La première enquête sur le changement climatique en France a plus de 200 ans

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La première enquête sur le changement climatique en France a plus de 200 ans

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Un tableau représentant des inondations et un gel du Danube, par Eduard Gurk, 1830.
Un tableau représentant des inondations et un gel du Danube, par Eduard Gurk, 1830.
- Eduard Gurk

Les inquiétudes liées au changement climatique global sont bien plus anciennes qu'on ne le croit : dès 1821, le ministère de l'Intérieur français réclamait une enquête pour déterminer l'origine des variations de températures. Un bouleversement qu'on pensait alors lié au déboisement.

"Messieurs, depuis quelques années, nous sommes témoins de refroidissements sensibles dans l'atmosphère, de variations subites dans les saisons et d'ouragans ou d’inondations extraordinaires auxquels la France semble devenir de plus en plus sujette". Si ces mots n'étonnent plus grand monde au XXIe siècle, à l'heure où les dirigeants mondiaux se réunissent lors de la COP26 pour tenter d'harmoniser la lutte contre le changement climatique, ils le sont un peu plus en 1821, alors que la révolution industrielle n'a pas encore eu d'impact durable sur le climat. 

Journal de 12h30
25 min

Pourtant, au début du XIXe siècle, le climat est d'ores et déjà instable. L'hiver 1819-1820, notamment, a été particulièrement rude, en France comme en Europe. "L’année 1819 finit avec un froid mémorable, les pommes de terre gèlent dans les caves, la Garonne gèle à Bordeaux, tous les orangers sont détruits à Nice… Début janvier, ce froid redouble", raconte Frédérique Rémy, glaciologue et directrice de recherche au CNRS. A Paris, la Seine est prise par les glaces, et toute l'Europe subit le froid : la lagune de Venise a gelé, tout comme la mer au Danemark, et de nombreux morts sont retrouvés sur les routes. A Paris, le bureau des longitudes, une académie de recherche fondée en 1795, note ainsi dans un procès-verbal que "la pendule de l'Observatoire s'est arrêtée. On croit que le ressort est cassé. A cette occasion, on disserte sur les effets du froid sur les métaux qu'il rend plus cassants".

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La déforestation pointée du doigt 

Les conditions climatiques désastreuses se succèdent depuis quelques années, avec de très mauvais étés, qui ont pour conséquence des grandes crises alimentaires en 1816-1817. La santé des forêts françaises pourrait-elle être liée à ce dérèglement climatique ? 

Car depuis plusieurs décennies, les forêts françaises ont payé un lourd tribut. Déjà lourdement exploitées à la fin du XVIIe siècle pour la production de bois destiné aux chantiers navals, elles étaient néanmoins encadrées par la première ordonnance destinée à protéger les forêts édictée en 1669 par Louis XIV, sous l'influence de Jean-Baptiste Colbert. Mais à la fin du XVIIIe siècle, la Révolution française est passée par là : les bois privés, soustraits au contrôle des agents forestiers, sont à nouveau exploités. Les guerres napoléoniennes, qui ont nécessité la construction de nombreux navires, ainsi que la Restauration, qui a vendu 300 000 ha de bois pour éponger ses dettes, ont également sévèrement ponctionné les ressources sylvicoles. 

Si bien qu'en 1816, la superficie des forêts françaises est passée, en l'espace de 20 ans, d'une surface de 3 000 000 d'hectares à 1 300 000 ha. Cinq ans plus tard, on estime que seuls 13 % de la superficie de la France sont encore boisés. A titre de comparaison, en 2021, 31 % du territoire français est aujourd'hui boisé. 

Au XIXe siècle, ce constat est cependant suffisant pour soulever quelques inquiétudes. "Depuis l'époque moderne, certains savants et administrateurs s'interrogent sur les relations entre la couverture forestière et le climat, local et parfois plus global. La découverte de climats forts différents sous les mêmes latitudes interroge, tandis que la compréhension de la photosynthèse entre le XVIIIe et le début du XIXe siècle a pour effet de renforcer le statut des arbres", précisent les auteurs de l'ouvrage Une Histoire des luttes pour l'environnement (éditions Textuel).

Les accidents météorologiques pourraient bien, dès lors, avoir pour origine la coupe des arbres. D'autant plus qu'on tient bien volontiers les paysans pour responsables de cette situation : ce sont eux qui, au sortir de la Révolution, auraient abîmés les forêts. 

