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    13/10/2021

    Ratonnades, attaques au couteau et cris de singes

    À Lyon, l’extrême droite fait régner la terreur

    Par Maxime Macé , Pierre Plottu

    Bastons en marge de manifs et de matchs de foot. Mais aussi de véritables expéditions violentes et racistes. L’extrême droite fait régner sur Lyon une véritable terreur. Mais que fait la police ?

    Des attaques récurrentes. Des saluts nazis en pleine rue. Des cris de singes lancés au visage de commerçants noirs. Des militants de gauche traqués et agressés. À Lyon, depuis plusieurs mois, l’extrême droite se déchaîne dans la rue. Triste illustration le 29 septembre dernier, après une conférence sur cette même extrême droite animée par le chercheur Nicolas Lebourg. Des membres de la Jeune Garde Lyon, un groupe antifasciste local, tombent dans un guet-apens tendu par des militants de droite radicale en sortant de la conférence. Bilan : un militant de la Jeune Garde est blessé d’un coup de cutter. Nouvelle scène de violence le soir suivant. À l’occasion d’un match de football opposant l’Olympique lyonnais au club danois de Brondby, les ultras rhodaniens chargent les supporters de l’équipe adverse au cri de « White Power ».

    Bastion historique de la mouvance, la capitale des Gaules est de longue date le théâtre d’agressions à caractère raciste ou politique, d’attaques de locaux de gauche ou de manifestations perpétrées par les militants de l’extrême droite locale. Depuis quelques mois, la situation semble même empirer. Selon un décompte du média libertaire Rapports de force, c’est à Lyon que les violences d’extrême droite sont les plus nombreuses et de loin avec une dizaine de faits. Toulouse, en deuxième position de ce classement, n’en compte que moitié moins. « Ceci tient à la prolifération et au nombre de groupuscules installés. Les militants d’extrême droite y ont plus de libertés pour y exercer leur violence de par leur nombre et du fait qu’ils bénéficient d’une certaine impunité depuis longtemps », explique à StreetPress Alain Chevarin, auteur de « Lyon et ses extrêmes-droites » (éditions de la Lanterne, 2020).

    Attaques en série

    L’extrême droite fait donc régner la terreur sur les pavés lyonnais. En décembre dernier, deux militants de gauche sont violemment passés à tabac devant la librairie anarchiste La Plume Noire à l’issue d’une collecte de jouets organisée par l’association Pour l’égalité sociale et l’écologie (Pese). Le 31 janvier, les militants radicaux qui évoluent en marge du service d’ordre de la manifestation Marchons Enfants (un collectif anti-PMA et GPA) chargent violemment des contre-manifestants pacifiques.

    Le 7 mars, quelques jours seulement après l’annonce du lancement de la procédure de dissolution de Génération identitaire (GI), « une quarantaine de fascistes armés, postés devant les locaux de Génération identitaire [ont] tenté d’attaquer la manifestation féministe du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes », rapporte un appel unitaire à manifester contre les violences de l’extrêmedroite lancé en mai. Le même jour, un groupe d’individus sème la panique dans le quartier de la Guillotière, dégradant des vitrines de boutiques afro en poussant des cris de singes.

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    Le 31 janvier, les militants radicaux qui évoluent en marge du service d’ordre de la manifestation Marchons Enfants (un collectif anti-PMA et GPA) chargent violemment des contre-manifestants pacifiques. / Crédits : StreetPress

    Trois semaines plus tard, le 20 mars, c’est une nouvelle fois la librairie La Plume Noire qui était prise pour cible en plein jour par un groupe d’une cinquantaine de fafs (pour « France aux Français », un surnom que se donnent eux-mêmes les militants d’extrême droite) cagoulés et scandant des slogans identitaires. Les auteurs auraient ensuite déambulé dans le quartier pendant plus d’une demi-heure, selon des témoins, sans être inquiétés.


    Un montage glorifiant l’attaque de La Plume noire diffusé par la mouvance d’extrême droite.

    La litanie des violences ne s’arrête pas là. Le 24 avril, à peine un mois plus tard, ce sont cette fois de 50 à 100 radicaux qui s’en prennent à un rassemblement pour la fierté lesbienne, toujours en centre-ville. Parmi eux, selon Rue89 Lyon, des militants de Génération identitaire. Fin juin, pendant l’Euro de foot, en marge du match France-Suisse, c’est à nouveau un groupe de plusieurs dizaines de jeunes hommes, mêlant militants d’extrême droite et hooligans munis de couteaux, qui agressent des clients d’un bar. Ici encore, des cadres radicaux ont été reconnus par des témoins cités par Libération et Rue89 Lyon.

    Moins violent mais participant du climat d’inquiétude quand on est de gauche à Lyon : début septembre, le youtubeur Usul est enfariné par un militant de droite alors qu’il est en terrasse. Puis fin septembre, donc, l’agression des militants de la Jeune garde, mercredi 29, puis les hooligans qui chargent au cri suprémaciste « White Power », le jeudi 30.

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    Depuis la dissolution de Génération identitaire, les actions violentes seraient désormais beaucoup plus organisées. / Crédits : StreetPress

    « Depuis la dissolution de Génération identitaire, cette violence est désormais beaucoup plus organisée. Ce sont des expéditions, alors qu’avant elle était très opportuniste », note le spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg, qui a participé à recenser et analyser le phénomène dans le cadre d’un programme de recherche dédié, Vioramil. « Ce sont également des faits qui sont beaucoup plus diffus sur le territoire de la ville de Lyon. Désormais, les militants d’extrême droite se déplacent pour chercher la confrontation et ne se contentent plus de “tenir” ce qu’ils considèrent comme leur territoire. Ils portent le combat chez leurs ennemis », constate le chercheur.

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    Désormais les militants d’extrême-droite se déplacent pour chercher la confrontation. / Crédits : StreetPress

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    Des militants d’extrême droite posent dans des quartiers « de gauche » de Lyon, cette année, pour provoquer les antifascistes. / Crédits : StreetPress

    Reconstitution de ligue dissoute

    Génération identitaire, qui avait son siège à Lyon, a officiellement disparu en mars dernier avec la dissolution décidée par le gouvernement. Mais ses structures satellites ont échappé à l’interdiction et continuent leurs activités. L’Agogé – la salle de boxe de GI – et La Traboule – son bar associatif – ont récemment fusionné au sein d’une seule entité, baptisée « Les Remparts ». La plupart des militants d’extrême droite identifiés comme ayant participé aux agressions y ont leurs habitudes. Adrien Lasalle (un pseudo), qui gère la salle de boxe, est ainsi mis en cause dans plusieurs affaires.

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    Les anciens membres de GI se mélangent ouvertement à des militants de groupuscules qui assument une pensée néo-nazie, « comme l’a prouvé l’agression de Raphaël Arnault (porte-parole de la Jeune Garde Lyon, ndlr) à Paris début septembre », souligne Alain Chevarin. Les agresseurs sont membres des Zouaves Paris (une bande, adepte du bras tendu, issue du Groupe Union Défense et comptant des militants de GI dans ses rangs) et ils avaient visiblement été prévenus de son arrivée, enchérit l’ancien professeur. « Il y a un réseau militant en France et ils communiquent entre eux malgré des différences idéologiques. » Une convergence déjà constatée dans le mouvement des Gilets jaunes avec des militants de différents groupuscules d’extrême droite allant de ville en ville pour se renforcer les uns les autres et faire le coup-de-poing. Un phénomène qui se reproduit au sein des cortèges anti-pass sanitaire ces dernières semaines. Ils se retrouvent aussi pour certains événements festifs ou sportifs, comme le tournoi de boxe de GI organisé à L’Agogé.

    À Lyon, si Génération identitaire est hégémonique – lui seul a encore un local –, il n’est pour autant pas le seul à être actif. Deux autres groupuscules ont ainsi été remontés par des anciens du Bastion social (groupuscule lui-même issu du GUD), dissous en 2019 : Lyon Populaire et Audace Lyon. Les militants des différents groupes entretiennent de bonnes relations et n’hésitent pas à faire le coup-de-poing ensemble. Ils entretiennent également des liens solides avec la frange la plus radicale des supporters de l’OL qui grossissent à l’occasion les rangs de l’extrême droite lyonnaise pour des descentes. L’une de ses « firm » de hooligans, la Mezza Lyon, arbore comme emblème la Totenkopf des divisions SS.

