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Hijab unisexe : "Benetton et le sexisme de la discorde"
Capture d'écran Benetton

Hijab unisexe : "Benetton et le sexisme de la discorde"

Tribune

Par Naëm Bestandji

Publié le

La marque Benetton lance sur Internet une ligne un « hijab unisexe ». Naëm Bestandji, essayiste et auteur de « Le linceul du féminisme, Caresser l'islamisme dans le sens du voile » (Seramis), dénonce un vêtement sexiste.

Le sexisme et le patriarcat avancent un nouveau pion, toujours à travers le symbole de l’islamisme politique, le voile. Cette fois, cela vient d’une marque de vêtements, Benetton, qui n’en est pas à son premier coup d’éclat. Elle s’est associée à Ghali, un rappeur italo-tunisien.

D’autres marques de vêtements, comme H&M par exemple, ont créé leurs lignes de vêtements « modestes » (traduction de l’anglais « modest » qui veut dire « pudique »), à savoir des hijabs. L’offensive politique de l’islamisme, à travers le corps des femmes qui sert de support à leur porte-étendard, montre son efficacité. L’accessoire vestimentaire sexiste et patriarcal le plus ancien de l’histoire de l’Humanité a connu un retour en grâce par le prosélytisme acharné d’obsédés sexuels que sont les intégristes musulmans. Une obsession qui, selon eux, ne peut être apaisée qu’en couvrant l’objet de tentation par un voile. Mais présenter la femme comme un objet, un morceau de viande trop appétissant pour les carnivores que seraient les hommes, n’est pas valorisant. Cette réalité doit être présentée de façon positive pour amener les proies (coupables de l’être par nature) à se dissimuler elles-mêmes sous un voile. Et la « pudeur » fut. Une pudeur créée et ciselée par des hommes pour dicter aux femmes la bonne manière de se vêtir. Le voile a été créé pour cela. Il n’a aucune autre signification. Cela remonte à l’antiquité, bien avant la naissance des trois grandes religions monothéistes, pour distinguer les femmes respectables des prostituées et des esclaves.

Élément de la communication islamiste

La particularité de l’islamisme, dont la foi pèse moins que les bourses des hommes qui y adhèrent, est d’avoir fait du voile – absent du Coran –, un élément central de son idéologie depuis le XXe siècle et l’outil principal de son extension politique. Les islamistes n’ont fait que reprendre les coutumes patriarcales du Moyen-Âge. Tout est bon pour convaincre la musulmane : on la considère comme respectable en tant que femme et en tant que musulmane si elle se soumet « librement » à la libido masculine en se dissimulant sous un voile ; on lui brandit le danger des agressions sexuelles si elle refuse ; on lui promet la douceur du paradis si elle consent à se soumettre et les pires turpitudes de l’enfer si elle conteste. L’approche identitaire et politique s’est aussi greffée à cet ensemble argumentaire. La musulmane voilée est présentée comme la défenseuse de l’islam et de ses valeurs. Ainsi valorisées, l’islam(isme) devient l’identité première de nombre de musulmanes voilées. Par ce tour de prestidigitation, et avec le soutien des féministes intersectionnelles (un féminisme à temps partiel qui donne la priorité aux respects des cultures et de l’islamisme, au détriment de la lutte pour l’égalité des sexes), le sexisme et le patriarcat islamiste deviennent… féministes. Par sa visibilité, le voile assure le prosélytisme non pas de l’islam en tant que religion mais de l’islamisme en tant qu’idéologie politique totalitaire. Peu importent les intentions de celles qui le portent.

« Ce détournement de la laïcité au profit du sexisme politique de l’islamisme a trouvé un écho aux oreilles de ceux censés être les premiers adversaires de l’intégrisme religieux »

La propagande « positive » de l’islamisme montre un voile acceptable et inoffensif. Elle cache la réalité sexiste, patriarcale et politique du voile pour exposer en vitrine ce qui ne serait rien d’autre qu’un « signe religieux ». Il est plus facile de défendre l’idée d’une « laïcité inclusive » que d’un « patriarcat inclusif ». Alors on le compare au voile des nonnes. Ils n’ont rien en commun, mais cette fausse comparaison est politiquement efficace. Jamais à court d’imagination, l’islamisme politique sait s’adapter. Selon les circonstances et l’interlocuteur, le voile passe du signe religieux à un simple « foulard », ou bien il est comparé à une minijupe, des talons-aiguilles et même un sac à main. Il arrive même qu’il soit présenté comme un simple morceau de tissu, désincarné de toute connotation idéologique et même vestimentaire. Le voile passe d’une signification fictive à l’autre, comme par magie. Le plus incroyable est que ça marche. Le sexisme du voile est globalement reconnu pour ce qu’il n’est pas : un signe religieux ou un simple accessoire selon l’ambiance du débat du moment. Cela permet d’occulter le sexisme qu’il incarne, et même de l’aménager… s’il respecte la loi de 1905. Ce détournement de la laïcité au profit du sexisme politique de l’islamisme a trouvé un écho aux oreilles de ceux censés être les premiers adversaires de l’intégrisme religieux : une partie de la gauche et des féministes (intersectionnelles).

