SÉRIE - ART & LITTÉRATURE

Les Fables de la Fontaine par Gustave Moreau, des trésors d’illustrations

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Publié le , mis à jour le
Au musée Gustave Moreau, une exposition historique dévoile une série d’œuvres méconnues : les superbes illustrations à l’aquarelle des fameuses Fables de La Fontaine, réalisées par peintre symboliste (et bibliophile)… En cette rentrée littéraire et artistique, Beaux Arts consacre une série aux liaisons heureuses, cachées ou tumultueuses, entre les mots et les images, de Balzac à Saint-Exupéry en passant par Baudelaire ou Proust.
Gustave Moreau, Le Paon se plaignant à Junon
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Gustave Moreau, Le Paon se plaignant à Junon, 1881

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aquarelle • 29 x 19 cm • Paris, musée Gustave Moreau • © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojeda

Gustave Ricard, Portrait de Gustave Moreau
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Gustave Ricard, Portrait de Gustave Moreau, vers 1864

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huile sur toile • Paris, musée Gustave Moreau • © RMN-GP / Stéphane Maréchalle

Difficile de faire plus littéraire que Gustave Moreau qui, dans l’une de ses lettres, se plaint même d’être considéré comme trop livresque ! Il faut dire que l’artiste rayonne en tant que magicien du symbolisme, mouvement justement éclos sous la plume des poètes. Sans cesse, il feuillette les Métamorphoses d’Ovide dans son immense bibliothèque en partie héritée par son père, véritable caverne d’Ali Baba où s’amoncellent romans, recueils de poésie, ouvrages de critique littéraire, récits de voyage et livres religieux. De la mythologie antique à Salammbô de Gustave Flaubert (l’un de ses auteurs favoris), en passant par les contes et légendes, ses tableaux hantés par le songe s’inspirent abondamment de la littérature – et en particulier de sa capacité à évoquer l’insaisissable. Si bien que de nombreux écrivains de son époque produisent à leur tour des textes inspirés de ses toiles !

Le peintre est donc en terrain connu lorsqu’il se penche sur les Fables de La Fontaine (1668–1694) à la faveur d’une commande en 1879. Le mécène et collectionneur Antony Roux (1833–1913) souhaite faire réaliser une édition illustrée du célèbre recueil moraliste, chef-d’œuvre de l’époque classique en partie inspiré d’Ésope, Horace et Tite-Live, mais aussi de textes indiens. Pour cela, il fait appel à plusieurs peintres dont Moreau, avec qui il échange plus de 200 lettres… et à qui il finit par confier la totalité des fables, tant ses illustrations font un triomphe lors de l’exposition du projet en cours, organisée en 1881 chez Durand-Ruel par la Société des aquarellistes français !

Gustave Moreau, Les Grenouilles qui demandent un Roi
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Gustave Moreau, Les Grenouilles qui demandent un Roi, 1884

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aquarelle • 32 × 20,7 cm • Collection particulière • © Jean-Yves Lacôte

Émerveillé par le foisonnement coloré de ces aquarelles mêlées d’encre, de graphite et de gouache, le critique d’art Charles Blanc le compare à un « joaillier ».

« Seuls quelques spécialistes le savaient. On connaissait, du XIXe siècle, les illustrations de Jean-Jacques Grandville, de Gustave Doré, mais de Gustave Moreau très peu », souligne Marie-Cécile Forest, directrice du musée installé dans la belle demeure parisienne du peintre, rue La Rochefoucauld. Ce dernier dévoile ce travail méconnu qui n’avait pas été exposé depuis 1906, à travers 35 aquarelles d’une rare beauté. Immortalisées grâce à des photographies en noir et blanc, mais disparues après avoir été spoliées durant la Seconde Guerre mondiale, les 24 illustrations manquantes de la série se devinent grâce aux dessins préparatoires…

« Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies », semblable à « la boutique d’un lapidaire »… Dans Le Paon se plaignant à Junon (dont l’illustration figure dans les collections du musée, contrairement aux 34 autres qui se trouvent en mains privées) [ill. en une], la description que Jean de La Fontaine livre de la queue du volatile semble avoir été écrite pour Moreau, dont le raffinement précieux lui vaut justement d’être qualifié d’« orfèvre » par ses contemporains ! Émerveillé par le foisonnement coloré de ces aquarelles mêlées d’encre, de graphite et de gouache, le critique d’art Charles Blanc le compare à un « joaillier » qui « aurait broyé des rubis, des saphirs, des émeraudes, des topazes, des opales, des perles et des nacres, pour s’en faire une palette »…

Gustave Moreau, Le Dragon à plusieurs têtes et à plusieurs queues
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Gustave Moreau, Le Dragon à plusieurs têtes et à plusieurs queues, 1880

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aquarelle • 28,4 × 21,9 cm • Collection particulière • © Jean-Yves Lacôte

Il est clair que l’univers onirique de Moreau, grand amateur de chimères, de mythes antiques et de mirages orientalistes, se prête à merveille à ces textes peuplés d’animaux qui parlent et se transforment, où surgissent une sultane à dos d’éléphant, des dragons, la magicienne Circé et la déesse Junon. Végétaux ondulants, dédales de rochers escarpés, paysages évanescents… La passion du peintre pour le rêve infuse chaque aspect de ces aquarelles, y compris les plus naturalistes, où la magie s’exprime à travers des couleurs étonnantes et vaporeuses. Dans L’Éléphant et le Singe de Jupiter, et Le Dragon à plusieurs têtes et le Dragon à plusieurs queues, la profusion des formes et des nuances brouille les frontières entre paysage terrestre, céleste et subaquatique…

Gustave Moreau, Le rat de ville et le rat des champs
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Gustave Moreau, Le rat de ville et le rat des champs, 1881

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Aquarelle • 30,7 × 23,4 cm • Collection particulière • © Jean-Yves Lacôte

Pour donner corps à ces rêveries animalières, l’artiste s’est rendu à la Bibliothèque Nationale, au Museum d’histoire naturelle et à la Ménagerie du Jardin des Plantes où, durant un mois, il dessine sur le vif cerfs, vautours, lions, éléphants et rhinocéros… et se fait même livrer chez lui des grenouilles vivantes ! Le peintre file aussi au Louvre étudier Le Dessert (célèbre nature morte de Jan Davids de Heem) et croquer des objets précieux afin de nourrir la table luxueuse et fourmillante de détails qu’il choisit comme décor pour le festin des rongeurs dans Le Rat de ville et le Rat des champs – s’avérant ici plutôt proche de la gravure de Gustave Doré produite un an plus tôt, en 1880.

Mais, le plus souvent, son regard symboliste nourrit des compositions innovantes qui complètent les textes et renouvellent leur lecture. Ainsi, la silhouette menaçante d’un arbre vient incarner, comme un double diabolique, l’emprise cruelle du canidé dans Le Loup et l’Agneau. Pour Le Rat et l’Elephant, qui traite de la supériorité d’un être sur un autre en fonction de sa taille, le peintre fait le choix intelligent de relativiser l’importance du pachyderme en le montrant dépassé par des fleurs géantes – apportant du même coup une magie décorative à l’image, qui évoque les enluminures persanes.

Gustave Moreau, Le Loup et l’agneau
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Gustave Moreau, Le Loup et l’agneau, 1882

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Graphite, gouache, aquarelle • 28,5 × 19,5 cm • Paris, musée Gustave Moreau • © RMN-GP / René-Gabriel Ojéda

Formellement, la série souligne une nouvelle fois ses talents de précurseur. Avec sa représentation de Junon et du paon, l’artiste évoque les préraphaélites anglais tout en anticipant l’Art nouveau. Son illustration à la fois épurée et hallucinatoire de la fable Le Singe et le dauphin – un primate hurlant à califourchon sur un étrange monstre marin flanqué d’une lyre, le tout sur un ciel brumeux évoquant un tableau abstrait – constitue quant à elle un bel exemple de ce qui lui vaudra l’admiration des surréalistes, qui s’autoproclameront ses héritiers !

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Gustave Moreau. Les Fables de La Fontaine

Du 27 octobre 2021 au 28 février 2022

musee-moreau.fr

Retrouvez dans l’Encyclo : Symbolisme Gustave Moreau

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