Accueil A la une Mutilations génitales féminines: le «crime familial» qui viole la dignité des femmes

Mutilations génitales féminines: le «crime familial» qui viole la dignité des femmes

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Une victime de l'excision Ph. Daouda ZONGO @Wakatsera

Mutilations génitales féminines, MGF tout court ou encore excision ! Voila des termes qui font sursauter des milliers de femmes qui gardent de douloureux souvenirs, des séquelles physiques et psychologiques liées à ce phénomène qui peine à être éradiqué dans le monde. Celles-ci sont des «interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales», selon la définition de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Au Burkina Faso, plusieurs milliers de l’autre moitié du ciel en ont été victimes et souffrent encore dans leur chair. Même si la tendance est à la baisse, dans ce pays, nombreuses sont les filles qui continuent d’en être victimes, surtout avec la pratique transfrontalière qui est la nouvelle trouvaille de certains parents.

Mardi 28 septembre 2021. Empruntant un car de transport en commun à 7h00mn (GMT) à partir de Ouagadougou, nous nous lançons sur la route nationale n°1, destination, Orodara. C’est une localité située à 431 km de la capitale burkinabè, dans la région des Hauts-Bassins et à une cinquantaine de kilomètres de la frontière malienne. Arrivée à Bobo-Dioulasso autour de 13h (GMT), nous empruntons un autre car de la même compagnie à 16h (GMT), en direction du chef-lieu de la province du Kénédougou où nous déposons nos valises vers 18h (GMT) après plusieurs secousses subies à cause de la dégradation du tronçon. Nous y avons rendez-vous avec des victimes des Mutilations Génitales Féminines. Elles ont accepté, sous le couvert de l’anonymat, lever le voile sur leur souffrance avec laquelle, elles vivaient silencieusement depuis des années. Nous les prénommerons Kadidiatou et Nafissatou.

La clitoridectomie, l’excision et l’infibulation sont, entre autres, les noms qu’englobent les pratiques des MGF. Et les conséquences liées à ce phénomène, sur la santé physique et mentale des femmes et des jeunes filles, ne sont pas négligeables.

Encadré: Les différents types de mutilation génitale féminine

Type 1 – Clitoridectomie: il s’agit de l’ablation partielle ou totale du clitoris et seulement du prépuce, qui est plus rare.

Type 2 – Excision: elle est l’ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres.

Type 3 – Infibulation: c’est le rétrécissement de l’orifice vaginal par la création d’une fermeture qui est réalisée en coupant et en repositionnant les lèvres intérieures, et parfois extérieures, avec ou sans ablation du clitoris.

Il y a un 4e type qui regroupe toutes les autres interventions néfastes pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques, telles que la ponction, le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation.

VIDEO- La pratique de l’excision vue par des citoyens de Orodara

Douleur intense, choc, saignements excessifs, septicémie, difficultés à uriner, infections, mort, psychose, accolement des lèvres, sont les risques immédiats que les MGF peuvent provoquer chez la fille. Plusieurs autres conséquences liées à ce phénomène sont également constatées à long terme. Il s’agit, notamment, des problèmes urinaires et menstruels, des rapports sexuels douloureux et de mauvaise qualité de la vie sexuelle, de stérilité, d’infections de l’appareil reproducteur, des conséquences psychologiques comme la crainte des rapports sexuels, l’état de stress post-traumatique, l’angoisse, la dépression.

Kadidiatou et Nafissatou sont l’exemple de femmes vivant avec des méfaits de la pratique des Mutilations génitales féminines à Orodara. Elles ne sont plus entières. Chacune a perdu une partie précieuse de son corps. Bien qu’elles paraissent bien portantes, elles saignent au fond d’elles. L’une comme l’autre, ont été victimes de ce que d’aucuns appellent «crime familial». Kadidiatou et Nafissatou souffrent, chacune de son côté, respectivement de psychose, de mauvaise qualité de la vie sexuelle, d’infections pelviennes et de difficultés d’enfantement.

«Je suis née à Aboisso (Sud-Est de la Côte d’Ivoire, à 116 km à l’Est d’Abidjan, ndlr). J’ai aujourd’hui 43 ans. J’ai été excisée dans cette localité quand j’avais quatre ans. Je m’en souviens comme si c’était hier», visage caché, de dos, Kadidiatou nous narre, en langue nationale dioula, la peur, la psychose et la douleur de son excision.

