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Libertés

La colère gronde contre la chasse meurtrière

Face à la multitude d’accidents liés à la chasse, la mobilisation grandit pour demander un encadrement plus strict de cette pratique. Aucune modification législative n’est toutefois envisagée par le gouvernement.

À la veille de la présidentielle, les débats autour de la chasse pourraient prendre de l’ampleur. Depuis le début de la saison, de nombreuses initiatives appellent à réguler cette activité alors même que les accidents se sont multipliés ces derniers jours. Samedi 30 octobre, un automobiliste était blessé près de Rennes. Touché au cou par une balle de gros calibre, l’homme de 67 ans est mort jeudi 4 novembre. Quelques jours plus tôt, le 28 octobre, en Haute-Savoie, une autre personne était grièvement blessée d’une balle dans le thorax, alors qu’elle se promenait sur un sentier.

Au total, plus d’une vingtaine d’accidents ont été recensés ces deux derniers mois. En septembre, une cyclotouriste a notamment reçu du plomb dans la cuisse en Dordogne ; une automobiliste a pris une balle dans l’épaule en Corse ; un homme de 60 ans a aussi été blessé à la tête dans le Var, avant de mourir une semaine plus tard à l’hôpital.

Face à la répétition de ces drames, l’émoi est palpable. Sur le site du Sénat, une pétition portée par le collectif Un jour un chasseur, créé à la suite de la mort de Morgan Keane en décembre 2020, exige la mise en place d’une réforme en profondeur des pratiques cynégétiques. Ses soutiens ne cessent d’augmenter : le 6 novembre au matin, la pétition comptait plus de 65 000 signataires. Si le chiffre dépasse les 100 000 avant mars prochain, le Sénat pourra décider d’y donner suite en créant une mission de contrôle ou en inscrivant le texte à l’ordre du jour en séance publique.

« Nous refusons d’accepter la banalisation de ces drames »

Le collectif, composé des amies de Morgan, demande « un juste partage du territoire » entre usagers des espaces naturels. Depuis un an, le collectif a rassemblé des milliers de témoignages accablants sur « les comportements abusifs des chasseurs ». Ils ont pu identifier plusieurs insuffisances dans le droit et exigent des modifications d’ordre législatif pour « mettre fin à l’impunité et à l’omerta qui règnent dans nos campagnes ».

Le collectif réclame la mise en place de cinq mesures : l’interdiction de la chasse le dimanche et le mercredi ; une formation plus stricte pour les chasseurs ; un suivi des armes de chasse et des comportements à risque ; un renforcement des sanctions pénales en cas d’accident et un meilleur accompagnement des victimes.

« C’est simplement du bon sens, pour éviter un prochain mort. »

« Nous souhaitons créer un débat de société. Le statu quo n’est plus tenable. Nous refusons la banalisation de ces drames », dit à Reporterre Mila, du collectif. Elle souligne « les nombreuses aberrations dans la loi à l’heure actuelle » : « Comment se fait-il, par exemple, que la consommation d’alcool ne soit pas interdite lors de la chasse ? Comment se fait-il que la zone de protection autour des habitations soit inférieure à la portée des armes utilisées, ou encore qu’un chasseur ayant commis un homicide involontaire puisse à nouveau chasser quelques années plus tard ? »

« Nous demandons l’application de règles de sécurité élémentaires, ajoute Léa, une autre membre du collectif. C’est simplement du bon sens, pour éviter un prochain mort. » En vingt ans, les accidents de chasse ont provoqué la mort de plus de 400 personnes. Selon le dernier bilan dressé par l’Office français de la biodiversité (OFB) et la Fédération nationale des chasseurs, on dénombre 141 victimes, dont 11 morts, au cours de la saison 2019-2020.

Morgan Keane, devant sa maison, a été tué par un chasseur en décembre 2020. © Alain Pitton/Reporterre

« Il faut que la nature soit accessible à tout le monde »

Depuis la semaine dernière, la fronde grandit. Elle s’est aussi déplacée sur le terrain politique. Yannick Jadot, le candidat écologiste à la présidentielle, a annoncé vouloir interdire la chasse le week-end et les vacances scolaires. « Il faut que la nature soit accessible à tout le monde. Quand j’entends que les trois quarts des personnes qui vivent dans la ruralité n’osent pas aller se promener le dimanche quand il y a des tirs de fusil, ce n’est pas normal », a-t-il déclaré sur BFMTV.

