Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Les Rolling Stones ont repris leur tournée, mais ils ne jouent plus « Brown Sugar », leur titre emblématique et controversé

Le morceau, dont les paroles font explicitement référence à l’esclavage, n’est plus au programme des concerts des Stones aux Etats-Unis depuis que la tournée, interrompue par la pandémie, a repris à la fin de septembre.

Le Monde

Publié le 12 octobre 2021 à 13h43, modifié le 13 octobre 2021 à 09h04

Temps de Lecture 4 min.

Mick Jagger, Keith Richards et Ron Wood des Rolling Stones en concert à Saint Louis, aux Etats-Unis, le 26 septembre 2021.

C’est un des plus grands succès des Rolling Stones. Le premier morceau de leur célèbre album Sticky Fingers, le plus vendu de l’histoire du groupe. Le single qui a occupé la première place du classement Billboard Hot 100 aux Etats-Unis, la deuxième au Royaume-Uni. Depuis sa sortie en 1971, les Stones ont interprété Brown Sugar lors de chaque tournée. Charlie Watts, le batteur du groupe mort à la fin d’août, l’a jouée lors de son dernier concert, et elle aurait été sa dernière chanson avec les Stones sans les rappels de Gimme Shelter et Satisfaction.

Mais le titre et ses paroles controversées faisant explicitement référence à l’esclavage ne sont plus au programme. Comme le relève le Los Angeles Times, Brown Sugar ne figure plus sur la liste des chansons jouées lors des concerts du « No Filter Tour » depuis que la tournée, qui porte l’emblématique groupe anglais aux quatre coins des Etats-Unis, a repris après avoir été interrompue par le Covid-19. Interrogé sur les raisons de cette absence, le guitariste Keith Richards a répondu : « Je ne sais pas. J’essaie de comprendre avec les filles où est le problème. N’ont-elles pas compris que c’est une chanson qui parle des horreurs de l’esclavage ? Mais elles essayent de l’enterrer. Je ne veux pas entrer en conflit avec toute cette merde en ce moment. »

« Dieu sait de quoi je pense dans cette chanson »

Brown sugar, avec son texte polysémique qui traite tout à la fois de l’esclavage, de la drogue et de sexe, a toujours suscité la controverse quant à ses interprétations et provoqué le scandale. Cette chanson, qui se serait appelée « Black Pussy » (« chatte noire ») si Mick Jagger ne s’était pas ravisé, est entièrement l’œuvre du chanteur du groupe, auteur à la fois des paroles – écrites en quarante-cinq minutes lors du tournage de Ned Kelly, de Tony Richardson, en 1969 – et du célèbre riff de guitare qui ouvre le morceau.

De quoi est-il question ? D’une femme noire réduite en esclavage, violée et battue par ses maîtres blancs qui vantent ses mérites sexuels ? D’une métaphore de la consommation d’héroïne, aussi appelée « brown sugar » ? Ou les paroles évoquent-elles les relations que Mick Jagger a eues avec des femmes noires ? Interrogé sur la question en 1995 dans le magazine Rolling Stone, le chanteur répondait : « Dieu sait de quoi je parle dans cette chanson. C’est un tel fourre-tout. Tous les sales sujets d’un seul coup. »

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les Stones, des "amis" de 40 ans

Les critiques ont pris une autre dimension depuis quelques années avec l’importance des mouvements contre le sexisme et contre le racisme et l’héritage de l’esclavage aux Etats-Unis. « Brown Sugar est une chanson grossière, sexiste, et étonnamment offensante à l’égard des femmes noires », estimait Lauretta Carlton dans un article du magazine New-York. Mais si pour elle cette « liberté d’offenser » est un « luxe que chaque artiste mérite d’avoir », d’autres s’insurgent contre les « niveaux de privilèges dont il faut jouir pour ne serait-ce que penser à écrire une chanson comme celle-ci ». « Les chansons ont des valeurs et des implications politiques qu’elles n’avaient peut-être pas prévues. Ça fait partie du marché », écrivait Stereogum en 2019, invitant à réfléchir sur la signification du fait que le titre soit resté en tête des classements pendant plusieurs semaines et continue à être diffusé à la radio.

Le producteur de musique Ian Brennan allait dans le même sens en 2019. « Imaginez une foule, dans un stade, chanter joyeusement une chanson glorifiant l’esclavage, le viol, la torture et la pédophilie », écrivait-il après un concert des Stones aux Etats-Unis. « Le problème n’est pas que cette chanson ait été écrite un jour. Ni que les Rolling Stones l’ait chantée. Leur faute est de continuer à l’interpréter », estimait-il.

« Si les Rolling Stones sortaient Brown Sugar aujourd’hui, la réaction serait immédiate. Twitter les ridiculiserait à coup de hashtags bien sentis. De multiples pétitions Change.org seraient signées. Le groupe serait obligé de présenter des excuses », constatait Lauretta Charlton en 2015.

« On pourrait décider de la remettre sur la tournée »

Mick Jagger avouait lui-même vingt ans plus tôt qu’il « n’écrirait jamais cette chanson aujourd’hui ». « Je me censurerais probablement, assurait-il. Je me dirais : “Oh, mon Dieu, je ne peux pas. (…) Je ne peux pas écrire une chanson brute comme ça”. »

Reste que les critiques n’avaient, jusque-là, jamais empêché le groupe de jouer le titre en concert. Des musiciens et choristes noirs, dont des légendes comme Billy Preston, Lisa Fisher, Darryl Jones et Steve Jordan, accompagnaient aussi de longue date le groupe sur cette chanson. Faut-il alors voir dans la récente disparition de ce titre le symptôme d’une décriée cancel culture, une décision symbolique après une année marquée par le mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis, ou une simple préférence artistique du groupe ?

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir

Interrogé aux côtés de Keith Richards par le Los Angeles Times, Mick Jagger a été plus évasif que son partenaire : « On a joué Brown Sugar tous les soirs depuis 1970, alors à un moment on se dit : “On va faire sans celle-ci pour l’instant et voir comment ça se passe”. » Renoncent-ils définitivement à l’interpréter ? Pas officiellement, du moins. « J’espère qu’on pourra lui rendre toute sa gloire à un moment sur la tournée », a déclaré Keith Richards. « On pourrait décider de la remettre », a confirmé Mick Jagger.

Le Monde

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.