L'hôpital français de Kaboul : soigner coûte que coûte

L'Hôpital français de Kaboul est l'un des rares établissements à fonctionner pratiquement normalement depuis le retour des talibans. - La Chaîne de l'Espoir JF Mousseau
L'Hôpital français de Kaboul est l'un des rares établissements à fonctionner pratiquement normalement depuis le retour des talibans. - La Chaîne de l'Espoir JF Mousseau
L'Hôpital français de Kaboul est l'un des rares établissements à fonctionner pratiquement normalement depuis le retour des talibans. - La Chaîne de l'Espoir JF Mousseau
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Depuis le retour des talibans, le système de santé afghan est au bord de l’effondrement faute de financements internationaux qui ont été en grande partie suspendus. Deux mille structures de soin ont déjà fermé. L'hôpital français de Kaboul a dû s'adapter aux nouveaux maîtres du pays.

On vient de toutes les provinces d'Afghanistan pour se faire soigner à l'hôpital français de Kaboul, appelé aussi Institut médical français pour la mère et l'enfant. Sur la façade, une immense fresque représente une mère en burka avec son enfant. C'est le symbole de l'hôpital. Toutes les ethnies du pays s’y côtoient : pachtounes, hazaras, ouzbeks, tadjiks. L'hôpital français de Kaboul fonctionne en partie grâce à des capitaux privés ce qui lui a permis de traverser sans trop de casse les première semaines qui ont suivi le retour des talibans.

Aujourd'hui, ils sont postés en armes à l'entrée du bâtiment et dans la rue qui permet d'y accéder. Le docteur Bashir, directeur médical, travaille à l'hôpital français depuis sa création en 2006.

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Dès le premier jour nous avons eu de bonnes relations avec la commission de santé des talibans car ils savent que nous sommes un hôpital, peu importe qui vient, si c’est un taliban ou quiconque, on fournit des soins de santé sans discrimination. C’est ça la clé. 

La clé pour se faire accepter des nouveaux maîtres de l'Afghanistan. Il a fallu aussi négocier pour permettre aux femmes qui représentent 30 % du personnel de l'hôpital de venir sur leur lieu de travail. Dans un premier temps, l'hôpital a dû mettre en place des navettes pour aller les chercher.  

Il y a et il y a eu des problèmes après que l'ancien gouvernement s'est effondré et que le nouveau gouvernement a mis en place de nouvelles règles. Il était demandé à certaines de nos employées femmes où elles allaient, ce qu’elles faisaient. C'était donc une sorte de défi pour le personnel féminin. Mais une fois qu’elles ont expliqué travailler pour l'hôpital, être médecins, infirmières, alors elles ont été autorisées à venir. 

Le Docteur Bashir, directeur médical de l'Hôpital français de Kaboul
Le Docteur Bashir, directeur médical de l'Hôpital français de Kaboul
© Radio France - Jérémy Tuil

C’est l’une des rares exceptions aux restrictions imposées par les fondamentalistes. Les femmes qui exercent dans le domaine médical peuvent sortir de chez elle pour venir travailler. Mais l'inquiétude est grande chez les femmes médecins ou infirmières à l'image du Docteur Yalda Obaidy. Cette chirurgienne pédiatrique a été formée ici à l’hôpital français. 

Nous avons un patient dont le père, un taliban, a été opéré dans cet hôpital. Et après quelques jours, il nous a dit : nous avons juste une suggestion. Nous n'avons pas aimé que les hommes et les femmes travaillent ensemble ici. Et nous vous suggérons de créer deux sections distinctes. Une section où les hommes devraient être et une autre section où les femmes devraient être. Mais notre collègue lui a dit que c'était impossible. À cause de cela, nous craignons qu'à la fin, ils imposent leurs idées et que nous perdions notre emploi.    

Un pays sous perfusion

L'autre difficulté à laquelle est confrontée l'hôpital est la crise économique que traverse le pays. Pas un Afghan n’est épargné. Après le retour des talibans, la plupart des aides internationales qui maintenaient le pays sous perfusion ont été suspendues. Et les avoirs de la Banque centrale afghane ont été gelés par les États-Unis. C’est un moyen de pression sur les fondamentalistes pour qu’ils garantissent certains droits fondamentaux dont ceux des femmes.  Certains services sont directement impactés par le manque d'argent comme le service des soins intensifs dirigé par le Docteur Taibullah. 

Il y a un ou deux mois, tous les lits étaient occupés. De nos jours, à cause de la situation, nous avons moins de patients parce que les gens n'ont pas d'argent pour venir. Toutes les banques sont fermées, les gens ne peuvent pas retirer plus de 200 dollars par semaine. Avec cet argent on ne peut rien faire. C’est un gros problème ici. 

Beaucoup d'Afghans sont à cours d'argent et ne peuvent plus se faire soigner. Une femme en burka nous explique qu'elle a un problème à un rein, qu'elle est allée dans cinq hôpitaux différents mais qu'aucun ne l'a acceptée. Son mari était policier. Aujourd'hui, il n'a plus de travail et ne reçoit plus de salaire. 

Un couple attend de faire soigner sa petite fille à l'Hôpital français de Kaboul qui prend en charge les frais de santé pour les plus nécessiteux
Un couple attend de faire soigner sa petite fille à l'Hôpital français de Kaboul qui prend en charge les frais de santé pour les plus nécessiteux
- La Chaîne de l'Espoir JF Mousseau

Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, 2 000 structures de santé soit un cinquième des centres de soin en Afghanistan ont dû fermer et 23 000 employés du secteur de la santé dont 7000 femmes ne reçoivent plus de salaires ou ont dû arrêter de travailler. Sans soutien international, la quasi totalité de la population afghane risque de basculer sous le seuil de pauvreté d'ici l'année prochaine. Une population traumatisée par le retour des talibans et ses répercussions comme cette maman qui est venue faire opérer son fils de 4 mois d'une malformation du palais. 

Mon mari travaillait sous le gouvernement d’Ashraf Ghani et maintenant il est sans emploi. Cette opération est très chère. L’un de mes amis qui vit à l’étranger nous aide pour une partie des dépenses. Le reste est pris en charge par l’hôpital. C’est très dur car la vie de tout le monde a changé subitement. Tous les gens ont perdu leur emploi et je dois faire opérer mon fils dans ce contexte. C’est vraiment une situation difficile à laquelle on ne s’attendait pas. 

Le directeur de l'OMS a prévenu de l'imminence d'une catastrophe humanitaire. Pour parer au plus pressé, l'ONU a débloqué 45 millions de dollars d'aide d'urgence pour soutenir le système de santé afghan qui risque de s'effondrer. 

L'équipe

  • Emmanuelle Theis
    Journaliste