#OùEstMonÉtat : à Kayes, désamorcer la bombe à retardement de l’esclavage par ascendance
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#OùEstMonÉtat : à Kayes, désamorcer la bombe à retardement de l’esclavage par ascendance

Les graves violations des droits humains liées à la pratique de l’esclavage par ascendance, auxquelles on assiste dans la région de Kayes, constituent une bombe à retardement. L’État doit agir.

Malgré les nombreuses alertes sur la question de l’esclavage par ascendance, les pouvoirs publics peinent à trouver une solution à la hauteur. Les initiatives entreprises çà et là n’ont pas suffi à éloigner les vieux démons. En témoignent les récents événements survenus à Oussoubidiagna, dans le cercle de Bafoulabé, lors de la célébration de la fête de l’indépendance, le 22 septembre.

Une vidéo, le 28 septembre, a circule sur les réseaux sociaux montrant des jeunes ligotés et torturés. Ces malheureux évènements ont eu lieu après la signature d’une Charte pour la cohésion entre les communautés, à l’issue d’un forum d’entente sociale organisé à Kayes par les autorités de la région.

« Rien de nouveau »

Pourtant, les signataires de cette Charte de 13 articles sont les autorités administratives, les élus, les chefs coutumiers ainsi que des religieux de la région de Kayes. L’article 11 de ladite Charte stipule : « Nous engageons à éviter tout acte d’exclusion en lien avec la pratique de l’esclavage et à promouvoir l’inclusion dans toutes les activités et cérémonies communautaires et garantir l’accès de tous aux lieux de cultes, de centres de santé, école, espace de loisir ou tout autre espace public. »

La source de ces bagarres entre les militants anti-esclavagistes et ceux qui plaident pour son maintien, en se basant sur des us et coutumes, reste floue. « En réalité, je n’ai rien entendu de nouveau dans cette salle. Depuis mon arrivée au ministère de la Réconciliation nationale en novembre 2020, j’ai reçu les deux camps pour mieux cerner le problème. En les écoutant, vous avez l’impression que chacun a raison » a déclaré le colonel-major Ismaël Wagué, ministre malien de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale, lors de sa visite le 14 octobre 2021 à Bafoulabé.

Cette déclaration prouve que l’exécutif peine à trouver un mécanisme de résolution de ce conflit. S’il n’y a rien de nouveau dans ce conflit qui oppose les camps d’une même communauté, pourquoi les autorités maliennes ont du mal à venir à bout de ces agissements, sachant que ce sont des vies humaines qui sont en danger ?

Restaurer l’autorité de l’État

Dans la région de Kayes, beaucoup de personnes estiment que l’effritement de l’autorité de l’État est à la base de ces dérives liées à la pratique de l’esclavage par ascendance. Aussi, préconisent-elles que « force reste à la loi », comme l’a affirmé le ministre Wagué. Ce dernier avait ajouté, à Bafoulabé, que « toute pratique qui met en cause les droits d’autrui doit être combattue devant la loi ».

Pour Salaman Sakiliba, présidente de la société civile de Bafoulabé, le manque de courage des autorités maliennes à résoudre le problème peut être interprété comme une faiblesse de l’État. Ce qui, estime-t-elle, pourrait encourager les auteurs de ces agressions à poursuivre leurs actes vis-à-vis de ceux qui refusent d’assumer un statut d’esclave au nom d’une coutume.

Bira Sissoko demande, pour sa part, une dissolution des différentes associations, car, pour lui, celles-ci contribuent à attiser les tensions autour de la problématique de l’esclavage par ascendance.

Des chiffres toujours inquiétants

Depuis 2018, ce sont plus de 3 000 personnes qui ont fui l’esclavage par ascendance dans l’ouest du Mali à cause des réactions tardives et souvent timides des autorités dans la gestion de ce phénomène. Selon les chiffres du projet Esclavage et migrations forcées dans l’Ouest du Mali (EMIFO), dirigée la chercheuse Marie Rodet, en octobre 2020 une enquête quantitative réalisée auprès de 1634 personnes déplacées en interrogeant 204 adultes dont 105 hommes et 99 femmes, d’un âge moyen de 35,8 ans, montre que 97 % des personnes ont quitté leur village pour échapper à l’esclavage.

La majorité d’entre elles, poursuit cette enquête, se sont échappées pour s’installer dans le village de Mambiri (Kita) sur trois semaines en janvier 2019 et venant de cinq communes différentes situées au nord de Mambiri, à environ 150 kilomètres. Le même rapport précise que 60 % des personnes interrogées ont déclaré avoir dû travailler pour un « maître » ou un « noble » dans leur village d’origine.

Parmi ces personnes, 85 % disent avoir été victimes de violences, notamment d’abus verbaux et de menaces ainsi que des coups et blessures. Marie Rodet ajoute que « toutes les générations ont été touchées par ces violences, y compris les moins de 30 ans (51 % des personnes ayant subi des violences), ce qui montre la très grande contemporanéité des pratiques esclavagistes dans ces villages ».

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