Mylène Pardoën, archéologue du paysage sonore

Ex-mécanicienne d’hélicoptère au sein de l’armée, Mylène Pardoën a un visage sculpté, des cheveux très courts, et des yeux qui brillent dans lesquels on verrait presque défiler toutes les époques qu’elle a explorées.  ©Radio France - Crédits / Camille Marigaux
Ex-mécanicienne d’hélicoptère au sein de l’armée, Mylène Pardoën a un visage sculpté, des cheveux très courts, et des yeux qui brillent dans lesquels on verrait presque défiler toutes les époques qu’elle a explorées. ©Radio France - Crédits / Camille Marigaux
Ex-mécanicienne d’hélicoptère au sein de l’armée, Mylène Pardoën a un visage sculpté, des cheveux très courts, et des yeux qui brillent dans lesquels on verrait presque défiler toutes les époques qu’elle a explorées. ©Radio France - Crédits / Camille Marigaux
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Quel bruit faisait Paris au XVIIIe siècle ? Qu'entendait-on sur les différents chantiers de Notre-Dame de Paris ? Comment "sonnent" des métiers presque disparus aujourd'hui ? Des questions auxquelles tente de répondre Mylène Pardoën, une chercheuse tout à fait unique en son genre.

Avec
  • Mylène Pardoen Archéologue du paysage sonore, ingénieure de recherche au CNRS

Elle fait partie de ces chanceux qui ont littéralement inventé leur propre métier. Ancienne mécanicienne d'hélicoptère dans l'armée, où elle a officié pendant dix-sept ans, musicologue spécialiste des musiques militaires, Mylène Pardoën a su au gré de ses rencontres et des idées qui l'ont traversée inventer sa discipline, à nul autre pareil. Son travail : débusquer les sons du passé dans le présent, ici et aujourd’hui, là où ils existent encore. 

Sur le chantier médiéval de Guédelon, dans l'Yonne, Mylène Pardoën compte installer des dizaines de micros pour capter les sons des artisans qui travaillent au long cours sur un site exploratoire.
Sur le chantier médiéval de Guédelon, dans l'Yonne, Mylène Pardoën compte installer des dizaines de micros pour capter les sons des artisans qui travaillent au long cours sur un site exploratoire.
© Radio France - Crédits / Camille Marigaux

La reconstitution sonore, pour le patrimoine et le grand public

Mylène Pardoën écume depuis une dizaine d'années les musées, les chantiers et les colloques scientifiques afin de faire entendre à la société les sons du passé. Un travail à destination de la recherche scientifique et du grand public, et qui se conjugue à l'infini : sa matière première, le son, elle le trouve ici et maintenant.

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Le son c’est du temps, de l’espace, de l’espace-temps. C’est comme l’eau qui coule. On part de ce constat et on va construire là-dessus des hypothèses d’écoute et des hypothèses de travail. Ce n’est jamais une vérité à 100% sûre. Moi, je suis chercheuse, je cherche un pou sur une tête de chauve. Et après, pour le grand public, je vais lui apporter une histoire sonore pour qu’il puisse s’y retrouver. Ce bruit-là, on ne l’entend pas au quotidien, il existe encore, il est encore pratiqué ici ou là. Je te le fais sortir, je le remets à l’intérieur et tu vas entendre ce qui peut se passer dans le passé. 

Au début du mois de juin, la chercheuse nous invite à l'accompagner sur le chantier médiéval de Guédelon, dans l'Yonne. Là-bas, des artisans reconstruisent un château fort du XIIIe siècle avec les méthodes et les outils de l’époque. Un projet exploratoire débuté il y a vingt-cinq ans, toujours en cours et qui s'avère être un fantastique terrain de jeu pour la chercheuse et son binôme, Martin Guesney. Tous les deux sillonnent le site pour repérer où ils poseront leurs précieux et nombreux micros. 

Pour la chercheuse, "ce qui est bien à Guédelon c’est que c’est de l’exploratoire. Si ça se trouve je vais revenir dans un an et tout aura été modifié".
Pour la chercheuse, "ce qui est bien à Guédelon c’est que c’est de l’exploratoire. Si ça se trouve je vais revenir dans un an et tout aura été modifié".
© Radio France - Crédits / Camille Marigaux

Forgerons, tailleurs de pierre, charpentiers, aucun atelier n’échappe aux oreilles de Mylène Pardoën. Des captations destinées à la recherche mais aussi aux artisans qui ont besoin de savoir comment leurs gestes sonnent pour mieux travailler. Ici, le son d'un forgeron sur le chantier. 

"On a parlé avec le forgeron, qui disait que les enclumes du XIXe siècle ne sonnent pas comme aujourd’hui. Donc ça apporte une saveur particulière. Ce qui est bien à Guédelon c’est que c’est de l’exploratoire. Si ça se trouve je vais revenir dans un an et tout aura été modifié. Le charpentier va me dire bah non j’ai pris cet outil là, ça fonctionnait pas, j’ai trouvé une source qui me dit faut que je prenne un autre outil, le même geste avec un outil différent va sonner différemment".