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    Des militants de Lyon Populaire dans la salle de boxe de GI Lyon, L’Agogé. / Crédits : ©GALE

    Que fait la police ?

    Au total, on dénombre plus d’une attaque ou agression par mois sur ces dix derniers mois. Des violences commises presque à chaque fois en plein jour et en plein centre-ville. Presque à chaque fois revendiquées sur la chaîne Telegram hooligan nazifiante Ouest Casual. Presque à chaque fois ont été reconnus par des témoins ou sur les images des faits des militants ou cadres des groupes d’extrême droite radicale locaux, notamment GI et dans une moindre mesure, le Bastion social. Presque à chaque fois sans entraîner d’arrestations. Plusieurs violences commises par des militants d’extrême gauche ont également été dénombrées et quatre militants du Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale) viennent d’être placés en détention provisoire pour « violences en réunion sur une personne à raison de son appartenance présumée à un groupe d’extrême droite ».

    « L’impunité dont les militants d’extrême droite jouissent est frappante. Fin août, les violences entre Civitas et le Gale dans une manifestation ont conduit à l’interpellation de militants de gauche alors que l’attaque de la Plume noire, qui date de plus de six mois, n’a donné lieu à aucune arrestation. Même chose pour la rixe du 24 juin rue de la Monnaie », déplore Alain Chevarin :

    « Face aux exactions massives de l’extrême droite, on a l’impression qu’il ne se passe rien. »

    Contactée par Streetpress, la mairie de Lyon reconnaît qu’il y a bien un sujet d’inquiétude et que la dissolution de GI est « concomitante à une récurrence des faits de violences d’extrême droite à Lyon ». Pour l’adjointe au maire Florence Delaunay, si cette dissolution n’en était pas moins nécessaire, elle « ne doit pas être le seul levier d’action que l’on peut et doit utiliser ». L’élue cite en exemple plusieurs conférences organisées par la municipalité sur l’extrême droite, dont celle en marge de laquelle des militants d’extrême droite ont tendu un guet-apens aux antifascistes venus y assister. Mais aussi de futures auditions de membres de la commission parlementaire de lutte contre les groupuscules d’extrême droite et la formation des agents de la ville, notamment les policiers municipaux, pour prévenir ce type de violence.

    Mais les regards sont surtout tournés vers la préfecture. Celle-ci jouerait « un jeu trouble », selon les organisations de gauche locales. Elle fait pour le moins preuve, d’un certain immobilisme. Du côté de la mairie, l’adjointe au maire Europe Écologie Les Verts, Florence Delaunay assure toutefois que les rapports sont « excellents » avec la préfecture du Rhône. « Nous transmettons les informations pour que la police puisse prévenir les débordements et sanctionner les violences », ajoute l’élue :

    « Je comprends que les associations estiment que les militants d’extrême droite jouissent d’une certaine impunité mais je pense que du côté des institutions il y a un réel effort qui est fait. »

    Du côté des associations de gauche, la demande est claire : il faut fermer les locaux satellites de Génération identitaire. Une solution réclamée depuis des années et à laquelle Gérald Darmanin n’a pas fermé la porte. « Si des personnes qui appartenaient à Génération identitaire, visées par mes services, se retrouvent regroupées, si le suivi montrait qu’ils sont en relation, qu’ils ont des intérêts communs, il est évident que nous reprendrions des dispositions pour dissoudre et fermer ces lieux » vient ainsi de déclarer le ministre de l’Intérieur au Progrès de Lyon, en marge d’un déplacement dans la ville. « Nous espérons que ces promesses seront tenues », commente la mairie. Une manifestation nationale « contre les violences de l’extrême droite », est prévue à Lyon le 23 octobre.

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    Contactée par StreetPress, la préfecture du Rhône n’a pas été en mesure de répondre dans les délais impartis.

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