Qui étaient les massacreurs de la Saint-Barthélemy ? : épisode • 1/4 du podcast Quand la religion tue

Détail du tableau « Le Massacre de la Saint-Barthélemy » de François Dubois, musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne ©Getty - Dea / G. Dagli Orti / De Agostini
Détail du tableau « Le Massacre de la Saint-Barthélemy » de François Dubois, musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne ©Getty - Dea / G. Dagli Orti / De Agostini
Détail du tableau « Le Massacre de la Saint-Barthélemy » de François Dubois, musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne ©Getty - Dea / G. Dagli Orti / De Agostini
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Fin août 1572, à Paris puis dans les provinces de France, des voisins tuent leurs voisins tandis que d'autres poursuivent leur routine dans l'indifférence. Si le massacre de la Saint-Barthélemy n'a pas été prémédité, il est rendu possible par des années de préparation aux gestes de persécution.

Avec
  • Jérémie Foa Maître de conférences HDR en histoire moderne à Aix-Marseille université, au laboratoire TELEMMe

« Le lundi, dix-huitième jour du mois d’août 1572, il y avait grande fête au Louvre. Les fenêtres de la vieille demeure royale, ordinairement si sombres, étaient ardemment éclairées. » Ainsi débute le roman d’Alexandre Dumas, La Reine Margot, paru en 1845 : quelle lecture ! Il faut lire et relire Dumas… Le dix-huitième jour du mois d’août 1572, il reste six jours avant que n’éclate le massacre de la Saint-Barthélemy. Pourtant, invisibles, sournoises, toutes les conditions du drame sont déjà en place depuis longtemps. Nous avons lu Dumas, La Reine Margot, et nous avons aimé… Nous avons vu le film de Patrice Chéreau et nous avons été impressionnés… Nous avons lu d’autres livres d’histoire sur la Saint-Barthélemy, de très bons même, et nous y avons appris beaucoup de choses. Quand paraît un nouveau livre sur le massacre, que reste-t-il à découvrir, à apprendre ? Avec Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, Jérémie Foa a une approche originale, incarnée, vivante et morte : « Je me suis dit qu'il fallait citer les noms (des victimes jusqu'ici anonymes, ndlr.), donner un peu de chair dans l'idée de rendre justice ». Que c’est bon, l’histoire, quand une lecture nous bouscule, nous émeut, nous fait réfléchir.

Un massacre de proximité

La question de la responsabilité du massacre de la Saint-Barthélemy a longtemps hanté les historiens. Depuis Michelet, il était d’usage d’accuser la machiavélique Catherine de Médicis et ses fils d’avoir ordonné le massacre des protestants de Paris, avant que ces violences ne s’étendent à toute la France. À l’inverse, l’historiographie des années 1980 a fait des massacres de la Saint-Barthélemy le fruit d’un délire collectif et d’une violence spontanée. 

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Dans Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, Jérémie Foa plonge dans les archives de 1572 pour tirer les fils enchevêtrés autour du massacre de la Saint-Barthélemy. L'historien essaye de montrer que si le massacre n'a pas été prémédité, il a été longuement préparé. « Les tueurs se sont entraînés au moins depuis 1568, peut-être 1562, explique-t-il. Ils ont l'habitude de jeter leurs voisins protestants en prison depuis quatre ans ». Jérémie Foa détaille le savoir-faire policier qu'ont acquis les massacreurs : repérer qui est protestant, qui ne l'est pas, où ils habitent, les interpeller et les jeter en prison.

Que s’est-il vraiment passé cette nuit-là entre les tueurs et leurs victimes ? Comment comprendre un tel déchaînement de violence entre des individus qui se connaissent et se côtoient chaque jour ? Pourquoi faut-il prêter attention aux relations de voisinage, de famille, d’amour et d’amitié pour mieux comprendre les mécaniques à l'œuvre dans ces massacres ? La réaction des victimes dans les premières heures surprend également : « Il y a un effet paradoxal d'anesthésie dans la répétition des arrestations des années précédentes, souligne Jérémie Foa. Quand, le soir du 23 août, les protestants voient leurs voisins débarquer et frapper à la porte, ils ont déjà vécu cette scène cent fois. Ils vont mal anticiper la suite. »

Le déchaînement de la violence prend une forme spectaculaire. Pendaisons, langues arrachées, boyaux exposés, cette mise en spectacle aurait différentes analyses selon Jérémie Foa. Il rappelle l'interprétation de Denis Crouzet d'un imaginaire biblique, qui anticipe sur les corps des huguenots les châtiments qu'ils vont subir en enfer. Jérémie Foa ajoute que la mise en scène est un acte de différenciation : « le massacre permet de rendre monstrueux celui qui nous ressemble trop. On va enfin créer la différence qu'on ne trouvait pas dans le visage quotidien du voisin. »

Jérémie Foa est maître de conférences HDR en histoire moderne à Aix-Marseille université, au laboratoire TELEMMe. Spécialiste des guerres de religions, il a récemment publié, avec Pochep, Sacrées guerres. De Catherine de Médicis à Henri IV (collection « Histoire dessinée de la France », La Revue Dessinée/La Découverte, 2020) et Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy (La Découverte, 2021).

Références sonores

  • Extrait du film La Reine Margot de Patrice Chereau, 1994, d'après le roman d'Alexandre Dumas
  • Archive sur Sainte Geneviève, patronne de Paris, présentée dans le Journal de Paris - 4 janvier 1965
  • Lecture Mémoires de l’estat de France, tome I, de Simon Goulart, 1579, lu par Daniel Kenigsberg
  • Lecture de L’Histoire Universelle du Sieur d’Aubigné, première partie, de Théodore Agrippa d’Aubigné, 1616, lu par Daniel Kenigsberg

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