PDG de Citroën, mais aussi être grande à l'intérieur, pour une utilisation familiale ou professionnelle - d'où les quatre places assises et l'espace pour cinquante kilos de bagages. La 2CV devait aussi être de faible entretien, mais résistante : Boulanger souhaitait que l'on puisse transporter un panier d’œufs à travers champ dans cette voiture sans en casser aucun. Et de fait, elle a été à l'époque préconisée par les médecins pour le transport des femmes enceintes, puisqu'on n'y sentait pas du tout les à-coups. Boulanger disait également : "Il faut qu'elle ait le confort d'une voiture américaine", et la 2CV a été l'une des premières voitures à posséder un chauffage pour l'hiver. Voiture pour tous, la 2CV peut être considérée comme un symbole de la démocratisation et de la réconciliation des classes entre elles... même si ce n'est pas aussi simple que cela.

3. La 2CV, incarnation d'un conflit de classes

En tant que voiture conçue pour le peuple, la 2CV incarne en fait aussi un conflit de classes. Signe comme nous l'avons vu de la démocratisation de l'usage de l'automobile, elle peut également, selon l'interprétation, être retenue comme la voiture née de l'esprit condescendant du patronat pour humilier à sa manière la classe ouvrière. Dans une émission des "Lieux de mémoire" consacrée en 1996 à la 2CV, intitulée "La 2CV, une modeste huitième merveille du monde", on entend ainsi le journaliste Jean-Françis Held évoquer le mépris premier avec lequel Citroën aurait conçu ce nouveau modèle - initialement borgne, avec un seul phare, et sans démarreur automatique : 

Ils ont pas beaucoup d'argent, ils sont cons, ils savent pas ce qui est beau, donc on va leur faire un truc à leur mesure.

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Cette émission de Ludovic Sellier, riche en témoignages, permet aussi d'entendre l'ancien Président Valéry Giscard d'Estaing plaisanter en se rappelant son entrée à l'Élysée en 2CV. Une anecdote qui en dit long sur l'image qu'avait alors la voiture, certainement pas assez digne pour transporter un Président :

Un jour, je rentre en hélicoptère pour aller à l'Élysée, et on se pose à Issy-les-Moulineaux. Mais il y a eu un loupé quelconque dans les transmissions, et il n'y avait personne pour me récupérer. Je regarde autour de moi et, heureusement, j'aperçois un gendarme qui gardait le terrain. Je lui demande s'il a une voiture, et il me dit que oui, mais que c'est sa voiture personnelle... une vieille 2CV ! On traverse alors Paris dans sa 2CV, je soulevais la fenêtre pour regarder et je rencontrais des regards égarés, les gens nous regardaient avec stupéfaction. Quand on est arrivés à l'Élysée, c'était encore plus curieux : le protocole républicain en a été stupéfait !

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4. La 2CV, symbole d'une époque

La 2CV est aussi une voiture politique car elle reste avant tout le symbole d'une idéologie avant-gardiste, d'un mouvement moderne aspirant à créer un monde nouveau en se débarrassant des anciennes habitudes, du climat d'une France sûre d'elle-même. À cet égard, l'émission de Ludovic Sellier précédemment évoquée est révélatrice, qui présente de nombreuses archives sonores de l'époque où l'on peut par exemple entendre les conducteurs de 2CV être décrits comme des gens "cools, décontract', qui ne se posent pas trop de questions".

On y retrouve également des témoignages de la farandole de surnoms dont la 2CV a fait l'objet : une "chaise longue sous un parapluie", "le petit canard", la "deuche" ou la "deudeuche"... C'est que, vendue pendant plus de quarante ans, la 2CV a été la voiture représentative de toute une génération d'Européens et surtout de Français. Ses usagers ont noué une véritable relation affective avec l'auto, dont ils font parfois des descriptions lyriques, pleines d'émotion et de comparaisons quelque peu farfelues : 

La 2CV est comme un étrange légume qu'on peut manger à toutes les sauces, et qui conserve son goût spécifique quoi qu'il en soit.

C'est la voiture des poètes, des rêveurs, des gens qui prennent le temps de vivre. Ce n'est pas une voiture vroum vroum, c'est une voiture tic tac - le tic tac du temps qui passe, et qu'on prend le temps de vivre.

Documents audiovisuels :

  • "La 2CV, une modeste huitième merveille du monde", dans "Lieux de mémoire", 18 janvier 1996. Par Ludovic Sellier. Réalisation par Marie-Christine Clauzet. 
  • "Rétro : la Deudeuche", INA.