Patti Smith au Panthéon, dans les coulisses d’un concert exclusif

À l’occasion de 50 ans de la radio FIP, la poétesse et rockeuse américaine s’est produit en tout petit comité dans l’enceinte du Panthéon. On y était, et on vous raconte ce moment de grâce.
Patti Smith Panthon
Christophe ABRAMOWITZ

La veille, Sting a joué face à une petite centaine de personnes, déjà éblouies par l’impressionnant decorum du Panthéon. Ce matin du 7 octobre 2021, nous sommes une quarantaine, gardant nos manteaux sous le dôme à la beauté toute néo-classique. La scène a été improvisée autour du pendule de Foucault, afin de recevoir la première femme qui va chanter dans l’antre des Grands Hommes – Simone Veil et Marie Curie doivent se réjouir. Deux tabourets, pour les deux guitares, un long micro, un piano qui donne du fil à retordre à l’accordeur. Pendant ce temps-là, alors que la petite assemblée s’installe sur des chaises recouvertes de velours rouge, Patti Smith visite la crypte. Ce qui ne nous étonne guère : francophile exaltée, elle a récemment acheté la ferme familiale d’Arthur Rimbaud à Charleville-Mézières, et la littérature romantique comme les audaces stylistiques de Jean Genet ont nourri plusieurs de nos conversations. Donc, forcément, fidèle à son instinct de baroudeuse arty, Patti va saluer les illustres morts. Et nous, nous attendons. C’est-à-dire quelques membres des équipes de Radio France, l’équipe réduite du Panthéon, son manager, une poignée d'amis dont son amie et styliste Ann Demeulemeester, une demi-douzaine de journalistes et les techniciens. C’est peu, et c’est d’autant plus précieux.

Longues tresses grises faites à la hâte. T-shirt blanc recouvert d’un gilet et d’une veste masculine, noire comme le pantalon et les boots en cuir. Patti Smith, on la reconnaît à sa voix, mais aussi à son style de poétesse bohème et androgyne, sans posture aucune. Le même style depuis des décennies, depuis les années du Chelsea Hotel, où, la jeune femme est partie oublier à new York sa condition working-class et l’abandon d’un bébé non désiré, elle inventait un nouveau langage artistique aux côtés de Robert Mapplethorpe… Quand elle apparaît face au micro, on la sent encore émue. C’est un concert acoustique qu’elle nous donne ici, entourée de sa fille, Jesse (dont le second prénom est Paris !) et de son fils Jackson, nés de son mariage avec feu Fred « Sonic » Smith. La première est au piano, le second à la guitare, et, pendant de longues minutes, se sont activés afin que tout soit irréprochable pour l’arrivée de la reine mère. Qui ne demande rien d’autre qu’une tisane…

« C’est un privilège de chanter dans ce lieu hautement historique », déclare-t-elle avant de se lancer dans le premier titre, « Wing ». À plusieurs reprises, elle reste immobile, comme si elle se recueillait. Elle rappelle à quel point elle est heureuse de revenir à Paris, de jouer face à de vraies personnes. « Nous devons rester prudents car la pandémie n’est pas terminée. Mais nous sommes reconnaissants d’être ici ». D’ailleurs, la chanson suivante s’appelle « Grateful », dont l’élégance est bousculée de quelques larsens – Patti s’en amuse, les attribuant à l’espièglerie d’un Jimi Hendrix d’outre-tombe. Après tout, nous foulons des morts. 

Christophe Abramowitz / Radio France

Bien qu’elle ne veuille pas verser dans la politique, l’artiste américaine est engagée depuis toujours. Contre le capitalisme, l’invasion du Tibet, la main-mise du gouvernement américain au Moyen-Orient, l’immobilisme des élus face à l’urgence environnementale. Ses chansons parlent pour elle, qui ne manque pas de se joindre à des concerts caritatifs, à tendre la main – y compris à ceux qui lui écrivent sur Instagram ! Patti Smith est une icône, et non pas une star. Nuance.

Ce matin au Panthéon, où reposent Victor Hugo, Jean Jaurès ou encore Voltaire, elle rappelle le sort de ceux dont le travail a été remis en cause, voire détruit, par la Covid-19. Elle veut chanter pour eux, rappelant que la lumière est au bout du tunnel. Sur « My Blakean Year », la voix se module à l’envi, chamanique : « So throw off your stupid cloak / Embrace all that you fear / For joy shall conquer all despair » (« Alors, enlève ton stupide masque / Embrasse tout ce que tu crains / Pour que la joie ait raison du désespoir »). L’assistance est captivée tandis qu’elle se saisit impérialement de sa guitare. On pense alors à ce qu’écrivait dans ses mémoires Viv Albertine, la furieuse guitariste des Slits, groupe punk-ska formé à l’aube des années 80 par des jeunes filles rebelles dont on parla, hélas, moins que les Sex Pistols : « Voilà une personne réservée qui ose se lâcher devant tout le monde, elle s’expose là-devant et prend le risque de se ramasser. Les filles ont montré jusqu’à présent tellement de maîtrise de soi, de retenue. Patti Smith s’abandonne. »

Elle qui n’aime rien tant que de citer les artistes qui l’ont influencée ou qu’elle aime, tout simplement, rappelle que le 24 mai dernier était le jour du 80e anniversaire de son Bob Dylan « bien aimé ». Et se lance dans une reprise « One Too Many Mornings », l’un des morceaux qui a contribué à le révéler à ses débuts, en 1964, sur l’album The Times They Are a-Changin’. Sonne la fin de cette cérémonie musicale, quasi-hypnotique, qu’on aurait peine de seulement qualifier de concert (comme à chaque fois avec elle, finalement).

La conclusion est toute trouvée avec le mythique « People Have the Power », sorti en 1988 et qui résonne toujours aussi juste. « En écrivant “People Have the Power”, avec Fred, nous pensions aux personnes qui voulaient changer le monde, et qui aidaient les autres, m’a-t-elle confié il y a une dizaine d’années. Tout ce que je peux faire, c’est de partager mon expérience avec les plus jeunes, sans vouloir les guider car j’aurais bien trop peur de contrôler leur chemin, mais en les conseillant du mieux que je le peux. » Lorsque les dernières notes se disperse sous la coupole, elle remercie, fidèle à sa sollicitude, tous ceux qui l’entourent, embrasse du regard ses enfants, et s’en va, tout simplement. Tandis qu’elle s’en retourne arpenter la crypte, la poignée de spectateurs, saisis par sa générosité, doivent aussi rapidement quitter les lieux – le Panthéon ne peut s’autoriser de trop longue parenthèse rock’n’roll.

Le concert de Patti Smith au Panthéon sera diffusé le 26 novembre à 20 heures sur FIP.

Marie Britsch