Les captations de Mylène Pardoën et de son binôme Martin Guesney sont destinées à la recherche mais aussi aux artisans qui ont besoin de savoir comment leurs gestes sonnent pour mieux travailler.

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Ces captations ont plusieurs objectifs. Tout d'abord, la patrimonialisation culturelle immatérielle. "C’est-à-dire qu’on a une base de données sur laquelle on va mettre ces captations avec une fiche métier, du geste et de la matière, de la transformation de la matière".  

Retrouver le "cocon acoustique" de Notre-Dame

L'autre finalité pour l'archéologue sonore vise un autre chantier, bien plus médiatisé : experte scientifique sur le chantier de Notre-Dame, Mylène Pardoën et son équipe élaborent un modèle informatique sonore afin d'aider les architectes à prendre les bonnes décisions pour la reconstruction des voûtes de la cathédrale. Avec l'association des scientifiques de Notre-Dame, la chercheuse réalise donc des captations du chantier actuel, en s'inspirant de précieux enregistrements déjà réalisés en 2013. "Il faut absolument que l'orgue retrouve son cocon acoustique". Mais pour l'instant sa mission est conditionnée au retour des artisans sur le chantier, soumis à un appel d'offres lancé par le gouvernement. 

Mylène Pardoen fait partie de l’association des Scientifiques de Notre-Dame qui a rassemblé, sous l’égide du CNRS, des spécialistes en groupes de travail thématiques. La chercheuse coordonne celui sur « la réflexion acoustique ».

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L'objectif est de rendre audible les différents chantiers successifs qui sont intervenus autour de la cathédrale mythique. Huit époques liturgiques que la chercheuse veut restituer au grand public. Pour cela, Mylène Pardoën s'est notamment rendue pour des captations à la cathédrale de Sens, dont les cloches "ont les mêmes caractéristiques que celles de Notre-Dame".  

Le but des travaux de Notre-Dame, c'est de retrouver l’acoustique, le cocon acoustique pour l’orgue.

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Du silence des musées aux fresques sonores historiques

C'est en 2008 que Mylène Pardoën pose le pied et les oreilles au musée des Invalides. La direction (qui rénove à ce moment-là l'aile orient), la contacte alors pour une expertise sur les ambiances sonores pendant les champs de bataille. La chercheuse découvre alors une terre encore inconnue en France : celle de la reconstitution sonore. Ce sera le point de départ d'une toute nouvelle conquête pour elle, comme pour le monde de la reconstitution historique en France. 

De fil en aiguille, je me suis quand même posé pas mal de questions : les musées n'utilisent pas le son, alors qu’on est dans une époque de multimédia, avec la problématique d’une jeunesse qui aime cela, qui a besoin d’écouter de sentir, et là je me suis dit que c’était vraiment un manque.

Comme le travail initial de Mylène Pardoën est consacré aux musées, elle s'astreint alors à une recherche scientifique motivée par une volonté collective d'éviter "l'effet Walt Disney" : 

C'est-à-dire le fait de prendre n’importe quelle pierre on tape dessus avec n’importe quel ciseau, le but étant simplement de montrer quelqu’un qui tape sur une pierre. Un chantier qui n’a aucun but et aucune recherche sur le geste. Un ciseau, on tape dessus et ça fait "gling gling".

Mylène Pardoën s'emploie donc à reconstituer des œuvres contextualisées, expliquées. "J’ai travaillé dans mon coin, sans en parler à trop de monde, puis j’ai tout envoyé à des historiens qui savaient que je travaillais sur le son. Je voulais avoir un retour, pour savoir si pour eux c’était acceptable. Le retour a été flamboyant, puisqu’ils m’ont dit : ça, ça nous intéresse. Et mon objet de recherche qui était destiné aux musées a changé de destination". 

C'est là que naît le projet Bretez, une plongée sonore dans le Paris du XVIIIe siècle, quartier du grand Châtelet. 

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Dix ans d’un travail qui continue encore aujourd’hui et qui est né de ce travail pour les musées et de l'inspiration tirée de deux matériaux historiques : 

Le projet Bretez est né en 2008, à partir de la recherche historique déjà menée par la chercheuse pour le Musée des Invalides mais aussi de plusieurs matériaux historiques.

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Depuis, Mylène Pardoën est appelée sur de nombreux projets, des collaborations diverses : “J’arrive à faire des grands voyages dans le temps, dans le passé et des projections dans le futur. Quand on commence à comprendre ce qui se passait dans le passé, on peut se permettre de se dire : voilà ce qui ne fonctionne pas aujourd’hui, voici ce qu’il faudrait faire pour de bonnes ambiances du futur”.

Mylène Pardoën a reçu au mois de juin la médaille de cristal du CNRS, récompense qui distingue celles et ceux contribuent à l’avancée des savoirs et de la recherche française. 

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Une grande reconnaissance pour la chercheuse qui n'en est sûrement qu'à ses débuts. En ayant inventé sa discipline, elle a le monde entier comme terrain de jeu, pour franchir tous les murs du son, matière fabuleuse, selon elle, pour les sciences humaines et sociales. 

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