Docteur Denis Mukwege : "Dans la pratique du viol, le silence est une arme absolue des bourreaux"

Denis Mukwege ©AFP - Fabian Sommer
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Denis Mukwege ©AFP - Fabian Sommer
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Docteur Denis Mukwege, chirurgien et gynécologue, prix Nobel de la Paix (2018), fondateur et directeur de l’hôpital Panzi à Bukavu (République démocratique du Congo), auteur de « La force des femmes » (Gallimard), est l'invité du Grand entretien.

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Dans son livre, il revient sur sa vocation de médecin, qui lui vient de son père pasteur. “Quand j’étais malade, il priait pour moi, mais il me donnait aussi des médicaments. Un jour où je l'accompagnais, il a prié pour un enfant qui allait très mal. J'ai été surpris qu’il ne puisse pas faire pour cet enfant la même chose qu’il faisait pour moi. Il m'a répondu : 'Je ne suis pas médecin.' Et donc je lui ai dit : Je serai médecin'”

Il fait ses études en Europe, avant de retourner travailler en Afrique. “Pour moi, c’était très important de pouvoir retourner en Afrique. Là-bas, c’est un seul médecin dans un village, ou dans une ville. Cette population m’a tout donné et attendait de moi.

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De la pédiatrie à la gynécologie-obstétrique

D’abord pédiatre, il est devenu gynécologue-obstétricien. “Quand je décide de faire de la pédiatrie, c’est par rapport au pacte que j’avais avec mon père. Assez rapidement, je me rends compte que le plus grand problème en Afrique, c’est la mortalité maternelle. C’est pour cela que je choisis la gynécologie-obstétrique.

Il fonde l'hôpital de Panzi, à Bukavu, au sud de la République démocratique du Congo. “La première patiente que je veux prendre en charge ne venait pas pour accoucher. Elle avait été violée avec une extrême violence, je n’avais jamais vu ça dans ma carrière, et voilà un nouveau tournant dans ma vie.” Il entame alors la chirurgie réparatrice pour ces femmes

La force de la parole des femmes violées

Dans son livre, il revient sur l'histoire d'une fillette de 12 ans, victime d'un atroce viol collectif, et qui a réussi à témoigner devant un tribunal militaire. “Je pense que dans la pratique du viol, le silence est une arme absolu du bourreau. Le fait que cette petite fille parle, à un général, avec un courage...La force de sa parole a fait écrouler un général, il s’est évanoui. Cela montre notre vulnérabilité à tous. Parfois nous pensons que les femmes sont plus vulnérables, mais nous sommes tous vulnérables.

Au sujet des femmes abandonnées par leurs familles après un viol, en République Démocratique du Congo : “Avec ces femmes, j’ai découvert que soigner les blessures physiques n’était pas suffisant. Elles ont des blessures psychologiques beaucoup plus profondes, car elles sont rejetées et accusées d’une faute qu’elles n’ont pas commise, et leurs bourreaux sont en liberté.

Il évoque l'évolution de l'état de victime, à patiente, à survivante. “Quand elles viennent nous voir, ce sont des femmes qui sont victimes de ce qu’elles ont subi. Lorsqu’on commence à les soigner, elles deviennent nos patientes. Et lorsqu’elles réalisent que ce n’est pas de leur faute, qu’elles sont capables d’affronter leur bourreau, elles deviennent des survivantes.

Pourquoi les hommes violent-ils ?

C’est une question que je me posais, jusqu’au jour où j’ai rencontré un jeune qui avait été pris en otage, forcé à participer à un groupe armé et qui a subi un lavage de cerveau.” 

Ce jeune homme a d’abord mutilé sa propre mère puis violé des centaines de jeunes femmes. Il a répondu à Denis Mukwege : “Quand on tranche la gorge d’une chèvre ou d’un poulet, on ne ressent rien. Une femme c’est pareil, on fait ce qu’on veut avec.” Le docteur poursuit : "Lorsqu’il m’a fait cette réponse, j’étais effondré. Ces lavages de cerveau nécessitent qu’il y ait un tribunal au Congo pour juger de ces actes."

Il se refuse à simplement estimer que ces hommes sont fous. “Je pense qu’il faut arriver à la responsabilité. Car les commanditaires sont installés à Kinshasa, et Kampala et ils vivent une vie normale pendant que les femmes sont détruites. Ils doivent répondre de leurs actes devant les juridictions compétentes.

Un changement d'éducation nécessaire

Je vois des femmes qui pleurent dans mon bureau, car on leur annonce qu’elles vont avoir une fille, alors que ce sont des femmes ! Que devient le garçon qui nait après trois avortements [de bébés filles] ? Certainement qu’il considère qu’il n’est pas comme une petite fille.

Le prix Nobel qu'il a reçu en 2018 a-t-il changé quelque chose ? “J’ai eu beaucoup d’espoir, je me suis dit : cela veut dire que les gens sont au courant. Malheureusement, j’ai l’impression que ça ne va pas assez vite.

Avant de conclure : “Je crois en la force des femmes. Lorsque je vois l’état dans lequel les femmes arrivent à l’hôpital, cette capacité de transformation de la peine en pouvoir, pour moi c’est très impressionnant."

Le lien pour faire un don à sa fondation.

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