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Une grande enquête sur le changement climatique 

C'est ce qui incite le ministre de l’Intérieur de Louis XVIII, Joseph-Jérôme Siméon, à demander la tenue d'une enquête grâce à la circulaire n°18 du 25 avril 1821 : 

"Messieurs, depuis quelques années, nous sommes témoins de refroidissements sensibles dans l'atmosphère, de variations subites dans les saisons et d'ouragans ou d'inondations extraordinaires auxquels la France semble devenir de plus en plus sujette.   On l'attribue en partie aux déboisements des montagnes, aux défrichements des forêts, au défaut d'abri qu'éprouvent nos campagnes, et à l'absence des obstacles naturels qui s'opposaient jadis aux vents et aux nuages du nord et de l'ouest.   Les mêmes causes produiraient les mêmes effets dans toute l'Europe, et ces phénomènes seraient dignes de fixer partout l'attention. Ces maux ne seraient pas sans remède, et il serait important que, particulièrement en France, on prît des mesures pour écarter les inconvénients, les malheurs dont le principe aurait été reconnu."

La circulaire est, en substance, une étude d'impact : elle demande aux préfets des différents départements de dresser un inventaire des forêts qui existaient encore il y a 30 ans et de vérifier si leur disparition pourrait avoir eu une influence sur la météorologie locale. Les résultats sont étudiés en février 1824, à l'Académie royale des sciences, comme le racontent Vincent Bainville, de l'Office national des forêts, et Philippe Ladoy, de Météo France, dans leur article Préoccupations environnementales au début du XIXe siècle, sans qu'il soit possible d'en déduire grand chose :

  • 14 départements croient que le déboisement entraîne le refroidissement de l'air et du sol ; 39 ne sont pas de cette opinion.
  • 32 départements constatent des hivers moins froids et plus longs ; 21 départements ne regardent pas ce fait comme constant.
  • 27 départements déclarent constater des vents plus violents ; 26 sont d'avis contraire.

Le compte-rendu de séance est sans appel : "La commission ne peut que vous proposer de mander au ministre qu'elle n'a pas trouvé de preuves assez positives, ni assez complètes des faits contestés, pour qu'elle puisse émettre une opinion". Mais elle conclut néanmoins sur la nécessité d'une politique de reboisement. 

Le véritable coupable : Tambora

En réalité, les scientifiques de l'époque manquent tout simplement des données nécessaires pour comprendre ce qui a provoqué un climat aussi instable. Un des véritables responsables de ces aléas climatiques, et plus spécifiquement des terribles récoltes de 1816-1817, se trouve d'ailleurs bien loin de l'Europe : il s'agit du volcan Tambora, sur l'île de Sumbawa, en Indonésie. Son éruption, en 1815, est considérée comme l'une des plus violentes de l'histoire, avec une puissance équivalant à plus de dix mille fois les explosions nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki. Classée à 7 sur l'échelle d'explosivité volcanique ( qui compte 8 échelons), l'explosion du Tambora envoya tant de poussières volcaniques dans l'atmosphère, qu'il fut à l'origine d'un refroidissement global. 

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Les conditions climatiques, en 1821, n'ont donc finalement pas grand chose à voir avec le déboisement intensif. Paradoxalement, les débuts de la science climatique datent de la même époque, mais restèrent longuement ignorées : en 1824, le savant français Joseph Fourier publie sa théorie sur l'effet de serre, pour expliquer la température curieusement élevée de l'atmosphère terrestre. Des travaux qui seront complétés, au cours du XIXe siècle, par ceux du chercheur suédois Svante Arrenius, qui émet "l'hypothèse qu’une augmentation de la concentration atmosphérique en CO2 entraînerait des rétroactions pouvant expliquer l’avancée et le recul des âges glaciaires", précise le docteur en Histoire Jean-François Mouhot.

Deux siècles après la première enquête sur le changement climatique, la communauté scientifique n'ignore plus rien des mécanismes derrière le bouleversement du climat. En 1821, malgré des résultats peu concluants, l'Académie royale des sciences avait souligné la nécessité de reboiser les forêts françaises : une demande qui avait permis d'appuyer l'élaboration du Code forestier et d'encadrer drastiquement l'abattage des arbres. En 2021, malgré les innombrables rapports du GIEC qui alertent sur l'imminence du danger, les grandes puissances mondiales semblent, malheureusement, toujours incapables de s'accorder sur la nécessité de mesures urgentes et draconiennes pour enrayer, ne serait-ce qu'un peu, le réchauffement climatique.

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