La bataille est lancée. Selon le député du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, engagé dans la campagne de Yannick Jadot, « rarement une de nos mesures n’avait soulevé autant d’enthousiasme et de commentaires positifs. Il y a une grande attente. La majorité de la population veut vraiment que la situation évolue », assure-t-il à Reporterre. D’après un sondage du Journal du dimanche, 69 % des personnes interrogées se disent, en effet, favorables à l’interdiction de la chasse le week-end et pendant les vacances scolaires.

Manifestation à Cahors après la mort de Morgan Keane, le samedi 23 janvier 2021. © Alain Pitton/Reporterre

Progressivement, l’idée fait des émules. Dans un courrier envoyé à Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, cinq maires d’Ille-et-Vilaine concernés par l’accident mortel près de Rennes ont proposé au gouvernement de « fixer des demi-journées sans chasse le samedi et le dimanche après-midi, afin de garantir la sécurité publique des concitoyens ».

Toutes ces propositions ne sont pas sans rappeler la loi Voynet, adoptée en juillet 2000. Celle-ci prévoyait déjà un jour par semaine sans chasse. La loi avait cependant été abrogée en 2003 avec le retour de la droite au pouvoir. Aujourd’hui, la mesure reste ainsi facultative et laissée à la discrétion du préfet de département.

« Seuls la pression populaire et le rapport de force pourront changer la donne »

Dans de nombreux pays européens, une journée sans chasse est déjà mise en place. Au Royaume-Uni, par exemple, la chasse est interdite le dimanche depuis… 1831. C’est le cas également aux Pays-Bas, dans plusieurs cantons suisses, dans des régions espagnoles ou des Länder allemands.

Cela n’a pas empêché le président de la Fédération nationale des chasseurs de s’offusquer et de trouver « la proposition débile ». Tout en s’excusant pour ces « accidents dramatiques », Willy Schraen a estimé que « le risque zéro n’existait pas » et que « l’erreur était humaine ».

De son côté, mercredi 3 novembre sur France Info, la ministre de la Transition écologique a déclaré que l’interdiction de la chasse le week-end était «  une idée sur laquelle on doit avoir un débat » : « Ça fait partie des débats qui existent depuis longtemps sur la question du partage de l’espace. Mon rôle, en tant que ministre chargée de la chasse, est de faire en sorte qu’elle respecte un certain nombre de règles », a-t-elle poursuivi.

Reporterre a contacté le ministère pour mieux comprendre comment ce débat pourrait prendre forme dans les prochains temps. Au vu des réponses, il semblerait bien qu’aucune modification législative à l’échelle nationale ne soit envisagée. « La ministre pense que le débat doit avoir lieu au niveau local, territoire par territoire, comme c’est déjà le cas, confirme un membre du cabinet. Il existe déjà des jours non chassés en France, il faut généraliser les bonnes pratiques dans la concertation au niveau local. Par exemple, dans toutes les forêts domaniales d’Île-de-France il est interdit de chasser le week-end. En Isère, la chasse est interdite le vendredi. »

Pour le collectif Un jour un chasseur, cette approche est largement insuffisante. L’année dernière, lorsqu’ils avaient été reçus par la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Abba, quelques semaines après la mort de leur ami Morgan Keane, ils avaient déjà défendu l’idée d’une interdiction nationale pendant les week-ends. La secrétaire d’État leur avait alors répondu que c’était « culturellement impossible ». Plutôt qu’un encadrement strict des pratiques de chasse, Bérangère Abba aurait défendu lors de cette réunion « une meilleure communication » entre usagers de la nature et proposé que les promeneurs portent des gilets orange en forêt, racontent les membres du collectif. Contactée par Reporterre, la secrétaire d’État dément cette information. « Je trouverais invraisemblable de devoir imposer ce type de signalement au promeneur », précise-t-elle.

Un jour un chasseur ne décolère pas. « Nous n’attendons plus rien de ce gouvernement, affirme Mila. Nous avons eu l’impression d’être instrumentalisés. Maintenant, nous savons que seuls la pression populaire et le rapport de force pourront véritablement changer la donne. »

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