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"J'étais harcelée, il m'a protégée… Ce que personne n'a fait pour lui" : Samuel Paty, un prof presque normal
"À l'époque, alors qu'on abordait la deuxième guerre mondiale, un élève a dit un truc horrible que vous pouvez imaginer. Et lui a tout arrêté pour dire 'OK on va en parler'. Des profs comme ça, on n'en croise pas beaucoup."
© Bertrand GUAY / AFP

"J'étais harcelée, il m'a protégée… Ce que personne n'a fait pour lui" : Samuel Paty, un prof presque normal

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Après son lâche assassinat, Samuel Paty est devenu un symbole de la République. Mais pour ceux qui ont eu la chance de croiser sa route ces dernières années, il restera surtout un professeur spécial et un militant du débat et de la discussion. Portrait.

Sa particularité, c'était la normalité. C'est ce que nous disent plusieurs de ses anciens élèves du collège Jacques-Prévert de Lorrez-le-Bocage-Préaux (Seine-et-Marne). Là-bas, il y a exercé sept ans, de 2011 à 2018, avant de rejoindre Conflans-Sainte-Honorine. Sept années de discrétion, pour ne pas dire de transparence. "Si vous ne l'aviez pas en cours, vous n'aviez aucune raison d'entendre parler de lui", nous dit-on en chœur. Cette façon d'exister sur la pointe des pieds, c'était sa marque.

Chemise et cartable marron

Fanelie a aujourd'hui 23 ans. Du temps est passé depuis ses années collège, années où "Monsieur Paty" était son professeur d'histoire et géographie. Une année entière en 2010-2011, alors qu'elle était en quatrième, puis quelques mois l'année suivante, en remplacement d'un congé maternité. Elle se souvient : "Au début, dans les premiers jours, c'était compliqué. Il se faisait un peu marcher dessus. Puis, petit à petit, il s'est endurci, il a réussi à se faire respecter". Jusqu'à jouer le professeur strict, parfois, "quand certains mettaient le bazar". Avec toujours une "blague" pour détendre l'atmosphère et se mettre "les plus dissipés" dans la poche. "Il faisait l'unanimité".

Le professeur a pourtant un temps essuyé quelques moqueries. "Des élèves le voyaient comme coincé, alors ils ne se gênaient pas pour en profiter et le vanner pas toujours gentiment", raconte Julia, une autre ancienne élève du professeur. Elle se souvient de son style vestimentaire, seul responsable de cette étiquette. "Petite chemise, cartable marron… Cliché quoi !". Le temps, seul, a détruit les railleries. Et son humour. "Tous les vendredis, il faisait une petite blague à ses élèves pour qu'ils partent en week-end dans la bonne humeur", rapporte un ancien collègue. Sébastien, ancien élève du côté de Conflans-Sainte-Honorine, confirme : "Quand vous arriviez en retard, vous n'étiez pas à l'abri d'une vanne bien placée".

"Quand il entendait une remarque agressive contre moi en cours, il intervenait immédiatement pour me protéger."

Au-delà de sa bonne humeur, c'est sa bienveillance qui a marqué les esprits. "Il était plein de bonnes intentions, c'était un gentil, un humaniste, détaille Anouck (*), ancienne élève au Bois d'Aulne. Il était attentif aux problèmes de chacun. Que cela concerne les enseignements ou nos problèmes personnels quand on lui en faisait part". Fanelie peut en témoigner. À l'époque, la collégienne est harcelée pour son orientation sexuelle. "Ma scolarité était une horreur, souffle-t-elle. Mais grâce à monsieur Paty, entre autres, c'était un peu moins le cas".

Prévenu des attaques dont elle était la cible, le professeur lui propose de rester dans sa classe à la récréation. "Il m'a évité pas mal de problèmes". Lui, de toute façon, doit y rester, lui dit-il, il a des "copies à corriger". En vérité, il passera de longues récréations à l'écouter, à dénouer les angoisses de la jeune fille. "Il était très préoccupé par mes problèmes, mais avait toujours de bons conseils. Toujours les bons mots, raconte-t-elle. Par la suite, quand il entendait une remarque agressive contre moi en cours, il intervenait immédiatement pour me protéger. Il était très protecteur en général d'ailleurs. Je n'arrive pas à croire que personne n'a réussi à le protéger, lui".

"Ce cours autour des caricatures, c'est tout lui."

Bien que timide et réservé, Samuel Paty était très actif dans la vie des différents collèges qu'il a fréquentés. Caroline, une ancienne collègue de Jacques-Prévert, se souvient "des différents projets classiques" menés par le professeur. Une sortie à Provins, ancienne capitale des comtes de Champagne, au musée d’Orsay à Paris, au château de Versailles, à Verdun… "Ou, plus original, un atelier découverte de l’escrime médiévale pour les cinquièmes, rapporte-t-elle. Sans oublier cette pièce de théâtre autour de la Première Guerre mondiale". Il avait aussi ces moments informels, mais tout aussi importants, notamment autour du "baby-foot de la salle du foyer". À Conflans, on se souvient surtout de cette exposition de dessins sur le thème "Liberté, égalité, fraternité".

Difficile de trouver quelques voix dissonantes. Et quand on en trouve, les reproches sont presque plus parlants que les louanges. "Ses cours étaient souvent très lents, on passait trop de temps à débattre autour de questions d'élèves", balance, presque honteux, un élève de Conflans. Fanelie approuve : "À l'époque, alors qu'on abordait la deuxième guerre mondiale, un élève a dit un truc horrible que vous pouvez imaginer. Et lui a tout arrêté pour dire 'OK on va en parler'. Des profs comme ça, on n'en croise pas beaucoup". Normal, donc, mais pas tout à fait. Pour elle, d'ailleurs, c'est justement cette soif de débattre qui a entraîné cet assassinat : "Ce cours autour des caricatures, c'est tout lui. Il a simplement voulu montrer une image pour lancer une discussion. Ça aurait pu être n'importe quelle image…".

Dernier hommage mercredi 21 octobre

Sa vie privée, elle, n'était pas plus extravagante, mais plus qu'heureuse. Père d'un garçon de cinq ans, "sa grande fierté", marié à une femme dont il parlait "tout le temps" à ses élèves, nous indique-t-on et avec beaucoup d'affection, il était aussi passionné de tennis et de badminton, sports qu'il pratiquait. Des activités qu'il rythmait au son de ses deux groupes préférés : Pink Floyd et Apocalyptica.

"Quelqu'un de normal", nous fait remarquer Yves Roy, parent de deux anciens élèves de Samuel Paty, aujourd'hui âgés de 22 et 17 ans. Maire du village voisin de Thoury-Férottes, il a lancé une proposition sur les réseaux sociaux : se rassembler ce mercredi 21 octobre, parents, élèves et professeurs, devant le collège Jacques-Prévert pour lui rendre un dernier hommage, ici même où il a exercé son métier avec passion pendant toutes ces années. Depuis, "il croule sous les messages" : "Les professeurs comme ça marquent leur temps". Il semblerait.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne