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Viols dans le porno: sur les tournages, des femmes considérées "comme des morceaux de viande"

Quatre acteurs pornographiques ont été mis en examen pour des viols commis lors de tournages, une première en France (photo d'illustration).

Quatre acteurs pornographiques ont été mis en examen pour des viols commis lors de tournages, une première en France (photo d'illustration). - Pixabay

Quatre acteurs pornographiques ont été mis en examen pour des viols commis lors de tournages, une première en France. Les avocats des plaignantes décrivent à BFMTV les coulisses sordides de ces productions.

Avec le recul, Manon et Sophie* se demandent bien pourquoi elles ont accepté d’engager la conversation avec une inconnue sur les réseaux sociaux. L’une comme l’autre ne l’avaient jamais fait. L’une comme l’autre sont tombées dans le piège… Car derrière le profil de cette jolie jeune femme se cachait en réalité un homme chargé de rabattre des actrices pour les besoins de tournages des films pornographiques de la plateforme "French Bukkake".

Fermé sur réquisition judiciaire, ce site internet est aujourd’hui au cœur d’une information judiciaire ouverte à Paris. Le 28 octobre, quatre acteurs ont ainsi été mis en examen pour des viols commis lors des tournages, comme l’a révélé BFMTV. Un an après les responsables du site, mis en examen pour les mêmes raisons: le producteur "Pascal OP", le réalisateur "Mat HDX" et deux autres hommes, dont celui qui se dissimulait derrière le faux profil destiné à rassurer les jeunes femmes fragiles avant leur premier tournage X.

"Tout part de ce stratagème", affirme Vanina Méplain, l’avocate qui défend Manon et Sophie. "Le faux profil présentait le porno comme quelque chose de sympa, de marrant, de facile…"

La réalité était beaucoup plus sordide. L’enquête menée par la section de recherches de la gendarmerie de Paris a en effet identifié une cinquantaine de victimes potentielles, considérées ni plus ni moins que comme des "morceaux de viande", selon l’expression qui revient le plus souvent dans leur bouche aujourd’hui.

"Comme si elle était consentante à jamais…"

Les profils des jeunes femmes présentent ainsi de nombreuses similitudes. Jeunes, un peu perdues et avec un besoin financier urgent. "Une fois la proposition acceptée, elles ne sentaient plus le droit de partir. Elles n’osaient plus reculer…"

Comme Sophie qui s’est ainsi retrouvée, du jour au lendemain, avec deux acteurs sans scrupules sur le canapé d’un appartement loué sur Airbnb. La jeune femme signe un simple bout de papier destiné à recueillir son droit à l’image. En échange, elle reçoit 250 euros en espèces. Et doit désormais se faire à une vie marquée par un tournage… et ses à-côtés.

"Alors qu’elle était en train de prendre une douche après une scène, l’un des acteurs est rentrée dans la salle de bains pour avoir, à nouveau, un rapport avec elle", décrit son avocate. "Comme ça. Comme si cela ne posait aucun problème. Comme si de toute façon, elle était consentante à jamais…"

Manon, elle, a fait une sorte de dissociation. Elle dit ne plus se souvenir de rien. De ce qu’il s’est passé. Du nombre d’acteurs… Car le site "French Bukkake" était spécialisé dans des scénarios bien spécifiques: une femme livrée en pâture à de nombreux hommes en même temps. Avec une recherche de la violence en permanence.

La question des "actes de torture et de barbarie"

Pour remonter le fil des éléments, les enquêteurs ont visionné des dizaines et des dizaines de films. Et ils ont obtenu les rushs. Ils montrent clairement le décalage entre le sourire de façade qu’on demande aux jeunes femmes d’arborer et leur détresse une fois la scène tournée… Dès 2018, sur certains forums spécialisés, des internautes s’émouvaient de films dans lesquels des jeunes femmes pleuraient, voire même se recroquevillaient en position fœtale.

Selon nos informations, les acteurs récemment mis en examen ont d’ailleurs reconnu partiellement les faits en découvrant ou redécouvrant les scènes auxquelles ils avaient participées, lors de leurs gardes à vue.

"La question de la qualification pénale se pose", indique, de son côté, Gérard Tcholakian qui défend l’une des plaignantes. "Pour l’instant, on est sur des faits de viols et de traite des êtres humains. Mais il faudra voir si cela ne constitue pas, en fait, des actes de torture et de barbarie."

Il faut laisser un peu de temps au juge d’instruction pour se faire son idée. Il faut surtout laisser du temps aux jeunes femmes pour se reconstruire aujourd’hui. Avec la difficulté que les vidéos, disséminées et reproduites à l’infini sur une multitude de sites pornographiques, continuent de demeurer visibles. "Ma cliente est partie prendre l’air à l’étranger. Socialement, la situation est difficile à vivre pour elle", poursuit Gérard Tcholakian.

Quentin Dekimpe abonde en ce sens. Avocat chargé des intérêts d’une autre plaignante, il affirme que sa cliente s’est déjà fait interpeller dans la rue par quelqu’un qui l’avait reconnue. "Alors qu’elle vivait tranquillement comme tout le monde. Et qu’elle a juste cédé à un moment donné parce qu’elle avait des difficultés dans sa vie personnelle."

*Les prénoms ont été modifiés.

Vincent Vantighem