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Afghanistan : l'ancienne vice-ministre Ghazaal Habibyar raconte son départ de Kaboul

L'ancienne vice-ministre afghane des Mines et du Gaz, Ghazaal Habibyar, la première à ce poste, a trouvé un refuge provisoire en Albanie d'où elle raconte sa fuite.

Karen Lajon , Mis à jour le
Ghazaal Habibyar le 29 août, en Albanie.
Ghazaal Habibyar le 29 août, en Albanie. © Franc Zhurda/AP/Sipa

Elle se sera contenue pendant tout l'entretien par téléphone pour finalement craquer vers la fin. Ghazaal Habibyar n'a pu endiguer le flot de larmes qui la submergeait. Evoquant avec douleur son départ précipité de Kaboul en août dernier, et surtout toutes ces femmes courageuses qu'elle a laissées derrière elle. "Je me sens tellement coupable, j'ai dû choisir entre elles et mes enfants." Un choix cornélien que cette mère aimante a résolu la mort dans l'âme. "Ces femmes sont si courageuses, souffle-t-elle, mais il fallait sauver nos enfants. Mon fils de 6 ans et demi pleurait le jour de notre évacuation disant qu'il ne voulait pas quitter Kaboul. Je lui ai fait promettre de bien travailler à l'école pour revenir plus tard aider notre pays."

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Je n'ai aucune idée de là où nous allons aller mais je veux seulement que mes trois enfants ne connaissent pas l'instabilité de mon enfance

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Evacuée avec plus de 600 autres personnes, treize jours après l'entrée en ville des talibans, Ghazaal Habibyar se trouve désormais en Albanie dans une sorte de village de vacances transformé en camp d'accueil pour réfugiés. C'est là qu'elle attend de savoir, avec son époux et leurs trois enfants, vers quel pays la famille sera définitivement accueillie. "Je n'ai aucune idée de là où nous allons aller mais je veux seulement que mes trois enfants ne connaissent pas l'instabilité de mon enfance."

Lire aussi - De Paris au Panchir, comment la résistance afghane s'organise

Des études à Canberra

Deux jours avant l'arrivée des talibans, elle se souvient encore que le président Ashraf Ghani avait réuni les "anciens" et leur avait longuement parlé. Il s'était comparé au roi d'Afghanistan Amanullah Khan, qui avait abdiqué et fui le royaume, mais en affirmant que lui "ne quitterait jamais son pays". On connaît la suite. "Aujourd'hui, si je suis déçue par la communauté internationale, je me sens surtout trahie par nos dirigeants politiques. Quel gâchis!" Elle avait 8 ans la première fois que sa famille a quitté Kaboul. Après, elle a cessé de compter. "C'était en fonction des crises politiques mais à chaque fois, on laissait tous nos livres. On déménageait alors pour traverser la frontière et s'installer au Pakistan. Mais on revenait toujours pour quelques jours en vacances, c'est un lien quasi indestructible avec cette ville de Kaboul, les roses du jardin, les oiseaux du matin, tout nous manquait." Toutefois, la prise du pouvoir talibane en 1996 augure du pire et les parents décident de rester une fois pour toutes à Islamabad, la capitale pakistanaise.

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Il y avait une vraie volonté de féminiser cette sphère politique, mais entre les hommes qui se crispaient et la corruption, il a fallu beaucoup se battre

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Après des études à Canberra, en Australie, où elle obtient un deuxième master en développement économique international, elle revient définitivement au pays, croit-elle, en 2011. Ghazaal Habibyar possède alors l'un des plus beaux CV de ce nouvel Afghanistan qui tente d'émerger et de se lancer vers la modernité : c'est une femme de 28 ans qui parle couramment l'anglais et détient des diplômes de haut niveau. Une scientifique à Kaboul, cela ne court pas les rues. "Il y avait une vraie volonté de féminiser cette sphère politique, mais entre les hommes qui se crispaient et la corruption, il a fallu beaucoup se battre."

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Elle reste trois ans au ministère, subit des pressions, des menaces. "J'ai dû retirer mon fils du jardin d'enfants pendant un an." Elle sera finalement remplacée et décide alors de rejoindre la fondation Open Society, créée par le philanthrope George Soros, dont elle prend la direction de l'antenne afghane.

Une cible de choix

Le jour où tout bascule, Ghazaal sort de la banque, les talibans sont là. "Pourtant, quelques jours auparavant, les experts nous avaient dit qu'il leur faudrait six longs mois avant de prendre Kaboul." Son téléphone sonne et on lui dit de ne surtout pas rester chez elle. Ghazaal est considérée comme une cible de choix, compte tenu de sa fonction et de ses engagements. Le chaos s'est emparé de la ville. A 38 ans, elle avait cru pouvoir échapper à un nouvel exode mais l'annonce de la fuite du président afghan en fin d'après-midi douche le peu d'espoir qui lui restait.

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Ils sont animés d'un désir de revanche, et le changement qu'ils proposent c'est d'être encore plus dangereux

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Elle enrage. "Contrairement à ce qui se disait, les talibans n'avaient pas changé, il suffisait de voir ce qu'ils faisaient dans les provinces qu'ils occupaient. Les femmes n'avaient plus droit à rien. Ils sont animés d'un désir de revanche, et le changement qu'ils proposent c'est d'être encore plus dangereux. Mais les dirigeants politiques, tout comme la communauté internationale, ont insisté pour qu'on leur donne une chance. Et nous, a-t-on a eu la moindre chance?"

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