Ce rouleau compresseur propagandiste a amené le capitalisme à s’y intéresser. Conseillées par des intégristes musulmans, des marques de vêtements ont investi ce marché qui, jusque-là, n’était occupé que par les boutiques islamistes. H&M, Nike ou Adidas se font alors le relais de l’islamisme, participent à la promotion de cette idéologie, en lui donnant une audience qu’elle n’aurait jamais eue autrement. La confusion entre islam et islamisme s’accentue. Aucune autre religion (puisque cela est présenté ainsi), aucune autre idéologie politique ne bénéficient d’une telle promotion. À travers la « tolérance religieuse » (le capitalisme s’en accommode, l’argent n’a pas d’odeur), on positive une des pires formes du sexisme. Ces marques reprennent les éléments de langage de l’islamisme. La « modest fashion », la « mode pudique », est née, dictant ainsi aux femmes, à toutes les femmes, la bonne manière de se vêtir. Les femmes voilées seraient pudiques, les autres des dévergondées. Jamais dans l’Histoire le sexisme et le patriarcat n’avaient été montrés de manière aussi positive et à une aussi grande échelle.

Égarement de Benetton

Benetton investit à son tour ce domaine, mais de manière plus retorse. La marque ne présente pas un hijab pour cacher les femmes avec « classe ». Elle déclare avoir créé un « hijab unisexe ». Un homme pourrait autant le porter qu’une femme. Le rappeur Ghali a servi de modèle pour les photos. Outre la provocation, l’objectif annoncé est de montrer que la « diversité est une valeur ajoutée », selon la déclaration de Ghali pour le média espagnol La Razon. Oui, le sexisme islamiste est encore présenté comme une forme de diversité à valoriser… Aucun autre signe de discrimination n’est abordé de cette manière. Les islamistes ont atteint leur objectif. En réalité, loin d’être un hijab (une partie des cheveux est visible), Benetton présente une simple cagoule floquée du logo du rappeur mixé à celui de la marque. La nommer « hijab unisexe » est purement marketing pour faire le buzz. Et ça marche. Or, une cagoule est portée par homme et femme selon l’activité pratiquée et/ou la météo du moment. Le voile, comme vu plus haut, est destiné aux femmes pour être porté, non pas selon l’activité ou la météo, mais pour des raisons morales sexistes et patriarcales à chaque fois qu’il y a le « risque » de croiser un homme étranger à la famille, par crainte de la tentation sexuelle. Le voile est donc porté en permanence à l’extérieur, et à l’intérieur si en présence d’un homme. La cagoule est portée ponctuellement à l’extérieur et jamais à l’intérieur, peu importe qui est présent. C’est pourquoi Ghali a retiré son « hijab unisexe » après avoir posé pour les photos, quand celles qui posent avec leur voile le garderont sur la tête.

« Ghali ne subira aucune critique, aucune insulte ni menace en retirant sa cagoule, contrairement aux femmes qui réussissent à s’émanciper du voile »

Comme beaucoup, la marque Benetton ne perçoit pas ce qu'est le voile en réalité. Pour elle, ce serait juste un vêtement religieux inoffensif destiné aux femmes. Voiler un homme a donc un côté subversif. Elle ne réalise pas qu'au contraire elle choisit de défendre un accoutrement réactionnaire qui n'a rien de subversif. Promouvoir l'accessoire vestimentaire le plus sexiste, le plus rétrograde et le plus ancien de l'histoire de l'humanité, en le faisant porter par un homme, ne fait que rendre le patriarcat plus acceptable. Car, à l'issue de cette campagne, aucun homme ne portera le voile. En revanche, certaines femmes musulmanes pourraient se laisser tenter.

Pour être subversif, Ghali a choisi de porter une cagoule pour banaliser le sexisme du voile au nom d’une tolérance pour le patriarcat islamiste. Il aurait pu porter un vrai voile pour en dénoncer l’absurdité sexiste, sans passer par un site de ventes. Là aurait été la subversion. Mais tout le monde n’est pas rebelle. Certains, comme ce rappeur, se font passer pour tels mais sont ultra-conservateurs voire machos.

Accessoire sexiste

Cette cagoule n’insulte pas les hommes. Elle insulte toutes les femmes en général et celles en particulier qui subissent des pressions, sont forcées, violentées ou qui ont été assassinées parce qu'elles ont refusé de faire le « libre choix » de se couvrir pour une « pudeur » créée et définie par des hommes. Le rappeur ne portera ce voile que le temps d'un cliché, sans aucun rapport avec la présence ou non d'une personne de l'autre sexe. Ce n'est pas le cas de celles qui le portent au quotidien, par crainte de la tentation sexuelle qu'elles pourraient susciter si un homme voit leurs cheveux ou même une oreille. Ghali ne subira aucune critique, aucune insulte ni menace en retirant sa cagoule, contrairement aux femmes qui réussissent à s’émanciper du voile.

« Les islamistes continueront d’avancer au détriment, à long terme, de toutes les femmes de la planète »

Les islamistes critiqueront ce « hijab unisexe », évidemment. Mais certains d'entre eux, chez les Frères musulmans, en profiteront pour créer encore la confusion afin de banaliser le sexisme du voile. Tant que nous camperons sur le terrain de la laïcité, de la « tolérance religieuse », plutôt que d’aller sur celui du sexisme, les islamistes continueront d’avancer au détriment, à long terme, de toutes les femmes de la planète.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne