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"Désormais, le réchauffement est irréversible"

13 juin 2019. Les chiens de traîneau du climatologue danois Steffen Olsen pataugent dans l'eau du ford d'Inglefield qui devrait être gelé à cette période.
13 juin 2019. Les chiens de traîneau du climatologue danois Steffen Olsen pataugent dans l'eau du ford d'Inglefield qui devrait être gelé à cette période. © AFP
Interview Romain Clergeat

Ce n’est plus de la science-fiction. Le sommet sur le climat qui vient de débuter à Glasgow apparaît comme celui de la dernière chance tant l’urgence est criante. En un siècle, la planète s’est réchauffée de 1,1 °C. Match a donné la parole à Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Giec.

Paris Match. L’activité des hommes est indiscutablement la cause des bouleversements climatiques, écrivez-vous dans le dernier rapport du Giec. Cela sonne-t-il, une bonne fois pour toutes, le glas du climato-scepticisme ?
Valérie Masson-Delmotte. Les connaissances scientifiques n’ont fait que s’affiner et le constat est clair : ce sont les activités humaines qui rajoutent des gaz à effet de serre, et ceux-ci piègent de la chaleur. Cette dernière s’accumule, devient responsable du réchauffement des océans, de la fonte généralisée des glaces et affecte le vivant. Sur la terre comme sous la mer. Par rapport à la fin du xixe siècle, nous en sommes à 1,1 degré de réchauffement. Oui, nous estimons qu’il est dû à l’influence humaine : 80 % à 90 % proviennent des énergies fossiles, pétrole, charbon, gaz, de la déforestation, de la destruction de zones humides, du méthane issu de l’élevage des ruminants… La conséquence, ce sont des événements extrêmes, plus fréquents et plus intenses, des pluies torrentielles et des sécheresses, ici et partout. Si nous n’avions pas altéré le climat, la vague de chaleur en Europe de l’été 2019 n’aurait pas eu cette intensité. Les records de température se succèdent, amplifiés par les îlots de chaleur dans les villes. Dans toutes les parties du monde, on vit déjà avec des valeurs qui dépassent les seuils de tolérance, pour les écosystèmes ou les sociétés. Et ces phénomènes ne vont pas s’arrêter demain. Mais leur intensité dépend du niveau de réchauffement planétaire. Donc des choix que nous allons faire.

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Les extrêmes chauds, qui survenaient une fois tous les 50 ans, se produisent maintenant une fois tous les 10 ans en moyenne mondiale

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La Cop21 en 2015 avait été un succès, disait-on. Or, depuis cinq ans, jamais les températures n’ont été aussi élevées. Pourquoi ?
Cette conférence était le début d’un processus. Un cadre structuré où chaque pays met sur la table ses engagements, réactualisés tous les cinq ans. Avec des mécanismes de solidarité, car les responsabilités ne sont pas les mêmes partout. Certains ont un poids historique dans la situation actuelle, et une capacité plus grande à agir. D’autres sont particulièrement exposés et vulnérables. Ces derniers mois, les engagements des pays ont été révisés à la hausse. C’est une bonne nouvelle. Les scénarios pour le futur proche, de très fortes émissions de gaz à effet de serre, sont moins plausibles. Tant mieux. Néanmoins, les engagements pris en 2015 et réactualisés signifient malgré tout que les émissions vont stagner dans les prochaines décennies. Cela implique de dépasser, dans les vingt prochaines années, un réchauffement de 1,5 degré, associé à une augmentation très forte de risques majeurs. Les extrêmes chauds, qui survenaient une fois tous les cinquante ans, se produisent maintenant une fois tous les dix ans en moyenne mondiale. Ils seront plus fréquents dans un monde à +1,5 degré. Davantage encore au-delà. Les épisodes de fortes précipitations intervenaient une fois tous les dix ans en 1850-1900, leur fréquence a augmenté de 30 % aujourd’hui. Ce sera +50 % dans un monde à +1,5 degré et +70 % dans un monde à +2 degrés. Chaque fraction de réchauffement supplémentaire a des effets énormes, il faut bien le comprendre.
Malheureusement, le niveau d’ambitions et d’actions n’est encore pas suffisant. Si on abaissait maintenant fortement les émissions de gaz à effet de serre, nous aurions des bénéfices rapides sur la qualité de l’air, mais pas sur la dérive du climat. Pour cela, il faudrait attendre une vingtaine d’années. Il faut bien comprendre que le climat ne s’est pas encore ajusté. Les glaciers vont continuer à reculer pendant des décennies. L’échelle de temps pour l’océan profond est de plusieurs siècles. Pour le Groenland et l’Antarctique, de l’ordre de milliers d’années. Il y a des conséquences qui seront inexorables. Si l’on peut stopper le réchauffement, la montée du niveau des mers est en revanche inévitable. On peut simplement limiter son ampleur et sa vitesse, mais il faudra faire avec, à l’échelle de millénaires. En 2100, nous aurons gagné 50 centimètres par rapport à 1900. À l’horizon 2300, nous pourrions être à 3 mètres.

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L'accumulation de chaleur dans l'océan nous aide, mais rend le réchauffement de surface irréversible

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Cette notion n’est pas encore vraiment bien admise par le grand public, mais le réchauffement climatique enclenché est désormais irréversible. C’est bien cela ?
Les gens pensent parfois que nous avons un thermostat et qu’il suffirait de le baisser pour que le climat se refroidisse. Mais ça ne marche pas comme ça ! Pour ce qui est du déséquilibre du bilan énergétique de la Terre, qu’on a provoqué, plus de 90 % de la chaleur rentre dans l’océan. Pour donner un ordre de grandeur, c’est vingt fois plus que l’ensemble de l’énergie consommée par l’humanité chaque année ! C’est colossal. L’accumulation de chaleur dans l’océan nous aide, car cela limite le réchauffement de surface mais le rend irréversible.

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Il faut donc déjà penser à s’adapter à un climat qui va changer ?
Tout à fait. Notre rapport est disponible à l’échelle régionale. Avec un atlas interactif (interactive-atlas.ipcc.ch/), qui permet de visualiser ce que signifie un climat qui change, selon les scénarios. Et des seuils au-delà desquels il y aura impacts et conséquences. Ces informations sont là pour être utilisées. Car, aujourd’hui encore, beaucoup de décisions sont prises en regardant dans le rétroviseur. Par exemple, quand on redimensionne l’aménagement d’une rivière, on réfléchit encore par rapport aux crues et aux records de pluie du siècle passé. Mais demain, ce sera peut-être bien pire. Il faut l’anticiper. Sinon, on court derrière un climat qui change.

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J'espère que les connaissances scientifiques que nous apportons seront prises en compte

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Qui dit réchauffement dit stress hydrique. L’eau, fondamentale pour la vie, va-t-elle devenir l’enjeu majeur du siècle à venir ?
Quand l’atmosphère se réchauffe, cela augmente l’évaporation et la transpiration des sols. Un climat qui se modifie, cela intensifie le cycle de l’eau. Dans les régions froides, ce sera une augmentation moyenne des précipitations. Dans les régions chaudes, en revanche, il y aura une baisse de la pluviométrie. C’est déjà le cas en Afrique du Sud, autour de la Méditerranée, en Californie, en Amérique centrale, dans certains endroits en Australie… C’est une aridification attendue. Et dans des régions où les agricultures dépendent souvent entièrement de la pluviométrie…

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Lire aussi. Climat : les prévisions choc d'un brouillon de rapport du Giec

Qu’attendez-vous de cette Cop26 ?
J’espère que les connaissances scientifiques que nous apportons sur les évolutions futures du climat, par exemple, seront prises en compte pour l’utilisation des fonds multilatéraux pour l’aide à l’adaptation. Afin que les investissements futurs fonctionnent, dans un climat qui change. J’espère aussi une action plus visible des pays les plus prospères pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. En effet, selon les estimations, les 10 % les plus riches émettent entre un tiers et la moitié des émissions globales.  

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