Dès le bas âge, la petite Kadidiatou a été prise par sa tante, la grande-sœur de son père, qui n’a pas eu la chance d’avoir une fille malgré ses douze enfantements. Elle était ainsi sous le toit de cette tante. «Quand j’avais l’âge d’aller à l’école, mon père a voulu me ramener chez lui pour m’y inscrire, mais ma tante n’a pas accepté. Comme elle n’avait pas de fille, elle n’a pas voulu que je parte», affirme-t-elle, déclarant que c’est de chez sa tante qu’elle subira la mutilation qui allait changer à jamais sa vie de femme.

Interview avec une des victimes de l’excision à Orodara

Kadiatou, pour les besoins de l’excision, a été flattée. Etant gamine, elle a été appâtée par de la nourriture. « On m’a dit qu’il y a quelqu’un qui fait un sacrifice et qu’il faut y aller manger », nous relate-t-elle, la voix chagrinée. «Nous avons couru pour y aller. Arrivée, on entendait des enfants crier dans les toilettes. On ne pouvait plus retourner car on a refermé le portail. Je me rappelle de tout ça», se souvient-elle.

Les souvenirs de Kadiatou, malgré le temps sont tenaces. Amers. «C’était très douloureux, ça fait mal, c’est trop atroce», se rappelle-t-elle.

L’exciseuse qui s’est occupée de Kadiatou est venue du Mali. «Très souvent, les parents du village (Aboisso) réunissent les filles qui n’ont pas encore été excisées, à une période donnée, et font appel à l’exciseuse qui quitte le Mali pour venir en Côte d’Ivoire. Les filles peuvent valoir souvent 80. L’exciseuse vient les mutiler et elle repart. Ça a toujours été comme ça là-bas. On excise les filles en groupe. J’ai été excisée dans ces conditions», dit-elle.

Malgré la douleur, dame Kadidiatou affirme n’avoir pas pleuré le jour où elle a été excisée, mais garde de mauvais souvenirs. «Ça m’a marqué. C’est vrai que surplace, là-bas, je n’ai pas pleuré, mais cela joue beaucoup sur moi aujourd’hui. J’ai été touché psychologiquement. L’excision a fait que quand on m’invite à aller quelque part, j’ai peur, car ça me rappelle le jour où on nous a dit d’aller manger la nourriture du sacrifice», fait-elle savoir, entre deux soupirs.

Comme elle, Nafissatou, 50 ans, née à Toussiana dans le Houet (Région des Hauts-Bassin), a subi la douleur de la lame de «la vielle exciseuse» de son village à Badara (Hauts-Bassin). Cela fait 42 ans qu’elle traine des tares de cette pratique.

Elle a été aussi flattée pour être amenée chez l’exciseuse. «On nous a dit qu’on va nous amener pour qu’on y jouent car il y a une manifestation de joie là-bas. En tant qu’enfant, on a cru que c’était vraiment pour jouer. Arrivée chez l’exciseuse, on a entendu des cris, on a voulu fuir mais ils ont fermé la porte et prendre des cailloux et nous dire que si on court ils vont casser nos têtes», relate Nafissatou qui peine aujourd’hui d’avoir un autre enfant après son premier enfantement qui a été «compliqué».

Prisca Kologo, sage-femme d’Etat, rencontre le plus souvent des femmes excisées «en travail». Selon elle, l’accouchement de ces femmes est souvent compliqué. «Compte tenu de l’excision, le vagin n’est plus élastique comme avant, la vulve devient petite et cela complique l’accouchement. Souvent on est obligé de couper pour agrandir la vulve afin de faciliter la sortie du bébé. Lorsque cela n’est pas fait à temps, ça peut entrainer une déchirure grave reliant le vagin à l’anus ce qui provoque plus tard une fistule», souligne-t-elle.   

«Aujourd’hui, je peux dire que je souffre. Je ne sais pas ce qu’on appelle le plaisir sexuel. J’ai toujours mal au ventre. Ça ne va pas entre mon mari et moi», nous confie Nafissatou le visage caché dans les paumes de ses mains.

Nafissatou et Kadidiatou, tout comme bon nombre de femmes victimes des Mutilations génitales féminines, souffrent aussi du manque du plaisir sexuel. «Je ne sais pas ce qui est plaisir dans ça. Je n’ai jamais ressenti un quelconque plaisir. Si au moins de temps en temps je sentais du plaisir, j’allais le dire. Mais là, je ne sais même pas s’il y a du plaisir dans ça», lâche Kadidiatou, dépitée, devant notre micro.

VIDEO-La doléance des victimes de l’excision

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Au Burkina Faso, pour soulager les femmes souffrant des séquelles d’excision et leur redonner le goût du plaisir des rapports sexuels, il est pratiqué, depuis des années, une chirurgie de réparation des séquelles des MGF. Une opération qui permet à la femme mutilée de sentir le plaisir de sa féminité. Mais ces deux victimes de l’excision n’en avaient jamais entendu parler.

«Je n’ai pas encore entendu parler de ça. Pour moi, on ne peut plus réparer. Quelque chose qu’on a coupé, on va réparer ça comment ? Je n’avais jamais entendu parler. Si ce n’est pas parce que vous dites que c’est possible, je ne le savais pas», réagit Nafissatou, nous confiant que maintenant qu’elle est au courant, elle pourra «dire à d’autres personnes que c’est possible de trouver une solution chirurgicale afin de trouver un peu de plaisir quand on est avec un homme».

Dans ces dernières années, au Burkina Faso, on note une baisse significative du taux de prévalence. Cela passe de 75,8% pour les femmes âgées de 15 à 49 ans et de 13,3% pour la tranche d’âge de 0-14 ans selon l’Enquête démographique et de santé et à indicateurs multiples (EDS IV, 2010), à respectivement 67,6% et 11,3%, selon l’enquête multisectorielle Continue (EMC) de 2015. Le dernier bilan du Secrétariat Permanent du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision (SP/CNLPE), cité par le ministre en charge de la Femme et de la Famille, Marie Laurence Ilboudo, à l’ouverture de la première assemblée générale du CNLPE le 25 juin 2021 à Ouagadougou, informe qu’au cours de la première moitié de 2021, c’est au total sept cas présumés d’excision qui ont été dénoncés et enregistrés par ses services. Ces cas sont de Gourcy, Bobo-Dioulasso, Bogandé, Koupéla, Toécé, Boulsa et Dédougou.

VIDEO-Une nouvelle trouvaille pour pratiquer l’excision

Selon une source policière, la pratique de l’excision dans la province du Kénédougou a considérablement baissé. Pour l’année 2021, selon notre source, il n’y a pas encore eu de cas signalé à leur niveau. Mais « il se pourrait que des gens traversent la frontière » (Orodara, située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière malienne, ndlr) pour aller exciser leur fille au Mali, où les MGF ne sont pas criminalisées, souligne-t-elle. « Même avec les contrôles, sans des informations au préalable, on ne peut pas savoir que des parents qui voyagent avec leurs enfants, partent pour les faire exciser. On arrive souvent à mettre la main sur certains mais grâce à des dénonciations », a soutenu notre source. Dans ce pays frontalier, selon l’Enquête Démographique et de Santé 2018, « au moins 89% des femmes et des filles maliennes âgées de 15 à 49 ans ont été victimes de l’excision et 73% des filles subissent l’excision avant leur 15e anniversaire ».

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La maladie du coronavirus et la situation sécuritaire ont aussi impacté négativement la lutte contre les Mutilations génitales féminines, car elle est reléguée au second plan, posant notamment un problème de mobilisation financière pour la cause, ont fait savoir des Organisations non gouvernementales comme Equality Now et Voix de Femmes. Selon Philomène Kaboré Zongo, ex-directrice provinciale de l’action sociale et de la solidarité nationale du Kénédougou, résidant à Orodara, avec les mesures prises contre la propagation de la pandémie, beaucoup d’activités de mobilisation liées à la sensibilisation sur la pratique de l’excision n’ont pas pu se tenir dans cette localité, ce qui freine l’élan de la lutte contre le phénomène.

A Orodara où nous avons séjourné du 28 au 30 septembre 2021, la baisse de la pratique des Mutilations génitales féminines, évoquée par Mme Kabré et notre source policière, s’explique par le dynamisme de la sensibilisation menée depuis des années et « le maillage sécuritaire dans la province qui est dissuasive ».

La lutte contre les Mutilations génitales féminines au Burkina Faso dure depuis plus d’une trentaine d’années. En plus des sensibilisations, le pays des Hommes intègres s’est doté de textes juridiques en vue de mieux combattre le phénomène. Plusieurs personnes sont déjà passées devant le juge pour s’expliquer à la suite des pratiques de l’excision. 

Malgré toutes ces actions, le phénomène a la peau dure. De nombreuses filles continuent de subir cette pratique. Les régions les plus touchées au Burkina Faso sont, entre autres, le Sahel, l’Est et le Sud-Ouest.

VIDEO-Cadre juridique en ce qui concerne les MGF au Burkina Faso

Par Daouda ZONGO