Accueil

Politique Droite
La démocratie, c'est pas compliqué : plus de 150 journalistes veulent censurer Éric Zemmour
Eric Zemmour, le 19 octobre 2021.
Hans Lucas via AFP

La démocratie, c'est pas compliqué : plus de 150 journalistes veulent censurer Éric Zemmour

La haine, c'est mal

Par

Publié le

Ces journalistes « respectueux des valeurs démocratiques », assurent-ils, ont publié dans « Mediapart » une tribune visant à couper le micro à certaines « personnalités publiques ». Ils assument de vouloir les « invisibiliser » ou les « combattre ». Sans jamais le nommer, leur cible n'est autre qu'Éric Zemmour, qui doit jubiler d'avoir poussé ces nouveaux censeurs à sortir du bois.

Cachez ces mauvais Français que nous ne saurions voir ! Dans une tribune publiée sur l'espace blog libre de Mediapart, plus de 160 journalistes, certains sous anonymat, se sont déclarés « pas complices de la haine » et appellent à ne plus traiter de certains sujets ni de débattre avec certains candidats. En ligne de mire : Éric Zemmour. Dans un texte mêlant condescendance et manichéisme, ils expliquent pourquoi, selon eux, les journalistes qui traitent « avec jubilation » des idées d'Éric Zemmour sont « complices de la pire des idéologies ». C'est-à-dire le « fascisme ». Rien que ça.

Près de vingt ans après le 21 avril 2002, il faut croire que ces journalistes n'ont toujours pas compris que le mépris qu'ils portent à certaines thématiques – et donc à certains Français – ne produit aucun effet. Ou plutôt : il produit l'effet exactement inverse à celui espéré. Avoir « invisibilisé », terme à la mode dans un certain milieu militant radical, les thèmes et propositions de l'extrême droite n'a jamais empêché celle-ci de monter dans l'opinion publique. Cette « invisibilisation » participe, en revanche, de la défiance qu'une partie de la population manifeste vis-à-vis des médias, accusés de faire progresser les idées qui leur conviennent le mieux. Cette tribune, signée par les défenseurs de valeurs « humanistes et des identités multiples », l'assume d'ailleurs parfaitement : « Nous, journalistes, sommes très au clair sur nos combats : la haine, l’exclusion, les discriminations tuent. » La haine, c'est mal : sacré programme.

Nous, journalistes complices de la haine

Selon les signataires de cette tribune, les journalistes qui traitent de l'extrême droite ne peuvent se répartir qu'en deux catégories : la première, composée des journalistes qui demeurent silencieux à cause de « la précarité grandissante du métier » et qui, sous le bâillon, « ne sont pas en accord avec cette pratique du journalisme qui consiste à créer un ou des monstres ». L'autre catégorie est celle qui joue « délibérément un rôle dans la montée du fascisme, du racisme, de l’antisémitisme, des LGBTQIphobies et de la misogynie en France et qu’ils et elles en seront en partie responsables ». Des génies du mal, qui se délectent de créer ce Frankestein d'extrême droite pour booster les audiences. Dans cette dichotomie d'un manichéisme caricatural, on cherche encore la place des journalistes qui travaillent, sincèrement soucieux de comprendre ce qui se passe dans le pays. Qui font leur métier, en somme, sans chercher à pré-sélectionner les candidats valables. Et selon les critères de qui ?

A LIRE AUSSI : Réflexe réactionnaire ou tentation nihiliste ? De quoi le vote Zemmour est-il le non ?

À Marianne, bien sûr, nous avons consacré notre numéro 1283 de la semaine du 15 octobre à ces Français qui s'apprêteraient à voter Zemmour. Nos reporters sont allés les rencontrer, à Versailles, Nice et Dunkerque. Voici donc les visages de la « haine » : « Quand Marine Le Pen ne parle que d'immigration, lui parle de notre pays », lançait Aubry à Vincent Geny, notre journaliste qui s'est rendu à Versailles. « On est à bout, il a fallu que notre fils autiste saute d'un balcon pour qu'on lui trouve enfin un foyer spécialisé », témoignait Anne, une enseignante, auprès d'Emilien Hertement, en reportage à Nice. « Nous, musulmans, on a pas trop la côte ici »,confiait pour sa part Ursula à Anthony Cortes, en déplacement à Dunkerque. La jeune femme, issue d'une famille musulmane, précisait par ailleurs que la candidature du polémiste « intéresse même des personnes de ma famille... Je ne comprends pas. »

Une chose est sûre : si la totalité des journalistes de France décidait de se conduire comme les plus de 150 signataires de la tribune, Ursula n'aurait certainement aucune chance d'y comprendre quoi que ce soit. Mais ces journalistes-là, « respectueux des valeurs démocratiques », précisent-ils, auront toujours pour eux la conscience intacte, la tête haute et les mains propres. Pour les signataires de la tribune, Éric Zemmour n'est rien d'autre qu'un pur produit médiatique, il ne représente rien ni personne et sa fulgurante ascension n'est à mettre sur le compte que des rédactions, des télévisions, qui ont créé le monstre. Fastoche !

Ni mépris, ni complaisance

Pour faire court : les Français sont trop cons. Ils allument la télé et votent pour le premier type qui déblatère des idées radicales. Coupez-leur la télé, à ces mauvais citoyens, et ils s'empresseront de voter pour Anne Hidalgo, la légalisation de la GPA ou la régularisation de tous les sans papiers. Bien sûr, on pourrait analyser comment la politique et le spectacle ont peu à peu fusionné ces vingt dernières années, et pas seulement à droite. Mais ce travail nécessaire ne suffirait pas à expliquer les mécanismes de l'ascension d'Éric Zemmour. Natacha Polony rappelait récemment dans nos colonnes ces mots de Philippe Muray, au lendemain du 21 avril 2002, qui voyait dans le vote Le Pen une façon pour le peuple de se saisir d'un gourdin : « Quand on prend un gourdin pour fracasser quelque chose, écrivait-il, cela n'implique pas qu'on soit gourdiniste ; ni qu'on souhaite voir accéder ce gourdin aux plus hautes fonctions. »

Les raisons qui poussent certains Français à s'emparer du gourdin Zemmour n'appellent donc ni mépris, ni complaisance non plus. Elles appellent à un travail journalistique sérieux, rigoureux, un travail de terrain associé à une analyse politique et idéologique de ce qu'incarne cet essayiste. Il y a ce vieil adage dans le métier : il ne s'agit pas d'interviewer celui qui dit qu'il pleut, puis celui-là qui assure qu'il ne pleut pas. Le journalisme, c'est ouvrir la fenêtre et vérifier. On peut déplorer que ces signataires aient décidé de fermer les volets.

A LIRE AUSSI : "Éric Zemmour est le reflet inversé des indigénistes, et leur meilleur ennemi"

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne