Le feu de Saint Antoine, le mal qui accabla la France au 10e siècle

Convulsions, hallucinations et membres noircis : le feu de Saint Antoine n'épargnait pas ses victimes. Les Européens d'alors voyaient en cette maladie une punition divine, mais sa source était bien plus terre à terre.

De Ángel Sánchez Crespo
Publication 10 nov. 2021, 12:02 CET
Peter Bruegel the Elder

Peter Bruegel l'Ancien a peint "Les mendiants" en 1568. Les personnages ici représentés pourraient être des survivants du feu de Saint Antoine. Huile sur bois, Musée du Louvre, Paris

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

François Eudes de Mézeray, historien français du 17e siècle, décrit une peste qui balaya le sud de la France au 10e siècle : « Les affligés se pressaient dans les églises et invoquaient les saints. Les cris de ceux qui souffraient et l'effusion de membres brûlés excitaient également la pitié ; la puanteur de la chair pourrie était insupportable. »

Tout au long du Moyen Âge, de nombreuses épidémies se sont abattues sur l'Europe ; certaines d'entre elles ont même fait des dizaines de milliers de morts. Les symptômes de cet étrange mal comprenaient des convulsions, des hallucinations et d'atroces sensations de brûlure dans les membres. Surnommé ignis sacer, feu sacré, l'affliction noircissait les membres jusqu'à ce qu'ils tombent au niveau des articulations.

La sagesse commune de l'époque soutenait que la maladie était spirituelle, une sorte de punition divine que seule la foi pouvait lever. Des hôpitaux spéciaux ont été ouverts, tenus par des moines de Saint Antoine, saint célèbre pour sa force spirituelle face aux tourments du diable. On nomma bientôt ce mal « feu de Saint Antoine », car nombre de ses victimes voyaient leur état s'améliorer en se rendant en pèlerinage pour prier les reliques de Saint Antoine. 

 

ALLUME FEU

Aux 18e et 19e siècles, les scientifiques purent déterminer que la maladie en question était causée par la consommation de céréales infectées par un champignon, Claviceps purpurea. Les plantes infectées se paraient de petits corps oblongs et vénéneux appelés ergots, qui ont donné à la maladie son nom moderne : l'ergotisme.

Lorsqu'il est ingéré, l'ergot produit des alcaloïdes toxiques qui coupent l'apport en sang aux extrémités du corps. Les membres commencent alors à gangréner, laissant place aux images infernales décrites par Mézeray. 

Les symptômes apparaissaient lorsque les gens mangeaient les céréales infectées ou tout aliment fabriqué à partir de celles-ci. Des vaches ont également été touchées. Des récits décrivent comment leurs sabots et leurs queues ont gangrené, comment leur production de lait s'est arrêtée, peu avant que la mort ne les ravisse. Les épidémies du feu de Saint Antoine ont fait des ravages dans les communautés rurales.

Selon certains documents historiques, les peuples anciens auraient été conscients du lien entre la maladie et les céréales contaminées. Une tablette assyrienne du 7e siècle av. J.-C. fait référence à des pustules sur un épi, tandis que les textes sacrés zoroastriens, en Perse, font référence à des herbes ayant causé des fausses couches ou des morts en couches, autres conséquences de ce terrible mal.

Dans l'Europe médiévale, l'augmentation de la culture et de la consommation de seigle, principalement chez les gens du commun, exposait une grande partie de la population au risque de contracter le feu de Saint Antoine. L'ergotisme n'a pas touché toute l'Europe de la même manière. On sait maintenant que les spores de Claviceps purpurea ont proliféré là où le temps était frais et humide lorsque le grain mûrissait, des conditions réunies dans de vastes régions d'Europe centrale.

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    Vie de Saint Antoine sur le retable d'Issenheim par Matthias Grünewald. Début des années 1500. Musée Unterlinden, Colmar, France

    PHOTOGRAPHIE DE Dea, Album

    Au 9e siècle, une épidémie dévastatrice d'ergotisme fit des dizaines de milliers de vicitimes dans la vallée du Rhin. La sensation de brûlure physique ressentie dans leurs membres liait la maladie au flammes de l'enfer, donnant l'impression que la maladie s'abattait sur ses victimes comme une punition divine.

     

    GUÉRIR PAR LA FOI

    La religion est devenue un facteur important dans le traitement de la maladie. En 1070, les reliques de Saint Antoine furent transportées de Constantinople à une petite ville du sud-est de la France, où elles furent récupérées par des moines bénédictins. Bientôt, les reliques furent vues comme un remède miraculeux contre l'ergotisme.

    Saint Antoine, également connu sous le nom de Saint Antoine le Grand, était un ermite religieux des 3e et 4e siècles de notre ère, qui aurait inspiré le monachisme chrétien en Égypte. Selon son biographe, il a commencé à pratiquer l'ascétisme dans sa jeunesse et s'est retiré pour vivre seul sur une montagne pendant environ vingt ans. Selon la tradition chrétienne, le diable se serait présenté à Saint Antoine pour le soumettre à plusieurs reprises à la tentation - plaisirs charnels, tentatives de séduction ou au contraire des menaces - mais la foi de Saint Antoine lui donna la force de résister à ces tourments.

    Au 11e siècle, Guérin la Valloire, un jeune noble français, souffrait du feu de Saint Antoine. Il parvint à se remettre du mal qui l'affligeait et attribua sa santé recouvrée aux reliques du saint ; son père et lui fondèrent alors ce qui allait devenir l'Ordre hospitalier de Saint-Antoine vers 1095. 

    À la fin du 15e siècle, les moines avaient construit environ 370 hôpitaux à travers l'Europe, en France, en Flandre, en Allemagne, en Espagne et en Italie pour traiter les foyers de feu de Saint Antoine. En France, les hôpitaux étaient connus sous le nom d'hôpitaux des démembrés : selon la rumeur, les malades exposaient leurs membres amputés à l'entrée, en guise d'offrandes. La maladie touchait particulièrement les pauvres, qui mangeaient des quantités substantielles de pain de seigle bon marché. 

    Les ruines du monastère de Saint Antoine à Castrojeriz, en Espagne, sur la route de pèlerinage médiévale très fréquentée vers Saint-Jacques-de-Compostelle.

    PHOTOGRAPHIE DE Juergen Richter, AGE Fotostock

    En réalité, la guérison des malades était favorisée par l'alimentation qu'ils recevaient en ces lieux : du pain de froment (qui exclut l'ergot de seigle) et le cochon de saint Antoine, dont la graisse servait d'excipient pour préparer le « baume de Saint Antoine ».

    Cette pommade topique à base de saindoux était appliquée sur les zones touchées. Ce traitement était souvent imprégné de plantes médicinales, comme différentes variétés de morelle. On prescrivait également aux malades de boire du vin de Saint Antoine. Considéré comme un puissant antidote à la maladie, il était fabriqué à partir de raisins de l'abbaye près de Vienne, en France, où étaient conservées les reliques du Saint. 

     

    LE FEU S'ÉTEINT

    Capsule de médicament en or sous la forme d'une croix de Saint-Antoine (ou Tau), peut-être utilisée en Angleterre, vers 1485. Metropolitan Museum of Art, New York

    PHOTOGRAPHIE DE Scala, Florence

    Des épidémies similaires ont par la suite été attribuées à l'ergotisme. En Allemagne, en Italie et en Flandre aux 15e et 16e siècles, des populations entières se sont mises à danser de manière incontrôlable. 

    Appelée danse de Saint Jean, danse de Saint Guy et tarentisme, cette maladie, comme le feu de Saint Antoine, était associée aux démons et au diable. Une théorie moderne lie également ce mal soigné par un rituel choréo-musical à l'empoisonnement du seigle. Seulement voilà, on pouvait tomber malade dans les communautés où le seigle était – ou n'était pas – consommé. 

    Les foyers du feu de Saint Antoine ont commencé à s'éteindre lorsque la culture du blé a remplacé celle du seigle et s'est répandue tout au long des années 1800.

    L'ergotisme n'a cependant pas complètement disparu. Près de 12 000 personnes ont été infectées en 1926 en Union soviétique, et l'Éthiopie et l'Inde ont connu des épidémies à la fin du 20e siècle.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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