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ReportageMonde

Sécheresse à Madagascar : « On meurt de faim et de soif »

Moraree et sa famille se partagent une tubercule pour le déjeuner à Bagnaké-Ankorokoroka, commune Jafaro, région Androy (sud de Madagascar) le 3 septembre 2021.

Dans le sud de Madagascar, la « pire sécheresse du pays depuis quarante ans », aggravée par le changement climatique, cuit les cultures. En résulte le « kéré », la famine, qui pousse les Malgaches à se nourrir d’épluchures de légumes, de feuilles de cactus et même de cuir tanné bouilli.

Androy (Madagascar), reportage

La frêle silhouette et les tresses défraîchies de Moraree se perdaient dans la foule alors qu’elle s’installait sous les tonnelles rafistolées du Programme alimentaire mondial (PAM). Comme chaque jour, quelques piquets en bois, surmontés de larges bâches bleu et rouge délavé, abritaient de longues files d’attente. Disciplinée et attentive aux consignes, Moraree a soigneusement remis sa carte d’identité indiquant « née vers 1950 » et son code QR dans une poche enfouie sous ses jupons usés. Ces précieux sésames lui permettront de recevoir de l’organisation humanitaire 22 euros par mois en espèces. Avitaha, son petit-fils dont elle ne connaît que l’âge approximatif, 4 ans, tripotait une boîte de médicaments vide, transformée en jouet. Poussés par la faim, Moraree et Avitaha ont marché une journée durant pour arriver sur la place centrale de Jafaro, une commune de la région Androy, à l’extrême sud de Madagascar.

Comme plus d’un million d’habitants du sud de Madagascar, ils sont victimes de la « pire sécheresse du pays depuis quarante ans » selon les Nations unies. Ce nouvel épisode de « kéré » — qui signifie « être affamé » dans la langue des Antandroy, le peuple qui habite cette région — a débuté en mai 2020. Aujourd’hui, l’organisation internationale évalue à près de 1,14 million le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire, sur les 27,2 millions d’habitants du pays. Dès juillet, à Amboasary, l’un des districts les plus au sud, environ 14 000 personnes étaient estimées au niveau maximal de la faim – le stade « catastrophe » lorsqu’il n’y a absolument plus rien à manger — sur une population d’environ 200 000, selon le PAM

Des jeunes sur un champ enseveli par le tiomena, une tempête de sable dûe à la déforestation massive. © Rossy Heriniaina

À l’issue de leur longue marche, Moraree et Avitaha n’ont pas reçu de nourriture, mais il n’était pas prévu que le Programme alimentaire mondial en distribue : la septuagénaire a seulement posé ses empreintes digitales sur une pointeuse biométrique afin d’être sur la liste des bénéficiaires de l’aide de 22 euros du PAM. Ce dispositif a été mis en place pour éviter les fraudes, devenues trop fréquentes dans la commune. Le lendemain, Moraree et son petit-fils ont repris la route de leur village [1].

Plusieurs années sans pluie ont empêché toute agriculture

Moraree ne se souvient plus exactement mais cela fait « très longtemps » qu’il n’a pas plu dans son village, probablement plusieurs années, ce qui a rendu l’agriculture impossible. Certes, les épisodes de famine ne sont pas nouveaux sur l’île. Mais le changement climatique et ses vagues de sécheresse les aggravent. Madagascar subit aussi les conséquences d’une déforestation massive. L’absence d’évapotranspiration des arbres limite les précipitations. Et sans forêts brise-vents, des tempêtes de sables sans précédent ensevelissent les champs et privent les habitants de leurs récoltes.

Maretiaze et son fils Avitaha mangent une tubercule locale, le bagné. © Rossy Heriniaina

Pour retrouver Moraree dans son village, nous roulons de longues heures sur des chemins sablonneux et escarpés. Par moments, des grains de sable scintillent sous les reflets d’un soleil perçant. La forêt, basse et épineuse, s’étend de part et d’autre de la route, laissant apparaître au loin des montagnes nues. Dans le sable, l’absence de traces de pneus indique que les habitants n’ont pas croisé de voiture depuis longtemps. Après quatre heures d’errance, nous arrivons à Bagnake, un minuscule village aux cases négligées faites de torchis et de paille. Aux alentours, des haies de cactus envahissants et un arbre solitaire où tout le monde se réfugie pour échapper à la chaleur écrasante.

« Les enfants n’en peuvent plus d’attendre », s’exclame Moraree, tout en découpant du bagné pour toute la famille. Cette tubercule bosselée, trouvée miraculeusement sur le chemin du retour, a la peau épaisse comme de l’écorce. Dans la minuscule case, les morceaux de bagné sont partagés crus, à même le sol.

« Mange, maman », lance Maretiaze, la fille de Moraree « Je mange mais ça cause des maux d’estomac. Nous trouvons ça en creusant le sol. C’est très difficile de les dénicher car le sol est sec et dur et il faut creuser très profond », grimace sa mère. À cause de la sécheresse, l’eau aussi devient une denrée rare. « On est en train de mourir de faim mais aussi du manque d’eau. On en cherche partout. C’est moi qui m’en charge car ma fille a encore un enfant en bas âge mais je ne peux pas en transporter une grande quantité. »

Une famille décroche la sève séchée d’un cactus pour la manger, le 5 septembre 2021, dans le village Beraketa de la commune Ifotaka, région Anosy. © Rossy Heriniaina

Des abris de fortunes faits de toiles de jute

Ce qui était la normalité il y a quelques années s’est transformé en un lointain souvenir. « Notre champ donnait de bonnes récoltes. Nous cultivions du manioc et du maïs lorsqu’il pleuvait suffisamment. Nous avions de la nourriture en abondance. Maintenant nous n’avons plus rien. J’y pense tout le temps, jour et nuit, ça me rend malade », raconte Moraree.

Les 22 euros mensuels du PAM devraient permettre à Moraree et sa famille de manger à leur faim. Mais c’est sans compter les vendeurs de produits alimentaires qui font crédit mais imposent des prix exorbitants, profitant de l’éloignement des villages. Un « kapoaka » de riz, l’équivalent de 290 grammes, coûte 2 000 ariary (0,44 euros) », près de trois fois le prix officiel. Avec l’argent, « nous n’obtenons qu’un petit panier de nourriture, ça ne dure même pas une semaine », résume Maretiaze, la fille de Moraree. À peine leur tubercule terminée, la famille s’inquiète pour le repas suivant.

Des habitants s’abritent sous le seul arbre qui reste dans les environs, près d’Ambovombe. © Rossy Heriniaina

Quand la misère est trop lourde, les villageois se dirigent vers les villes. Sur un terrain vague en pleine centre d’Ambovombe, chef-lieu de la région Androy, des abris de fortunes faits de toiles de jute forment une rangée anarchique le long d’une clôture en bois. Des familles vêtues de haillons sales vont et viennent. La plupart sont des déplacés climatiques qui ont quitté leur village frappé par la sécheresse. Ici, on se nourrit de ce que l’on trouve en ville : épluchures de légumes trouvés au marché, feuilles de cactus normalement destinées aux zébus, cendres et même des bouts de cuir tannés que l’on fait bouillir.


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« C’est une région du monde qui n’a pas contribué au changement climatique mais qui maintenant en paie le prix fort », synthétise le directeur exécutif du PAM, David Beasley. Si le bouleversement du climat a bel et bien aggravé la crise, le pays pâti aussi du manque d’infrastructures dans le Sud et de l’« échec des politiques mises en œuvre » par le gouvernement, comme le résume Juvence Ramasy, chercheur en sciences politiques. Des projets de développement sont attendus depuis longtemps car dans cette région considérée comme la plus pauvre et la plus isolée de la Grande Ile, routes, hôpitaux, écoles, manquent cruellement.

Bidonville de déplacés climatiques, quartier Berary, ville d’Ambovombe. © Gaëlle Borgia

« Si en 2021, aujourd’hui on parle encore de cette situation c’est qu’il y a une stratégie, une approche qui n’a pas été bonne, qu’il y a une responsabilité que ce soit des gouvernants, des partenaires ou encore au niveau des associations. C’est une vraie transformation que nous souhaitons voir dans le sud. Il y a une forte volonté politique qui se démarque des dirigeants précédents », déclarait il y a quelques mois à Reporterre Lova Hasinirina Ranoromaro, directrice de cabinet du président Andry Rajoelina. « Introduction de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène », « construction d’infrastructures et de routes », « installation de l’électricité »... Un grand plan de « 141 projets d’envergure » a été annoncé mi-juillet par l’État malgache.


La journaliste qui a écrit ce reportage, Gaëlle Borgia, travaille depuis plusieurs années à Madagascar, notamment pour l’AFP et France 24. À la suite d’un premier reportage sur la famine, elle est sujette à une campagne de dénigrement de la part du gouvernement malgache. Reporters sans frontières a lancé une alerte à ce sujet en juin dernier. Reporterre lui apporte son soutien.

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