Sade : à l’origine des "120 Journées de Sodome"

Portrait présumé du marquis de Sade jeune
Portrait présumé du marquis de Sade jeune
Sade : A l’origine des "120 Journées de sodome"
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Sade : à l’origine des "120 Journées de Sodome"

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L'Etat a lancé un appel au mécénat d'entreprise pour acheter le manuscrit original des "120 Journées de Sodome". Ce rouleau écrit en prison par le marquis de Sade a été perdu, volé, vendu... Voici son histoire, aussi dérangeante que le contenu de cette mise en scène de violences sexuelles.

Ce livre maudit, inachevé, volé, écrit sur un rouleau dans une prison, détaille “600 perversions” sexuelles lors d’une orgie dans un château. Il fut adapté au cinéma par Pier Paolo Pasolini avec Salò, une allégorie du fascisme qui scandalise encore 45 ans après sa sortie. Et le nom de son auteur a donné le mot "sadique". Mais en réalité,  avec Les 120 Journées de Sodome, Sade ne fait pas l’apologie des agresseurs. Au contraire... 

Stéphanie Genand, professeure de littérature française du XVIIIe siècle à l'université de Bourgogne, a écrit une biographie du marquis, Sade (Folio-Gallimard, 2018) : "On a longtemps pensé que Sade pensait ce qu’il écrivait ; qu’il adhérait aux propos des libertins. On a fait une espèce d’amalgame : Sade pense ce que ses personnages disent. C’est l’inverse en réalité. Il nous fait entendre tout ce dont un homme est capable. Et si vous ouvrez la boîte des passions sexuelles de l’humanité, on n'y trouve que des choses peu réjouissantes. Donc finalement l’intérêt des 120 Journées_, c’est de nous montrer le fond de la boîte. Et du coup c’est toujours utile, et plus que jamais d’actualité."_

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Un conte dangereux, à dissimuler

1785, prison de la Bastille : le marquis de Sade écrit sur un rouleau de 12 mètres de long un texte si dangereux qu’il veut le cacher à ses geôliers. Stéphanie Genand : "Sade écrit de manière microscopique, en recto-verso, sans le moindre espace blanc. Cela révèle chez lui un désir obsessionnel de l’écrire." Sade dissimule son rouleau entre les pierres de sa cellule. Emprisonné depuis sept ans pour des affaires de mœurs, il le restera encore vingt ans. Isolé, souffrant, poussé par le besoin cathartique d'écrire, il met enfin au propre le conte funeste qu’il a imaginé, inspiré du Décaméron de Boccace : en 120 jours, quatre aristocrates décadents font subir des sévices sexuels à quarante-deux jeunes gens, enfermés dans un château de la Forêt-Noire.

Pendant 37 jours, Sade se jette dans l’écriture, puis le récit cède la place à une simple liste de sévices et de tortures, et Sade laisse le texte inachevé, pendant quatre ans. Comment expliquer cet arrêt soudain de l'écriture ? Stéphanie Genand : "Sans doute que Sade a pu se désintéresser de la surenchère. Aller plus loin ne sert à rien. Une fois qu’on a tout raconté, on peut surenchérir dans l’horreur mais il y a un essoufflement de la matière violente qui fait qu’on a compris. De fait, le texte ne perd pas beaucoup à être inachevé." 

Sade victime ou bourreau ?

1789 : c’est la Révolution. Sade tente de mobiliser le peuple depuis sa cellule. Il est transféré d’urgence, sans avoir eu le temps d'emporter son précieux rouleau.

Le croyant perdu, Sade écrit qu'il “pleure des larmes de sang”. Il ne saura jamais qu’un révolutionnaire a retrouvé le manuscrit. Le rouleau sera ensuite vendu, caché, perdu, mal retranscrit et édité en 1904 par un Allemand considéré comme le père de la sexologie. Pourtant, Sade ne semblait pas destiner ce texte à la publication. Il l’écrit comme pour se libérer lui-même, voulant sonder la complexité du désir, paradoxalement en plein siècle des Lumières. Stéphanie Genand : "Sade, de ce point de vue, est un des écrivains qui pousse le plus loin l’exploration de cette ambiguïté de l’être humain : à la fois très rationnel - et qu’à son époque on peut de mieux en mieux connaître - et totalement irrationnel." Sade lui-même souffre de sa sexualité. Quand, à 50 ans, il ne ressent plus cette frénésie de sexe, il dit être soulagé.

Stéphanie Genand : "En lisant sa correspondance, j’en suis venue à penser qu’il avait dû subir lui-même beaucoup de violence pour avoir une sexualité qui ne soit jamais heureuse, qui ait besoin qu’on le supplicie. Parce que le scénario sadien, c’est plutôt d’avoir besoin de souffrir, plutôt que de faire souffrir. Sade a fréquenté enfant les collèges jésuites, qui, de notoriété publique sous l’Ancien régime, avaient la réputation d’être des espèces de repaires où les instituteurs pervertissaient leurs élèves. Est-ce que c’est un hasard si un texte sur deux de Sade comporte comme sous-titre “Les Instituteurs immoraux”, “L’Ecole libertine” ? Dans l’œuvre sadienne, dès qu’on est un enfant, dès qu’on est une jeune femme ou un jeune garçon, on rencontre toujours un adulte qui, sous prétexte de vouloir vous former, va abuser sexuellement de vous, ou plus exactement, va associer à sa formation une consommation sexuelle, en présentant ça comme une initiation. C’est une structure récurrente chez Sade."

Ami lecteur, il faut maintenant disposer ton cœur et ton esprit au récit le plus impur qui ait jamais été fait depuis que le monde existe.                    
Marquis de Sade, introduction aux 120 Journées de Sodome

En 1958, au terme d’un procès célèbre qui opposa l'éditeur Jean-Jacques Pauvert à la volonté de censure du Ministère public, les 120 Journées peuvent enfin être publiées.  Le manuscrit, pour sa part, après avoir été volé et signalé à Interpol, a été labellisé “Trésor national” par le ministère de la Culture. Il est estimé aujourd’hui à 4,5 millions d’euros, le même prix que la Bible de Gutenberg, le premier livre imprimé. Et il est devenu, plus que jamais, un objet de culte convoité. 

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