Dans ce dossier, il y a deux victimes, à peine sorties de l’enfance. Deux adolescentes de 12 et 14 ans qui, en principe, ne devaient pas être à l’audience, lundi 25 octobre au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). C’est donc en leur absence qu’ont été jugés trois hommes de 19, 21 et 26 ans pour proxénétisme sur mineurs. Ils ont été condamnés à des peines de prison allant de 18 mois à 6 ans ferme.

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Un type de dossier devenu presque ordinaire dans certains tribunaux, en particulier en région parisienne. « Ces délits sont en forte augmentation depuis quelques mois. Depuis mars 2020, 65 personnes ont été condamnées dans notre juridiction pour proxénétisme sur mineures », souligne Laureline Peyrefitte, la procureure de la République de Meaux. « On a le sentiment que cette activité est devenue le nouveau “business” des cités », ajoute Manon Ternoy, juge pour enfants.

Une intensification depuis 2015

Il est difficile d’avoir une estimation précise du nombre de mineurs qui se livrent à la prostitution en France. Le secteur associatif cite une fourchette allant de 7 000 à 10 000 personnes. « Mais cela reste très approximatif et peut-être en deçà de la réalité », préviennent les auteurs d’un rapport remis cet été au gouvernement et piloté par Catherine Champrenault, alors procureure générale de Paris.

Ils notent que la prostitution des mineures s’est intensifiée en France à partir de 2015 et s’est développée dans toutes les grandes agglomérations. Sous l’impulsion de proxénètes souvent jeunes eux aussi, mais le plus souvent majeurs. « Les services d’enquête relèvent que de plus en plus de jeunes délinquants investissent la prostitution. Cela ne leur demande pratiquement aucune mise de fonds au départ et l’activité s’avère très vite lucrative, avec des gains journaliers de 300 à 1 500 €, et des possibilités assez faciles de blanchiment », souligne ce rapport.

Un constat partagé par Catherine Mathieu, présidente du tribunal de Meaux : « On voit de plus en plus d’individus qui délaissent le trafic de stupéfiants pour le proxénétisme des mineurs, en estimant que cela est moins risqué et plus rentable. Tout l’enjeu est donc d’envoyer un message de fermeté. À Meaux, les peines prononcées sur ces dossiers sont de plus en plus sévères. »

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Ces magistrats constatent que les techniques d’approche de ces délinquants sont bien rodées. « Très souvent, ils viennent chercher ces jeunes filles à la porte des foyers d’aide sociale à l’enfance. Et dans bien des cas, ils usent de la stratégie du “lover boy”. Ils séduisent ces adolescentes et entament une relation amoureuse avant de les pousser à prostitution », explique Manon Ternoy.

Une grande fragilité

Selon le rapport, les jeunes filles, qui se livrent à la prostitution, sont, elles, âgées en moyenne de 15 à 17 ans. « Mais on voit régulièrement des ados encore plus jeunes », constate Manon Ternoy. « Il s’agit de jeunes filles très vulnérables et fragiles psychologiquement, le plus souvent en situation d’échec scolaire et de rupture familiale », précise Julie Laroque, référente sur ce dossier au tribunal de Meaux.

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Ces magistrats se trouvent face à une autre grande difficulté : dans l’immense majorité des cas, ces adolescentes affirment se prostituer de leur plein gré et ne se considèrent pas comme des victimes. « Le plus souvent, les proxénètes gardent l’argent et leur en redonnent une toute petite partie quand elles veulent s’acheter des vêtements ou aller chez le coiffeur. Ces adolescentes, qui sont sous emprise, n’y voient rien à dire. Certaines ont le sentiment qu’ils leur donnent de l’argent de poche comme le feraient leurs parents », constate Valentine Géraud, substitut du procureur.

C’est ce qui rend difficile la tâche des juges pour enfants, dont la mission est de protéger ces jeunes victimes. «Quand on les reçoit, on essaie de les mettre en confiance, de valoriser leurs qualités, de parler de leurs centres d’intérêt. Car si on parle d’emblée de la prostitution et de leur statut de victimes, elles se braquent et ne disent plus rien, ajoute Julie Laroque, très investie, comme ses collègues, sur ces dossiers. En fait, il y a toujours un moment où elles se posent des questions sur cette prostitution et où elles appellent à l’aide. Il faut alors réagir très vite, le jour même. Car dès le lendemain, elles auront peut-être fugué ou retrouvé une posture de défiance. »

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Ce que risquent les clients

Les peines prévues pour les clients : la peine de base est de 3 ans de prison et 45 000 € d’amende. Elle passe à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende, lorsque l’infraction est commise de façon habituelle, si le mineur a été mis en contact avec le client par Internet ou si ce dernier a usé d’une position d’autorité. Si le mineur a moins de 15 ans, la peine peut aller jusqu’à 7 ans et 100 000 € d’amende.

Un plan gouvernemental pour la mi-novembre : le secrétaire d’État à l’enfance et aux familles, Adrien Taquet, doit présenter à cette date un plan de lutte contre la prostitution des mineurs. Ce lundi 25 octobre, il reçoit les grandes plates-formes hôtelières ou de logement (Booking, Airbnb…) pour les sensibiliser à ce problème.